Le plastique, c’est pas fantastique !

Des substances présentes dans les plastiques, mais aussi dans les pesticides, détergents, cosmétiques et rejets industriels, sont accusées d'interférer avec notre système hormonal et d'agir notamment sur la fertilité masculine. À l'occasion d'une récente étude mettant en cause des bouteilles d'eau minérale en plastique, retour sur ces composés appelés « perturbateurs endocriniens » en compagnie de René Habert, professeur de physiologie de la reproduction à l'Université Paris 7.

Par Paloma Bertrand, le 23/06/2009

Des spermatozoïdes disparaissent…

« En 1970, en région parisienne, un homme produisait en moyenne 90 millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme. En 1995, il n'en produit plus que 50 millions. »

Le constat, avec René Habert, professeur de physiologie de la reproduction à l'Université Paris 7.

Spermatozoïdes moins nombreux, moins mobiles, mal formés. Dans les bureaux flambants neufs de l'Université Paris Diderot - Paris 7, René Habert, qui dirige l'unité « gamétogénèse et génotoxicité » (CEA/Inserm) est formel. Actuellement, un homme produit en moyenne deux fois moins de spermatozoïdes que son grand-père n'en produisait au même âge. René Habert n'est pas le seul à faire le constat d'une baisse de la fertilité masculine, la communauté scientifique s'accorde à reconnaître les faits. En outre, durant les dernières décennies, sont également notées une recrudescence de cancers hormono-dépendants (testicule, sein, prostate, thyroïde) et une avancée de l'âge de la puberté chez les jeunes filles.

Des hormones dans le plastique ?

Comment expliquer de tels phénomènes ? « Une baisse de la fertilité masculine aussi rapide ne peut être le fruit d'une évolution naturelle, elle ne peut provenir que de notre environnement, de notre mode de vie », explique René Habert. En fait, il semblerait que des molécules issues de procédés industriels (provenant de certains plastiques, cosmétiques, détergents ou pesticides) viendraient perturber la production ou l'action de nos hormones. Pour cette raison, les scientifiques les nomment « perturbateurs endocriniens ».

Dès 2007, l'Union européenne recense plus de 300 perturbateurs endocriniens ; et depuis, de nouvelles substances viennent régulièrement enrichir la liste. Certaines, dont la toxicité est avérée même à très faible dose, sont retirées du marché. Les autres restent sous haute vigilance : scientifiques, industriels, médias et politiques alimentent le débat.

Les perturbateurs endocriniens

Qu'est-ce qu'un perturbateur endocrinien et comment fonctionne-t-il ? Ces petites molécules sont généralement incorporées à un produit initial afin d'en améliorer les « performances ». Les phtalates, par exemple, assouplissent le plastique, améliorent sa tenue aux chocs et au froid, empêchent le vernis de craquer, aident une crème à pénétrer dans la peau ; les retardateurs de flamme ralentissent la combustion…

Chimiquement, ces composés se détachent de l'élément principal auquel ils sont incorporés et se dispersent dans le milieu qui les environne : l'air, les liquides, les aliments… Respirées, ingérées, absorbées par la peau, ces substances interagissent alors avec le système hormonal selon différents modes opératoires à ce jour encore mal compris. Certains perturbateurs imitent le fonctionnement d'hormones naturelles, d'autres bloquent leur action ou encore perturbent leur production, leur circulation ou leur décomposition.

L'état des débats

Expertises scientifiques, pressions de la société civile, atermoiements politiques, prises de position des industriels… L'exemple des biberons au bisphénol A (BPA) est un cas d'école. Le BPA est un composé chimique présent dans de nombreuses boîtes de conserve, canettes et récipients en plastique, dont les biberons. En avril 2008, sous la pression des consommateurs, le Canada classe le BPA dans la catégorie des substances dangereuses et interdit son utilisation dans les biberons. En avril 2009, la France adopte la position inverse : après consultation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, le ministère de la Santé estime que la quantité de BPA utilisée dans les biberons est trop faible pour être toxique et qu'il n'y a donc pas lieu d'interdire la commercialisation de ces biberons. Entre temps, les industriels ont pris les devants et proposent désormais des biberons en plastique sans BPA.

Une autre affaire du même ordre surgit en avril 2009 : une étude allemande révèle, pour la première fois, la présence d'une activité hormonale dans des bouteilles d'eau en plastique. « Les études précédentes ayant montré que les bouteilles en plastique ne rejetaient pas plus de composés hormonaux que les bouteilles en verre, Il est important de vérifier si ces nouveaux résultats se confirment », annonce René Habert. Ces hormones proviennent-elles du plastique, de l'antimoine (un matériau utilisé lors de la fabrication de la bouteille en plastique), de l'eau elle-même ? La question n'est pas encore résolue. Mais comme le déplore René Habert, « dans le domaine des perturbateurs endocriniens, le secret industriel qui protège les procédés de fabrication ne facilite pas la tâche des scientifiques ».

L'état de la science

Où en est la recherche ?

Les sujets d'interrogation sur les perturbateurs endocriniens sont légion : les substances suspectées sont très nombreuses et constituent une « population » hétérogène dont les modes d'action et les conséquences sur la santé ne sont pas identiques. En toxicologie, il existe une règle d'or : c'est la dose qui fait le poison, un produit ne devenant toxique qu'à partir d'un certain seuil. Et c'est sur cette règle que s'appuient les industriels pour défendre leurs produits. Mais il semble que pour les perturbateurs endocriniens, les choses soient plus compliquées.

Ainsi, certains d'entre eux seraient peu toxiques à concentration moyenne et très toxiques à des doses faibles. De plus, ce ne serait pas seulement la dose mais aussi le moment et la durée de l'exposition qui seraient à prendre en compte. Enfin, dernier point et non des moindres : les effets conjugués de plusieurs perturbateurs endocriniens. Présents à des doses jugées toxiques, leur mélange pourrait dans certains cas les rendre inoffensifs. Inversement, des perturbateurs présents à des doses infimes pourraient voir leurs effets démultipliés. À défaut de comprendre ce phénomène, les chercheurs lui ont donné un nom : l'effet cocktail. Et la question est de taille : en effet, qu'en est-il de l'exposition même minime, mais concomitante, à des dizaines de composés chimiques différents ? René Habert estime qu'il faudra une dizaine d'années pour éclaircir tous ces mystères.

La prudence est de mise

Conseils et recommandations

En attendant, la vigilance s'impose, particulièrement pour les femmes enceintes et les très jeunes enfants. La période de gestation (particulièrement les trois premiers mois de la grossesse) semble être cruciale. L'infertilité masculine et certains cancers hormono-dépendants seraient les conséquences d'une exposition à des perturbateurs endocriniens au stade fœtal ou dans la prime enfance. L'Agence danoise de protection de l'environnement distribue d'ailleurs à toutes les femmes enceintes et à celles qui allaitent neuf conseils pratiques. L'État français s'oriente aussi vers ce type de recommandations comme en témoigne les priorités annoncées par la ministre de la Santé lors d'un colloque sur « l'environnement chimique, la reproduction et le développement de l'enfant » organisé en novembre 2008. Signe que, sans encore invoquer le principe de précaution, les politiques se sont emparés du dossier avant que les énigmes aient été toutes élucidées.

Paloma Bertrand le 23/06/2009