Bioterrorisme : quelles préventions face à quels risques?

L'exercice Piratox , première simulation de ce genre menée en France, a eu lieu pendant la nuit du 22 au 23 octobre 2003, dans la station de RER Invalides à Paris. Deux ans après le “11 septembre“, quels sont les risques chimiques ou biologiques liées à une éventuelle attaque terroriste et comment peut-on y faire face?

le 09/11/2003

Un plan par menace

Sommes nous prêts, en France, à faire face à une action terroriste ?

Dès la fin des années 70, la France s'était dotée d'un plan “Piratox“ pour répondre à d'éventuelles attaques par des produits toxiques. Les actions de la secte Aoum au Japon, au milieu des années 90, et l'évolution du terrorisme mondial sont venues donner un caractère plus concret à de telles menaces.

En parallèle, la France a défini en 1998 le plan Piratome, spécialement dédié à la contamination par des matières radioactives. Face au risque d'attaque biologique, un plan de lutte baptisé Biotox a été élaboré depuis fin 99 puis validé et mis en place début octobre 2001, à quelques jours de la distribution d'enveloppes porteuses d'anthrax aux États-Unis.

Piratox, plus particulièrement dédié aux attaques chimiques, a été actualisé en 2002 et c'est pour le tester dans des conditions proches de la réalité que l'exercice d'octobre 2003 a été organisé. Le scénario de cette simulation s'inspirait de l'attaque au gaz sarin commise dans le métro de Tokyo en 1995.

Les points principaux du plan Biotox


  • La prévention

Pour tout ce qui concerne le stockage, le transport et la manipulation des produits biologiques à risque, les règles de sécurité sont renforcées ainsi que les contrôles et le suivi des produits. La liste des agents infectieux ou biologiques mis sous haute surveillance a été publiée au Journal Officiel : peste, charbon, brucellose, variole et poxvirus, agents des fièvres hémorragiques, Clostridium botulinum et toxines botuliques, entérotoxines B du staphylocoque, saxitoxines, ricine, toxine diphtérique. Dans le même volet, Biotox prévoit le renforcement de la protection des circuits d'eau potable et des contrôles de qualité de celle-ci.

 

  • L'alerte  

En temps normal, le dispositif d'alerte classique repose sur la déclaration obligatoire de certaines maladies infectueuses. Biotox n'ajoute rien à ce dispositif si ce n'est renforcer la vigilance et l'information sur des maladies quasiment disparues comme la peste ou la maladie du charbon. À la base de tout le système de surveillance, le professionnel de santé – médecin ou biologiste – doit déclarer le cas suspect ou avéré immédiatement par téléphone ou fax auprès du médecin inspecteur de santé publique de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddas). Ce premier appel est suivi de l'envoi d'une fiche de notification comportant un certain nombre de renseignements précis à l'Institut de veille sanitaire (InVS), lequel coordonne l'information et l'action sur l'ensemble du territoire. Ce système permet de repérer rapidement des cas, même disséminés, et de planifier la lutte contre l'épidémie. Toutefois, la condition essentielle de sa réussite repose sur la capacité des professionnels de santé à réagir le plus rapidement possible, les premières heures étant essentielles pour prévenir la possibilité d'une dissémination. Or, la très grande majorité des médecins n'ont jamais eu l'occasion de rencontrer des cas de maladie du charbon ou de peste… Un numéro vert d'information est mis en place pour les médecins et une série de fiches techniques sont éditées. Biotox met également les laboratoires en alerte en leur demandant la possibilité d'une prise en charge des analyses 24 h sur 24.

 

  • Le barrage sanitaire

Là encore, Biotox n'invente rien mais renforce ou ré-alerte les dispositifs déjà existants : quadrillage du territoire par des hôpitaux de référence, militaires ou civils, mise à jour des plans d'alerte hospitaliers en vue d'accueillir un grand nombre de blessés ou de malades en même temps, renforcement des mesures d'hygiène et de sécurité, des équipes de réanimation et de première urgence. L'AFSSAPS (Agence française du médicament) est chargée de recenser les stocks réels de médicaments et de vaccins disponibles en liaison étroite avec les grossistes et les fabricants.

Bioterrorisme : quels précédents ?

Bioterrorisme : quels précédents ?

Réponse d’Olivier Lepick, docteur en histoire et relations internationales, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. (Extrait du débat du 6 novembre 2001 à la Cité des sciences)

Anthrax, charbon...

Pourquoi utiliser les spores de charbon comme arme bactériologique ?

Les craintes apparues à l'automne 2001 étaient motivées par des courriers contaminés qui avaient transmis à leurs destinataires la maladie du charbon, nommée anthrax dans les pays anglo-saxons. Un terme à utiliser avec précaution car en français, il possède un tout autre sens et désigne une agglomération de furoncles.

La maladie du charbon est véhiculée par des spores qui permettent au bacille d'entrer dans l'organisme de la personne contaminée et de s'y développer. Elle peut avoir des conséquences graves mais n'est en général pas contagieuse. Un des plus gros problèmes que peuvent causer les spores responsables de la maladie du charbon apparaît en cas de contamination d'un site de grandes dimensions.

Un exemple en a été donné sur l'île de Gruinard, proche des côtes écossaises. Des bombes contenant des spores y avaient été testées en 1942 et les terrains n'ont été décontaminés qu'en 1987. Ce nettoyage, pourtant sans réelle difficulté technique, a été très coûteux. Il a aussi permis de voir que, 45 ans plus tard, les spores étaient toujours actives.

La maladie du charbon, la plus facile à répandre ?

Le bacille de la maladie du charbon

Bacillus anthracis est le bacille responsable de la maladie du charbon, qui est d'abord une maladie animale, souvent mortelle pour les herbivores. La spore de Bacillus anthracis est hautement résistante, capable de rester vivante, enfouie dans le sol pendant des siècles, faisant naître les légendes de champs ou d'étables maudites.

Elle peut aussi être présente dans des produits d'origine animale (peaux ou tapis de laine). La maladie du charbon est exceptionnelle en France, toujours liée à une contamination d'origine animale. On distingue trois formes de maladies : cutanée (la plus légère), digestive ou pulmonaire, ces deux dernières pouvant être rapidement mortelles si les antibiotiques sont administrés trop tard. Les lettres piégées étaient fermées avec du ruban adhésif. L'arrachement de celui-ci au moment de l'ouverture était suffisant pour créer un aérosol.

On a calculé que la dispersion de 50 kg de spores dans une ville aurait les mêmes conséquences en terme de mortalité qu'Hiroshima. Par la relative facilité à disséminer des spores, le charbon fait partie de l'arsenal de la guerre bactériologique. L'Irak aurait détenu des armes chargées de spores et dix pays posséderaient le germe dans leur arsenal militaire. On peut craindre l'apparition de souches résistantes aux antibiotiques ou capables de produire des toxines encore inconnues. La maladie du charbon dans l’histoire : Son utilisation en tant qu'arme bactériologique remonterait à la Seconde Guerre mondiale et le Japon aurait dispersé 130 kg de bacilles en Chine centrale.

À titre expérimental, l'Angleterre et les États-Unis ont effectué des essais dans l'île de Gruinard (Écosse) où quatre hectares furent contaminés. En 1979, une épidémie de charbon pulmonaire s'est déclarée à Sverdlovsk (ex-URSS), à quelques kilomètres d'un centre de recherche militaire et a tué 68 personnes. Une alerte au charbon a été déclenchée à Phœnix (Etats-Unis), en mars 1998, alors qu'une agence financière avait reçu une lettre qui contenait des spores de Bacillus anthracis.

Maladie du charbon, risque réel ou simple menace?

Durant, la guerre froide, les spores de la maladie du charbon ont aussi fait partie de l'arsenal militaire biologique soviétique. Une démonstration publique involontaire en a été fournie en 1979, lors d'un accident survenu à Sverdlovsk (aujourd'hui Ekaterinenbourg). Cette ville abritait un site de production d'agents biologiques militaire et, suite à une erreur commise par un ouvrier, une épidémie d'anthrax pulomnaire s'était répandue dans la banlieue de la ville, tuant une soixantaine de personnes.

... et autres menaces biologiques

Est-il facile de fabriquer une arme à partir d'un agent biologique ?

Souvent dans le plus grand secret, de nombreux pays se sont intéressés au potentiel militaire de divers agents biologiques. Depuis le milieu des années 90 et surtout l'automne 2001, les gouvernements et les services de sécurité sont inquiets de l'utilisation que des groupes terroristes pourraient faire de telles armes.

Une inquiétude qui se répand dans le grand public et se focalise surtout autour de quelques maladies. Heureusement, dans la pratique, l'utilisation d'agents biologiques à des fins de destruction massive n'est pas si simple.

Agents biologiques : quelles quantités pour quels effets ?

Quelles quantités pour quels effets ?

Les agents biologiques sont en général des micro-organismes. Ils peuvent donc se trouver en très grand nombre sous un tout petit volume, capable en théorie de contaminer un nombre énorme d'individus. Mais heureusement, ce pouvoir de nuisance est moins élevé dans la réalité que ne pourraient le laisser penser des calculs théoriques.

le botulisme

Faut-il vacciner contre le botulisme ?

La pollution volontaire des réservoirs d'eau potable par une toxine botulinique a souvent été évoquée. Pour repousser ce risque, la principale mesure de prévention consiste à surveiller le traitement de l'eau, car ces toxines sont inactivées par le chlore.

Le botulisme, pas cher et redoutable?

Le botulisme est du à une bactérie, Clostridium botulium

Le botulisme se propage selon deux modes principaux de contamination: après l'ingestion d'un aliment contaminé (rupture de la chaîne du froid ou charcuteries) et, beaucoup plus rarement, par blessure. Mais elle peut aussi être transmise par aérosol. Elle n'est pas directement contagieuse.

En France, le nombre de cas annuel varie de 14 à 26 mais de nombreux cas ne seraient pas déclarés. Un seul décès a été constaté en 1999. La cuisson des aliments juste avant la consommation détruit la bactérie. La réanimation et les traitements actuels ont fait chuter la mortalité qui est passée de 25% dans les années 50 à 6% dans les années 90. Faciles à obtenir et à cultiver, les bactéries botuliques ont fait rapidement partie de la panoplie militaire. Le botulisme est une affection nerveuse caractérisée par des paralysies pouvant atteindre les muscles respiratoires.

Causée par une bactérie, Clostridium botulium, elle est présente depuis l'Antiquité. Les sept catégories de toxines botuliques sont les plus puissantes connues à ce jour, chez l'homme comme chez l'animal (en France sont concernés les bovins, les oiseaux, chiens, sangliers, chevreuils, visons).

la variole

Théoriquement disparue, la variole pourrait revenir en cas de dissémination volontaire de son virus. En cas de contamination d'un site, le traitement à l'eau de javel est efficace, comme il l'est contre la majorité des virus. Le diagnostic de la maladie est en théorie relativement simple, le seul écueil étant la rareté de cette maladie aujourd'hui, qui fait que les médecins s'attendent peu à la rencontrer. Lorsque la maladie est identifiée, le traitement doit être très rapide.

La variole, le scénario catastrophe mondial ?

Virus de la variole

Le virus de la variole se propage par le contact avec une personne malade ou par du matériel contaminé. Presque toujours, la maladie se signale par des éruptions sur les muqueuses respiratoires, buccales, de la cornée et de la peau. Les cicatrices laissent des traces indélébiles.

Mais il existe aussi deux formes sans éruptions : hémorragique et maligne. La forme hémorragique conduit à un décès rapide. La maligne a été décrite en 1987 sur un sujet immunodéprimé par le sida. En dehors de la vaccination, l'isolement des malades est essentiel. La France dispose de 5 millions de doses de vaccin antivariolique. La vaccination peut avoir des effets secondaires graves. En cas d'épidémie, la stratégie envisagée est l'isolement des foyers infectés et la vaccination des sujets proches. L'OMS a déclaré le 29 octobre 1979, “premier jour sans variole”.

La vaccination a donc été interrompue le 8 mai 1980 et les lots de vaccins retirés du commerce en 1983. Cependant les chercheurs continuent de travailler sur le virus de la variole et ses proches déclinaisons à cause de la grande taille de son génome qui permet des recombinaisons intéressantes pour d'autres maladies comme le sida ou la grippe. Les souches du virus sont conservées dans deux laboratoires seulement, à Atlanta (Etats-unis) et à Novossibirsk (Russie).

les fièvres hémorragiques

Le virus de la fièvre Ebola

Sous ce terme, on regroupe tout un ensemble de maladies causées par des virus de dangerosités bien différentes. Certains se transmettent par les moustiques, d'autres par des tiques ou des déjections de rongeurs. L'origine du virus qui a donné son nom à la fièvre Ebola est encore inconnue.

Des angoisses rétrospectives sont nées lorsqu'il est apparu que certains membres de la secte Aoum étaient présents au Zaïre dans les années 90, probablement dans le but de mettre à profit les capacités destructrices du virus Ebola. Pourtant, l'utilisation de ce type de virus comme arme de guerre est peu probable car ils ne survivent que peu de temps à température ambiante et la contagion est faible si des mesures d'hygiène sont respectées.

La peste

Bacille de la peste

Actuellement 99% des quelques milliers de cas annuels sont recensés en Afrique – le continent le plus touché – et en Asie. Mais la maladie est aussi présente sur le continent américain (quelques dizaines de cas ces dernières années). On signale également quelques cas dans l'ex-URSS. En France, les derniers cas remontent à 1945, en Corse.

La peste, le plus difficile à manipuler ?

Il existe deux formes de peste : bubonique et pulmonaire. La première est la plus fréquente et la moins grave, signalée par l'enflure douloureuse d'un ganglion avec une forte fièvre. Soit la guérison se fait par le jeu naturel des défenses immunitaires (30% des cas), soit le bacille provoque une septicémie, mortelle en trente-six heures.

Moins fréquente, la forme pulmonaire est toujours mortelle en l'absence de traitement par antibiotiques. Les biologistes considèrent que Yersinia pestis est le bacille le plus dangereux à manipuler à cause de son extrême virulence. Une souche résistante aux antibiotiques a été décrite par des équipes de l'Institut Pasteur en 1995.

Le bacille responsable de la peste, Yersinia pestis (du nom d'Alexandre Yersin qui l'isola en 1894), est transmis par la puce de nombreuses espèces de rongeurs, plus particulièrement les rats. La transmission peut aussi être inter-humaine par la puce de l'homme ou par voie aérienne par les malades atteints de la forme bubonique.

Vers une mobilisation internationale des biologistes

L'une des premières conséquences de la menace d'une guerre biotechnologique a été la mobilisation de la communauté des chercheurs, tandis que tous les laboratoires étaient appelés à des mesures accrues de vigilance. L'intérêt soudain des gouvernements et des groupes pharmaceutiques et le déblocage de crédits d'urgence auront certainement pour conséquence d'accélérer nos connaissances dans le domaine de la microbiologie.

le 09/11/2003