Depuis près de vingt ans, l’idée que l’extinction des dinosaures est due à la chute d’une météorite a fait de nombreux émules. Une étude récente montre cependant que le cratère de Chicxulub, identifié comme le lieu d'impact de cette catastrophe, est antérieur de 300 000 ans à la disparition des dinosaures.
Tombée du ciel…
Le scénario était digne des plus grands films hollywoodiens. Jugez-en plutôt…
Il y 65 millions d'années, à la fin du Crétacé, une gigantesque météorite de près de 10 km de diamètre entre en collision avec la Terre à la vitesse de 50 000 km/h. L'impact, d'une violence inouïe, souffle des régions entières, créant un immense raz de marée et projetant dans l'atmosphère suffisamment de poussières pour obscurcir le sol durant des mois. Incapables de vivre sans soleil, de nombreuses plantes finissent par mourir, suivies par les herbivores, puis par les carnivores. Près de 80% des espèces végétales et animales - dont les dinosaures - disparaissent ainsi définitivement de la Terre.
La thèse de la météorite, proposée en 1980 par Walter et Luis W. Alvarez (prix Nobel de Physique 1978), recueille aujourd'hui de nombreux suffrages. Et pour cause, plusieurs indices géologiques montrent qu'un impact météoritique a bien eu lieu il y a 65 millions d'années, entre le Crétacé et le Tertiaire (la « limite K-T »). Depuis le début des années 90, le cratère lui-même semble avoir été identifié. D'un diamètre de plus de 200 km, il se situerait dans la région mexicaine du Yucatan, sous le village de Chicxulub.
Seul problème : l'équipe scientifique de Gerta Keller, micropaléontologue à l'Université de Princeton, aux États-Unis, vient de montrer* que ce cratère s'est formé 300 000 ans avant la disparition des dinosaures !
* travaux publiés dans le PNAS, vol. 101, no. 11, 3753–3758 (16 mars 2004)
La météorite n’est plus une hypothèse de travail
Que l'on accepte ou non qu'une météorite soit à l'origine de l'extinction des dinosaures, plus personne ne semble aujourd'hui contester qu'un objet s'est écrasé sur Terre il y a 65 millions d'années. De nombreux éléments présents dans certaines couches géologiques témoignent de cet événement :
- des marqueurs chimiques, minéralogiques et isotopiques associés à la météorite (en particulier de l'iridium)
- des matériaux terrestres provenant du cratère et portant les stigmates de la collision : minéraux déformés et roches fondues (tectites)
- d'autres traces : présence de suie (caractéristique d'incendies de forêts), traces de raz de marée…
... 300 000 ans trop tôt !
Entre décembre 2001 et février 2002, le Chicxulub Scientific Drilling Project (CSDP) menait une campagne internationale de forage sur le site de Yaxcopoil à une soixantaine de kilomètres du centre du cratère. Gerta Keller et son équipe, membres du CSDP, ont pu étudier un échantillon de cette carotte prélevée entre 894 et 794 m de profondeur : une région comprenant la fameuse limite K-T.
Résultat : les chercheurs ont pu retrouver les traces de l'impact de Chicxulub, en particulier des roches fondues (appelées tectites) projetées lors du choc. Mais ils ont aussi pu constater que ces traces ne coïncident pas avec la limite K-T, riche en iridium, et correspondant à l'extinction des dinosaures. Les tectites et la limite K-T sont ainsi séparées par une couche calcaire d'une trentaine de centimètres riche en microfossiles et présentant une stratification : des indices montrant qu'un phénomène de sédimentation lente a eu lieu durant approximativement 300 000 ans. Ces travaux suggèrent ainsi que la météorite de Chicxulub n'est pas à l'origine de la fin du Crétacé. La vie, comme en témoignent les microfossiles de la couche calcaire, a pu continuer à se développer durant environ 300 000 ans, jusqu'à l'extinction massive qui a emporté les dinosaures.
Des facteurs multiples
Reste à trouver la cause de cette extinction massive... Pour Gerta Keller, comme pour le géologue français Vincent Courtillot, une météorite ne peut, à elle seule, provoquer une extinction de masse. Premier argument : l'extinction de la fin du Crétacé n'a pas été aussi brutale qu'on veut bien le faire croire. Les coupes géologiques montrent en effet que de nombreuses espèces planctoniques ont commencé à disparaître plusieurs centaines de milliers d'années avant l'impact.
Deuxième argument : on sait désormais que la Terre a connu une période d'intense activité volcanique durant cette même période. Dans la région du Deccan, en Inde, une faille de 400 km a laissé échapper de la lave en fusion pendant plusieurs mois. Les ''Trapps du Deccan'', couches de roches volcaniques parfois épaisses d'un kilomètre, en témoignent aujourd'hui. « Nos études montrent qu'un tel volcanisme, en raison des rejets massifs de CO2 et de soufre, est beaucoup plus enclin à modifier le climat mondial qu'une météorite, explique Vincent Courtillot. D'ailleurs, des ''trapps'', indices d'un volcanisme intense, ont pu être associés à chacune des cinq grandes extinctions massives qui ont eu lieu depuis l'apparition de la vie. »
Il n'empêche que la frontière K-T présente des traces évidentes d'iridium, un élément absent de la croûte terrestre et présent dans les météorites. Gerta Keller ne l'ignore pas et estime qu'il y a 65 millions d'années, 300 000 ans après l'impact de Chicxulub, une autre météorite – dont on ne connaît toujours pas le cratère – a porté le coup de grâce à de nombreuses espèces déjà fragilisées par le volcanisme du Deccan.
Des conclusions très discutées
Autant dire que la thèse soutenue par Gerta Keller demeure aujourd'hui très controversée. Pour Jan Smit, un paléontologue néerlandais qui défend la thèse météoritique depuis de nombreuses années, la couche calcaire surmontant les traces de l'impact de Chicxulub a été apportée par le gigantesque raz de marée qui s'est produit juste après la chute de la météorite.
Vincent Courtillot, qui partage pourtant de nombreuses théories avec Gerta Keller, semble lui-même perplexe quant aux conclusions de sa collègue : « Très peu de grosses météorites sont tombées sur Terre, constate-t-il. J'ai du mal à croire que deux objets massifs aient pu tomber en seulement 300 000 ans dans une même région… » Autant dire que le débat n'est pas clos.