Contre le cancer du sein : peut-on faire mieux ?

Depuis janvier 2004, le dépistage sytématique du cancer du sein est étendu à tous les départements français (sauf en Guyane) et concerne les femmes de 50 à 74 ans. En parallèle, des tests génétiques peuvent repérer les femmes qui présentent un risque accru de développer cette maladie. Ensemble, ces deux programmes visent à sauver jusqu'à 3000 vies par an.

Par Philippe Dorison, le 10/02/2005

Dépistage systématique pour toutes les femmes

Le cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquent : chaque Française a en moyenne une chance sur dix d'en être atteinte un jour. Mais son pronostic de guérison est meilleur lorsqu'il est traité à temps.Un programme de dépistage a été mis en place graduellement en France depuis la fin des années 80. Fin 98, il concernait trente départements contre 49 fin avril 2003. Depuis janvier 2004, il est proposé sur tout le territoire national. Son objectif est d'inviter l'ensemble des femmes de 50 à 74 ans à subir une mammographie tous les deux ans, chez le radiologue de leur choix, qui doit toutefois être inscrit sur une liste de radiologues habilités. Le coût des examens est pris en charge à 100% par l'assurance maladie. Les premières phases de ce programme ont déjà permis le diagnostic de près de 9 500 cancers dont une grande partie étaient de petite taille.

Quelques chiffres sur le cancer du sein

Le cancer du sein est rare avant l'âge de 30 ans, très fréquent entre 60 et 64 ans et reste assez fréquent jusqu'à 74 ans

Près de 300 000 personnes vivent en France avec un cancer du sein

En 1995, 35 000 nouveaux cas de cancer du sein étaient déclarés en France. Ce chiffre s'est accru jusqu'à 42 000 en 2000.
Dans les trois quarts des cas, les femmes frappées par la maladie ont plus de 50 ans.

11 637 décès ont été enregistrés en 2000, ce qui fait du cancer du sein le cancer le plus meurtrier chez les femmes.

En 1999, le ministère de la santé observait que seulement 54% des femmes de 50 à 69 ans avaient subi une mammographie au cours des deux années passées. Cette proportion descendait jusqu'à 30,5% chez les femmes de 70 à 74 ans.

Taux de participation faible

Comment a évolué le programme de dépistage ?

Un premier bilan de l'expérience a été dressé par l'Institut de veille sanitaire (cf : numéro thématique spécial du bulletin épidémiologique daté du 21 janvier 2003) . Il en ressort que sur l'ensemble des trente-deux départements concernés jusqu'à fin 2002, le taux global de participation des femmes n'a été que de 43%, avec des maxima à 60% dans certains départements et des minima à 20% dans d'autres.

Le dépistage systématique est-il efficace pour sauver des vies ?

Les raisons de cet échec relatif ont été analysées et les modalités du programme ont été modifiées. Et c'est directement avec cette « nouvelle formule » qu'il entre en application dans les départements qui rejoignent le programme en 2003. À terme, l'efficacité générale du programme sera fonction de l'accueil que lui réserveront les femmes concernées. L'objectif fixé par la Communauté européenne est un taux de participation de 60%, seuil nécessaire pour aboutir à une baisse significative de la mortalité.

D'autres techniques de dépistage en vue ?

Une société Canadienne propose une alternative à la mammographie pour le dépistage du cancer du sein.

Il s'agirait de mesurer la différence de vitesses de déplacement de courants électriques, dans les seins droit et gauche. Lorsque les vitesses sont identiques, les seins sont probablement exempts de tumeur. La validité de ce système reste à confirmer par des essais à plus grande échelle. Les bénéfices attendus seraient une meilleure détection pour les femmes à risque de moins de quarante ans, dont les seins sont en général moins lisibles à la mammographie (les tissus sont plus denses), ainsi qu'une baisse des coûts de dépistage : selon les chercheurs, cette alternative permettrait d'économiser un tiers du prix d'une mammographie.

Test génétique de prédisposition

Chez certaines femmes, qui présentent une mutation d'un gène bien particulier (dit BRCA, pour BReast CAncer), le risque de développer un cancer du sein est beaucoup plus élevé que dans la population générale. Le programme de tests lancé début 2003 vise à repérer les Françaises atteintes d'une de ces mutations pour leur proposer une surveillance adaptée à leur cas. Son principe comprend deux étapes.

“On est encore loin de généraliser ces tests à toutes les femmes.“

Dans un premier temps, une recherche est faite chez des femmes atteintes d'un cancer du sein, lorsque l'on peut supposer que la maladie est apparue suite à une prédisposition génétique. Si une mutation d'un gène BRCA est détectée, un test génétique est proposé aux femmes apparentées à la patiente, susceptibles de porter la même altération du gène. Cette deuxième recherche est plus rapide car elle concerne une mutation bien précise, qui a été identifiée lors du premier examen.

Lorsqu'un tel facteur de risque est repéré chez une femme, il lui est proposé une prise en charge particulière, notamment grâce à des mammographies régulières à partir de l'âge de 30 ans, contre 50 ans dans le cas général. En France, seize laboratoires pratiquent ces tests qui devraient porter sur environ 2000 nouvelles familles par an. Leur coût (de 450 à 750 euros) est directement pris en charge par le budget des hôpitaux, sans transiter par la Sécurité sociale.

Bataille juridique autour du brevet de Myriad Genetics

L'Institut Curie a demandé en octobre 2001 un recours contre trois brevets déposés en Europe par la société américaine Myriad Genetics. Ces brevets garantissaient, de fait, un monopole au laboratoire de Salt-Lake City, seul autorisé à traiter les prélèvements pour la recherche des mutations du gène BRCA1.

L'institut Gustave Roussy et les Hôpitaux de Paris se sont associés à cette démarche d'opposition et ils ont reçu le soutien du gouvernement français ainsi que du parlement européen et de plusieurs sociétés nationales de génétique en Europe.

Les arguments des adversaires de Myriad Genetics sont relatifs à l'insuffisance du travail de recherche accompli par cette société avant de déposer son brevet mais aussi à la qualité des résultats des tests qu'elle réalise et qui ne détectent que 80 à 90% des mutations. Ils concernent aussi les abus que cette situation de monopole génère, à la fois en termes de coût des tests (trois fois plus chers que s'ils sont menés en France) mais aussi d'obstacle à la recherche. En effet, la centralisation de tous les résultats dans un unique laboratoire permet à celui-ci la création de bases de données susceptibles de lui fournir un avantage décisif pour le dépôt de futurs brevets.

En mai 2004, la division d'opposition de l'Office européen des brevet (OEB) révoque un premier brevet (EP 699 754) portant sur une "méthode pour le diagnostic d'une prédisposition à un cancer du sein ou de l'ovaire".

En novembre 2004, la société américaine cède toutes ses parts du brevet à l'University of Utah Research Foundation. Myriad Genetics n'est donc plus propriétaire de ce brevet mais détient les licences d'exploitations exclusives.

En janvier 2005, l'OEB rejette une grande part des revendications des deux derniers brevet de Myriad Genetics (EP 705 902 et EP 705 903). Ils ne concernent désormais qu'une portion définie du gène et ne comportent plus de revendications relatives à des méthodes thérapeutiques et diagnostiques. "La portée des brevets ainsi limitée n'est pour l'essentiel plus gênante pour la mise en œuvre des tests diagnostiques", s'est félicité l'Institut Curie.

Mais l'University of Utah Research Foundation et les Etats-Unis ont fait appel de cette décision. Une deuxième instance devant une chambre de recours technique de l'OEB devrait avoir lieu dans les prochains mois.

Philippe Dorison le 10/02/2005