1910 - 2010 : d'une crue à l'autre ?

À l'occasion du centenaire de la crue de Paris de janvier 1910, des experts nous éclairent sur un phénomène observé de près dans la capitale : les risques d'inondation.

Par Romain Lejeune, le 25/01/2010

Un siècle de travaux pour contenir la crue

Le pont de l'Alma, Paris, 30 janvier 1910

Début 1910, des pluies diluviennes s'abattent sur Paris. Le 28 janvier, le pic de crue est atteint : 8,62 mètres recensés sur le zouave du pont de l'Alma. On estime aujourd'hui que près de 5% de la superficie de la région parisienne serait touchée si une crue comparable à celle de 1910 avait lieu, soit plus de 56 000 hectares. 850 000 habitants seraient directement exposés aux inondations, près de 2 millions de personnes seraient affectées par des coupures d'électricité et 2,7 millions par des coupures d'eau potable. « Nous sommes bien mieux préparés qu'il y a un siècle, explique Pascal Popelin, président des Grands lacs de Seine. Pourtant, avec le développement exponentiel de l'urbanisation, les dommages seraient plus importants si une nouvelle grande crue avait lieu aujourd'hui ». Le développement de l'habitat en zones inondables est en partie en cause. De plus, les réseaux électriques et les réseaux de transport (Métro, RER, etc.), embryonnaires en 1910, se sont en un siècle fortement développés, et seraient donc beaucoup plus exposés.

Les principales crues à Paris

Lorsque la ligne de hauteur d'eau atteint 4,30 mètres, il est interdit de naviguer sur la Seine.
  • 1658 : 8,96 mètres
  • 1910 : 8,62 mètres
  • 1924 : 7,32 mètres
  • 1955 : 7,14 mètres
  • 1945 : 6,85 mètres
  • 1982 : 6,18 mètres
  • 1988 : 5,39 mètres
  • 2000 : 5,20 mètres
  • 1995 : 4,96 mètres
  • 1990 : 4,50 mètres
Carte des zones inondables à Paris

Pour limiter la montée des eaux, d'importants travaux ont été réalisés. Quatre lacs-réservoirs ont été construits au sud et à l'est de Paris. Ils permettent d'une part de soutenir le débit d'étiage, c'est-à dire de transférer de l'eau vers Paris en été si nécessaire ; et d'autre part, de lutter contre les crues. Ces quatre ouvrages permettent de retenir 830 millions de mètres cubes d'eau. Leur présence diminuerait ainsi de 70 centimètres la ligne d'eau à Paris dans le cas d'une crue type 1910, réduisant d'un tiers les dommages éventuels. D'autres travaux ont également été effectués : creusement du lit de la Seine, rehaussement des ponts, construction d'écluses, etc.

De l'orage à la crue

Sandrine Anquetin, CNRS
« L'orage se quantifie par son intensité pluviométrique et par son déplacement...».

Prévoir la crue

« La principale difficulté est de mesurer la pluie… »

Même si on ne peut pas prédire la date à laquelle aura lieu la prochaine grande crue parisienne, les chercheurs peuvent l'anticiper. « Premièrement, on mesure la quantité d'eau qui va tomber sur le bassin versant à l'aide de pluviomètres, précise Denis Dartus, chercheur à l'Institut de mécanique des fluides (CNRS) de Toulouse. Depuis 1995, les radars hydrologiques viennent compléter ces pluviomètres. Ces radars permettent d'analyser le nombre et la taille des gouttes de pluie. Enfin, il faut surveiller l'eau qui s'écoule dans le sous-sol jusqu'au fleuve ». Parallèlement, les ingénieurs du service de prévision des crues collectent les données de prévision de pluie, et les mettent en relation avec le débit du fleuve.

La propagation de l'eau

« L'eau s'infiltre dans le sous-sol et le sature. »

Lorsqu'il pleut à l'amont d'un affluent de la Seine, son débit augmente, les spécialistes tentent alors d'anticiper son parcours. Ils peuvent ainsi prévoir la masse d'eau qui se sera accumulée et qui se jettera dans la Seine, et anticiper, selon ces prévisions, les dégâts qui seront engendrés. « Par exemple, les débits qui passent à Melun passeront à Paris le lendemain, en s'additionnant à ceux de la Marne. A partir de ces observations, nous établissons des prévisions sur les hauteurs d'eau à Paris notamment », précise Fabrice Daly, chef du service de prévision des crues d'Île-de-France.

Modélisation pluviométrique

Modélisation d'un débit

Et si l'eau débordait aujourd'hui ?

La rue de Lyon, janvier 1910

« On ne peut pas éviter un phénomène naturel, précise Pascal Popelin, l'homme ne domine pas la nature mais il reste des choses à faire pour mieux anticiper la catastrophe ». Pour diminuer au maximum les risques, la construction d'un ouvrage est en projet à l'embouchure de l'Yonne (aménagement de La Bassée). « Il ne s'agit pas d'un barrage, explique Fabrice Daly, mais de pompes et de digues capables de maintenir l'eau ». Grâce à cette technique, l'eau ne serait pas arrêtée, mais ralentie. Cet ouvrage diminuerait de 30 centimètres la hauteur d'eau à Paris en cas de crue, soit un mètre au total si on les additionne aux 70 centimètres retenus par les quatre grands lacs. « Sur une crue de plus de huit mètres de hauteur, chaque centimètre gagné représente des millions d'euros de dégâts en moins », précise Pascal Popelin.

Saint-Germain-des-Prés sous les eaux

En cas d'annonce de grande crue à Paris, il est prévu un certain nombre de mesures. La population sera avertie grâce à un dispositif d'alerte entre 1 et 3 jours avant le débordement de la Seine. Si, à l'échelle d'Austerlitz, située près du pont du même nom, la ligne d'eau atteignait 5,5 mètres de hauteur, une procédure d'urgence au musée d'Orsay serait déclenchée afin d'évacuer l'essentiel des œuvres vers un lieu sécurisé en banlieue, et de protéger sur place les sculptures indéplaçables. Côté transport, la RATP devrait pouvoir boucher tous les accès sur la zone inondable en deux jours. Aujourd'hui, 69 000 parpaings et 270 bétonnières sont stockés dans un lieu tenu secret pour ériger près de 500 ouvrages qui empêcheraient les eaux de s'engouffrer dans le réseau. Pour faire face aux pannes d'électricité, EDF possède des groupes électrogènes qu'elle utilisera pour raccorder des secteurs prioritaires. Enfin, la logistique sera pilotée par la préfecture de police, et, dès 5,5 mètres de hauteur d'eau, l'armée déclenchera le plan Neptune. Cette mission permettra le raccordement des postes de commandement (PC) des trois armées (Marine, Air, Terre) déployés sur la zone de Paris.

Une victime et plus d'un milliard d'euros de dégâts, tel a été le bilan de la crue de 1910. Si elle arrivait à son niveau, une crue comme celle-ci provoquerait aujourd'hui, selon les experts, environ 17 milliards d'euros de dégâts. « Sans compter l'impact économique sur les entreprises dont l'activité serait interrompue quelques semaines, précise Fabrice Daly, et qui auraient du mal à se remettre en route, voire disparaîtraient. »

Romain Lejeune le 25/01/2010