Infections nosocomiales : une nouvelle prise de conscience ?

Au cours du deuxième semestre 2003, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, près de 20 personnes sont décédées après avoir été contaminés par la bactérie Acinetobacter baumanii pendant une hospitalisation. Cette épidémie a replacé sous les feux de l'actualité le sujet préoccupant des maladies nosocomiales, ces infections contractées à l'hôpital. Quel risque représentent-elles vraiment et comment le réduire ?

le 08/01/2004

Tomber malade à l'hôpital

Contracter une maladie dans un établissement de santé peut sembler paradoxal et pourtant,en France, 5 à 10% des patients sont contaminés lors de leur séjour par des bactéries qui risquent de provoquer de multiples infections : une fréquence qui est comparable à celle des autres pays européens.

Ainsi, chaque année, les infections nosocomiales frappent près d’un million de personnes hospitalisées. Elles ne sont évidemment pas toutes mortelles mais elles peuvent être particulièrement graves car elles touchent souvent des patients dont les défenses immunitaires sont diminuées ainsi que les patients âgés : ceux de plus de 65 ans sont presque deux fois plus souvent victimes de ces infections que les patients plus jeunes.

Globalement, ces infections seraient à l’origine de 4 000 à 10 000 décès par an, en France. Bien qu'il soit difficile à évaluer avec précision, le nombre de décès prématurés dus à ces infections est du même ordre de grandeur que celui des morts sur la route.

Des chiffres difficiles à interpréter

Pour connaître l'impact réel des maladies nosocomiales, il faudrait d'abord pouvoir faire la distinction entre les patients qui sont décédés avec une telle infection ou à cause d'elle, ce qui n'est pas toujours simple. Si le premier cas de figure amène à une estimation proche de 10 000 décès par an, elle pourrait se réduire aux environs de 4 000 dans le deuxième cas.

Une enquête de prévalence a été menée en juin 2001 par le Réseau d’alerte d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (RAISIN). Elle s'adressait aux établissements hospitaliers publics et privés français. 1 533 d'entre eux y ont participé, représentant 77 % des lits hospitaliers français, soit 305.656 patients hospitalisés à cette période. Cette étude avait pour but d'établir des comparaisons avec l'enquête menée en 1996.

Elle conclut à une prévalence d'infections acquises à l'hôpital de l'ordre de 6,4% contre 7,6% en 1996. Cette baisse doit toutefois être constatée avec une grande prudence car les conditions dans lesquelles ont été menées les deux enquêtes et leurs modes opératoires ne sont pas tout à fait identiques.

*Infections nosocomiales : toutes les infections absentes lors de l’admission à l’hôpital ou, lorsqu’on ne connaît pas le statut infectieux du patient, celles qui se déclarent au moins 48 heures après l’admission (délai d’incubation moyen à nuancer selon les infections). Définition des Centers for Desease Control (CDC) aux Etats-Unis.

Contexte légal et médical en évolution

Outre leur caractère “injuste“ et leur nombre important, plusieurs autres raisons ont contribué à médiatiser les infections nosocomiales au cours des dernières années. Une des plus importantes est peut-être d'avoir fait entrer ces maladies dans le domaine juridique.

En effet, depuis la loi dite “Kouchner“ de mars 2002, les établissements médicaux sont présumés responsables des infections que les patients peuvent y contracter.

Le malade peut donc se retourner contre l'hôpital et demander à être indemnisé par l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) du préjudice qu'il a subi. Les cas d'infections nosocomiales représentent un tiers des dossiers d'accidents médicaux traités par cet organisme.

De plus, les professionnels de santé peuvent être poursuivis s' il apparaît que des fautes ou négligences ont été commises. C'est ainsi que six d'entre eux ont été mis en examen en octobre 2003, suite aux décès de deux patients en 1999. D'un point de vue médical, les bactéries responsables de ces infections sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques. Cette tendance rend beaucoup plus difficile le traitement des maladies nosocomiales.

Ainsi, l'épidémie apparue au cours du deuxième semestre 2003 dans le nord de la France est due à une bactérie que seuls un ou deux antibiotiques peuvent espérer combattre.

Qui est contaminé et comment ?

Le statut immunitaire, l’état médical et le traitement d’un patient influent fortement sur sa probabilité de contracter une infection nosocomiale. Il n’est pas étonnant que les services prenant en charge les cas graves et effectuant des actes lourds soient les plus touchés. Les patients opérés acquièrent plus souvent une infection nosocomiale (11,8%) que les patients non-opérés (5,6%).

Ces maladies se contractent le plus souvent à la faveur d’un acte invasif, c’est-à-dire d’un acte nécessitant d’introduire des cathéters, des sondes ou des aiguilles dans l’organisme. Ceux-ci forment des ponts, facilitant la pénétration des germes dans l’organisme ou la circulation des propres germes du patient. Les malades porteurs de sonde urinaire développent beaucoup plus d’infection urinaire (17% des cas) que les non-porteurs de sonde (1,2%). Une opération peut aussi entraîner la dissémination des germes contenus dans un organe lors de l’incision (opération de l’intestin, du colon…) et déclencher une infection post-opératoire (appelée ISO, infection sur site opératoire).

Une enquête réalisée par le CCLIN Sud-est a établi que 22% des patients admis en réanimation développent une infection, les plus fréquentes étant les infections urinaires (11%) et pulmonaires (10%) (Bulletin épidéiologique hebdomadaire n°5 1999). En chirurgie, environ 3% des interventions se compliquent d’une ISO, ce pourcentage variant suivant la gravité de l’état du patient. Chez les patients avec peu d’antécédents médicaux, le taux est de 1% alors qu’il s’élève à 20-25% chez les plus fragiles. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’infections dites croisées, transmises d’un malade à un autre par les mains du personnel soignant par exemple ou par les instruments médicaux. Elles peuvent résulter d’un niveau d’hygiène insuffisant (lavage de main en particulier).

Jean Carlet, chef de service en réanimation à la Fondation hôpital Saint Joseph (Paris)


Lorsqu'une personne entre à l'hôpital, peut-on évaluer son risque de contracter une infection nosocomiale ?

D’autres infections peuvent simplement survenir lors de l’hospitalisation, indépendamment de tout acte médical, par la contamination de l’environnement hospitalier (eau, air, alimentation…) comme, par exemple, à l’occasion d’une épidémie de grippe. En résumé, les infections urinaires représentent les infections les plus nombreuses, suivies par les infections respiratoires. Ce sont les pneumonies nosocomiales qui sont à l’origine du plus grand nombre de décès.

Quels moyens de lutte ?

Au-delà de la nécessaire surveillance et des mécanismes d'alerte, la diminution du risque de ces infections passe principalement par la prévention. Les infections sur site opératoire, notamment, dépendent beaucoup de la maîtrise du geste chirurgical et sont en grande partie évitables, en particulier chez les patients qui ne présentent pas de facteur de risque spécifique. Elles constituent un objectif prioritaire de prévention.

De manière générale, les règles de base sont du registre de l’hygiène : lavage fréquent des mains, stérilisation des instruments, utilisation généralisée de matériel à usage unique, désinfection des locaux… Ce rappel peut sembler étonnant mais des études ont montré que les médecins sont proportionnellement plus souvent impliqués dans le transport manuporté de germes d’un patient à l’autre que les infirmières.

Toutefois, les causes d'infections ne sont pas toujours imputables aux individus. Parfois, c'est l'organisation générale d'un établissement de santé qui doit être mis en cause, par exemple le circuit emprunté par le linge sale. À ce niveau, les solutions sont beaucoup plus complexes à mettre en place.

Josée Chineau, présidente de l’association des usagers de l’hôpital et des soins médicaux (AUHSM).



Les moyens mis en oeuvre pour lutter contre les infections nosocomiales sont-ils suffisants ?

Le réseau de surveillance des infections nosocomiales

Les premières dispositions remontent à plus de trente ans (en 1973), mais les mesures n’étaient qu’incitatives.

En 1988, des Comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) ont été institués dans les établissements publics et dans les établissements privés participant au service public hospitalier. Ces comités rassemblent principalement des professionnels du corps médical. Ils ont pour mission d’organiser et de coordonner la surveillance, la prévention et la stratégie de lutte contre les infections, et également surveillent la résistance bactérienne aux antibiotiques dans le milieu hospitalier. Ce n’est qu’en 1998 que les CLIN deviennent obligatoires pour tous les établissements privés.

Depuis 1992, une organisation nationale est mise en place avec la création de cinq C.CLIN (centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales). Chacun est responsable d'une zone géographique (Paris Nord, Sud Est, Sud Ouest, Ouest, Est). Le Comité technique national des infections nosocomiales (CTIN) a lui aussi été créé en 1992.

Ces structures se sont réunies en 2001 avec l'institut national de veille sanitaire (INVS) au sein du Réseau d’alerte d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (RAISIN). Le RAISIN émet des recommandations et propose des outils de surveillance des infections nosocomiales, dans le but d'harmoniser les recueils de données et les moyens de lutte. Le signalement d'une infection nosocomiale est obligatoire lorsque celle-ci a entraîné la mort ou qu'elle est due à un germe rare.

le 08/01/2004