RFID : une révolution technologique en marche ?

Une petite puce grosse comme une tête d'épingle pourrait bien envahir d’ici peu notre quotidien. Intégrée dans des étiquettes « intelligentes », elle permet de communiquer à distance avec les objets ! Une technologie de traçabilité baptisée RFID qui inquiète les organisations de protection des libertés individuelles…

Par Fanny Villecroze, le 29/04/2004

Un code barre « intelligent »

Elles sont presque invisibles mais promettent de révolutionner notre quotidien. A l’honneur lors du Forum de la Traçabilité et de la RFID qui s’est récemment tenu à Paris pendant la Semaine Européenne des Technologies de l’Information, les étiquettes « intelligentes » ont d’ores et déjà convaincu les industriels. Meilleure gestion des stocks, réduction des coûts, protection anti vols… ceux-ci y voient le moyen d’optimiser la traçabilité des marchandises tout au long de la chaîne de distribution, depuis l’entrepôt jusqu’au passage en caisse. D’autant que chaque étiquette présente un numéro de série unique permettant l’identification et le suivi de l’objet de manière individuelle.

Pour les consommateurs, ces étiquettes électroniques offriraient également de nombreux avantages. Celui, par exemple, d’éviter la file d’attente à la caisse des supermarchés grâce à l’identification à distance du contenu des caddies par simple balayage radio !

Une puce et une antenne...

Reste-t-il de la place sur les ondes pour la RFID? Joël de Rosnay

Dotée d’une puce contenant jusqu’à 512 bits de mémoire et d’une antenne réagissant aux ondes radio, ces étiquettes électroniques permettent en effet de communiquer à distance les informations qu’elles contiennent. Et ce sans l’intermédiaire d’aucune pile ou courant continu, ni même d’un lecteur optique comme c’est le cas pour la lecture des codes barres. Une performance désormais possible grâce à une technologie de radio identification à distance : la RFID ou « Radio Frequency Identification ».

la RFID, comment ça marche ?

Une puce et une antenne...

La RFID est une technique de radio identification à distance qui permet la communication sans contact des données de la puce via les liaisons radio à une distance variant de 50cm à 10m, selon les catégories d’étiquette.

La mémoire de la puce a une capacité variant de 96 à 512 bits, soit un volume 64 fois plus important que celui du code barre. Mieux, les informations stockées sur la puce peuvent être modifiées à tout moment par interaction avec un lecteur. Cette grande capacité de stockage des étiquettes « intelligentes » permettra d’y intégrer à terme des informations aussi diverses que le temps de stockage, la date de péremption, le prix et même la température du produit !

Une technologie utilisée dès les années 40

Années 40 : Le système RFID est utilisé depuis la seconde guerre mondiale par les militaires américains pour la reconnaissance à distance des avions « Friend or Foe » (ami ou ennemi).

1969 : Le premier brevet lié à la technologie RFID est déposé aux Etats-Unis par Mario Cardullo qui l’utilise pour l’identification des locomotives.

Années 70 : La technologie RFID est encore utilisée de manière restreinte et contrôlée, comme pour la sécurité des sites nucléaires.

Années 80 : En Europe, l’identification du bétail est la première application de la technologie RFID dans le secteur privé. S’ensuivent de nombreuses utilisations commerciales, notamment dans les chaînes de fabrication des constructeurs automobiles.

Années 90 : miniaturisation du système RFID : IBM intègre la technologie dans une seule puce electronique.

De nombreuses applications…

Quelles sont les applications futures des RFID ? Georges Kayanakis, PDG d'ASK France.

Le transport reste le secteur le plus investi par la technologie RFID : aujourd’hui 30 villes européennes sont déjà équipées de tels systèmes. La technologie est d’ailleurs bien connue des usagers du métro parisien qui l’utilisent via leurs cartes de transport sans contact telles que « Navigo ».

Mais les progrès de la miniaturisation et la réduction des coûts de fabrication des puces ouvrent désormais de larges perspectives à cette technologie dans de nombreux domaines de la vie courante… D’ores et déjà envisagée dans le recyclage afin de faciliter le tri des déchets par les robots, elle l’est aussi dans l’alimentation pour contrôler la température des aliments. Elle apparaît en outre comme un outil infaillible pour le contrôle des fraudes. Et pourrait également se glisser dans nos cartes de paiement, et même dans nos cartes d’identité !

Les cartes d’identité à données biométriques

La Commission européenne a adopté, le 18 février 2004, une proposition de règlement qui prévoit l’introduction, dès 2005, de puces à radiofréquence contenant des éléments biométriques – photo numérisée et empreinte digitale - dans les visas et les titres de séjour des ressortissants des pays tiers, avant une extension à tous les passeports européens. 

En France, le Sénat a validé ce procédé en octobre 2003 dans le cadre du projet de loi relatif à « la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers » (articles 11 et 12), proposé par l’ancien ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy.






L’utilisation de la RFID dans le contrôle de la chaîne du froid

A quand les étiquettes «intelligentes» dans nos supermarchés ?

Les RFID dans nos supermarchés, c’est pour quand ? Joël de Rosnay

« L’étiquette électronique devrait se généraliser lorsque les grands acteurs de la distribution décideront d’adopter cette technologie, car ils imposeront son utilisation à l’ensemble de la chaîne », souligne Guillaume Rio, chef de projet à l’Echangeur, le Centre européen sur les pratiques innovantes de la relation client.

Wall-Mart, la grande enseigne américaine de supermarchés, et le distributeur allemand Metro envisagent d’ailleurs d’adopter ces étiquettes électroniques dans leurs entrepôts dès 2005, puis dans leurs magasins. Et la Banque Centrale Européenne pourrait également introduire ce type de marqueurs dans les billets de banque dès l’année prochaine…

Un système de surveillance à grande échelle ?

« La RFID induit un risque de profilage des personnes... » Yann Le Hegarat, expert informaticien à la CNIL

Ces étiquettes, presque invisibles et repérables à distance, restent pourtant très controversées. Accusées de porter atteinte à la vie privée des citoyens-consommateurs, cette nouvelle technologie inquiète les organisations de protection des consommateurs qui y voient un moyen de récupérer, sans son consentement, des informations sur le consommateur. D’autant plus que certaines enseignes aussi renommées que Gillette, Prada, Wal-Mart ou Benetton l’utilisent déjà à titre expérimental… parfois même sans en avertir ses clients.

Divers scandales ont ainsi alerté l’opinion publique et contraint les entreprises à modérer leurs ambitions dans l’utilisation des RFID. Suite à une expérience discrète menée, en juillet 2003, dans un supermarché du géant américain de la grande distribution Wal-Mart, l’association CASPIAN (Consumers Against Supermarket Privacy Invasion and Numbering) a appelé au boycott de ce nouveau moyen d’intrusion et de surveillance de la vie privée des personnes. Plus récemment le groupe allemand Métro a reconnu avoir distribué, dans un supermarché de la Ruhr, quelque 10 000 cartes de fidélité équipées de puces RFID, à l’insu de sa clientèle. Les manifestations des consommateurs ont finalement conduit le groupe à mettre fin, le 26 février 2004, à cette expérience.

En France, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a d’ores et déjà placé les étiquettes à RFID parmi les technologies à risques pour les libertés individuelles, estimant qu’elles constituent des données personnelles au sens de la loi informatique et libertés de 1978.

Une expérience controversée

L’expérimentation d’étiquettes « intelligentes » par le groupe Wal-mart a été révélée, en juillet 2003, par le quotidien américain Chicago Sun Time. L’ajout d’étiquettes RFID aux rouges à lèvres de la marque LipFinity du groupe Procter&Gamble permettait, à l’aide de webcam dissimulées dans le magasin, d’observer en direct et à son insu le comportement du client lorsque celui-ci manipulait l’objet. Une expérience similaire menée sur les lames de rasoir Gillette avait été révélée peu de temps avant par l’association Caspian.

Depuis fleurissent sur Internet les sites invitant au boycott de cette technologie, tel que le site de l’association CASPIAN intitulé « Stop RFID », ou des marques qui les utilisent comme « Boycott Gillette » ou « Boycott Beneton ».

A titre ironique, un « césar de la surveillance » a été créé par l’association Big Brother Awards France, luttant contre les abus qui menacent la vie privée des citoyens. Baptisé prix Orwell, il a été attribué, en 2003, à la société française Inside Contactless pour avoir vendu au gouvernement chinois quelque 10 millions d’étiquettes RFID destinées à équiper les cartes d’étudiants.

Comment contrôler l’usage de la technologie RFID ?

Comment contrôler l'usage des RFID ? Yann Le Hegarat

Plusieurs solutions théoriques permettraient de contrôler l’usage des étiquettes RFID, mais leur mise en œuvre reste parfois problématique.

La plus simple semble être de permettre la désactivation des puces à la sortie des magasins. La CNIL recommande d’intégrer, dès la fabrication, un dispositif technique garantissant la neutralisation du système RFID ainsi qu’un système de visualisation simple de l’état, actif ou non, de la puce.

Par ailleurs, l’association allemande de protection des consommateurs, FoeBuD, est en train de mettre au point son DataPrivatizer, un petit appareil portatif permettant le repérage des puces cachées dans les produits... Mais l'essentiel reste l’encadrement juridique de cette technologie.

Fanny Villecroze le 29/04/2004