L'épidémie de choléra qui sévit au Zimbabwe, et qui a tué au moins 4 000 personnes, risque de perdurer. En cause, le manque d'eau potable et d'assainissement, et la dégradation du système de santé. Le point avec le président de MSF, Christophe Fournier, de retour de ce pays enclavé entre l'Afrique du Sud, le Bostwana, la Zambie et le Mozambique.
Une épidémie galopante
89 000 personnes touchées et plus de 4 000 morts : tel est au 8 mars 2009 le bilan officiel, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de l'épidémie de choléra qui sévit au Zimbabwe, au sud de l'Afrique. Un bilan provisoire, puisque l'épidémie est loin d'être terminée, et sûrement sous-estimé, puisqu'il est difficile de recenser tous les cas. L'épidémie a débuté en août 2008 dans la capitale, Harare, où elle a rapidement touché un grand nombre de personnes, puis elle s'est répandue dans tout le pays en suivant les grandes voies de transport. Les villes ont d'abord été touchées, puis les campagnes. " Suivant la tradition, la famille d'un défunt ramène le corps au village pour y être enterré, raconte Christophe Fournier, président international de Médecins sans frontières (MSF). Ce corps, très souillé, est manipulé, et entraîne souvent la contamination du village." Or, si les villes disposent parfois de centres de traitement, les malades à la campagne sont plus isolés, donc plus difficiles à soigner.
« La première semaine de février, on enregistrait un nouveau cas de choléra chaque minute », témoigne Christophe Fournier. MSF a pris en charge 45 000 patients depuis le début de l'épidémie, soit 75 % des cas répertoriés. « Ce n'est pas suffisant, il faut une aide plus massive au Zimbabwe », réclame son président, s'adressant à la fois aux autorités zimbabwéennes qui lui mettent parfois des bâtons dans les roues, et aux pays et instances internationales qui conditionnent l'aide à des considérations politiques.
Les malades sont infectés en buvant de l'eau contaminée ou en ingérant des aliments souillés par l'agent du choléra. Il s'ensuit de fortes diarrhées, les malades pouvant perdre jusqu'à 15 litres d'eau par jour. L'absence de fièvre est une des caractéristiques du choléra. En quelques jours, voire quelques heures, la mort survient par déshydratation dans 25 à 40 % des cas en absence de traitement.
Le vibrion cholérique
L'agent responsable du choléra est une bactérie appartenant à l'espèce Vibrio cholerae. Il existe plus de 200 sérogroupes au sein de l'espèce V. cholerae, mais seules les souches appartenant aux sérogroupes 01 et 0139, appelés vibrions cholériques, sont à l'origine du choléra. Les vibrions cholériques survivent chez l'homme ou dans les milieux humides, c'est pourquoi ils se transmettent essentiellement par des eaux souillées. La bactérie se fixe dans l'intestin, où elle se multiplie, et produit une toxine qui entraîne une perte massive d'eau et de sels minéraux, à l'origine de diarrhées extrêmement sévères.Un traitement simple
Pourtant, le choléra n'est pas difficile à traiter : il « suffit » de réhydrater le malade. Arrivé avec la peau sur les os et les yeux creusés, le malade reprend de la vigueur en quelques heures, donnant véritablement l'impression de ressusciter. C'est l'observation faite sur le terrain par tous ceux qui ont pris en charge des patients atteints. Cette réhydratation doit cependant intervenir suffisamment tôt et être menée sous surveillance médicale, pour vérifier que l'on compense exactement les pertes d'eau, car une réhydratation menée menée trop ou pas assez rapidement peut tuer. Dans les cas les plus sévères, environ 20 % des malades, la réhydratation est réalisée par perfusion intraveineuse.
« Lorsque l'épidémie est bien prise en charge, le nombre de personnes atteintes qui décèdent est inférieur à 1 %, souligne Marie-Laure Quilici, responsable du Centre national de référence des vibrions et du choléra à l'Institut Pasteur. Au Zimbabwe, ce taux est actuellement de 5%. » Réhydratés, les malades guérissent d'eux-mêmes, la mise en place des défenses immunitaires contribuant à l'élimination du vibrion cholérique. La maladie ne laisse aucune séquelle, puisque le vibrion ne pénètre pas dans les cellules de l'intestin. Il existe certes des vaccins, mais assurant une protection de courte durée, et dont l'administration nécessite des moyens logistiques difficiles à mettre en œuvre dans des pays pauvres.
La septième pandémie
Malheureusement, le Zimbabwe n'est pas le seul pays où sévit le choléra. Chaque année, 200 000 à 300 000 cas sont déclarés à l'Organisation mondiale de la santé par différents États. Or, l'OMS estime que cela ne correspondrait qu'à 10% des cas réels. Entre 2 et 3 millions de personnes seraient donc atteintes chaque année par le choléra. Cette sous-estimation a plusieurs causes.
Tout d'abord, les services de santé n'ont connaissance que des personnes qui se font soigner dans un centre de santé, mais pas des malades qui restent, et souvent meurent, à domicile. D'autre part, tous les cas ne sont pas diagnostiqués, et derrière certaines « diarrhées aiguës » à l'origine inconnue se cache en fait le choléra. Enfin, certains pays rechignent à déclarer les cas de choléra, par peur d'une mauvaise image et de retombées économiques néfastes, notamment sur le tourisme. Ainsi, le Bangladesh, où l'on sait que le choléra est endémique, ne déclare jamais aucun cas de choléra.
À l'échelle planétaire, depuis 1961, nous assistons à la septième pandémie de choléra, c'est-à-dire à la septième vague d'épidémie mondiale. La première recensée date de 1817. La dernière a démarré en Asie, dans les îles des Célèbes en Indonésie, avant d'atteindre l'Afrique en 1971 et l'Amérique latine en 1991. Le vibrion cholérique se déplace avec l'homme, et c'est la bactérie qui se multiplie le plus rapidement, ce qui lui permet d'atteindre rapidement des concentrations élevées dans l'eau et les aliments contaminés et ainsi d'infecter l'homme. D'où l'importance d'un diagnostic précoce, dès les premiers cas dans un pays, pour prendre toutes les mesures nécessaires avant que l'épidémie ne prenne de l'ampleur. L'Institut Pasteur a ainsi mis au point un test de diagnostic rapide par bandelette qui, immergé dans les selles d'un malade, permet de déterminer en quelques minutes s'il s'agit ou non du choléra. Ce test est maintenant commercialisé par une société indienne.
Une priorité : l’hygiène
« Le choléra est toujours lié à des problèmes socio-économiques, rappelle Marie-Laure Quilici. Il apparaît lorsque la pauvreté est telle que l'accès à l'eau potable et aux infrastructures de santé est inexistant. » On l'observe aussi dans des camps de réfugiés, par exemple au camp de Goma au Congo, qui rassemblait 500 000 à 800 000 réfugiés, et où 23 800 personnes ont péri du choléra en 1994. Soit davantage, proportionnellement, qu'à Paris en 1832, où 18 000 habitants avaient péri sur une population de 950 000. « Ainsi, même si l'on connaît bien mieux la maladie qu'à l'époque, il n'y a pas de ce point de vue de progrès notables dans les pays les plus pauvres par rapport au XIXe siècle concernant la prise en charge ! », regrette Marie-Laure Quilici.
La priorité dans la lutte contre le choléra est double. Améliorer les réseaux d'eau potable et d'assainissement, ainsi que les systèmes de santé. Et éduquer les habitants aux règles d'hygiène. « Ce n'est pas si simple, observe cependant Marie-Laure Quilici. Comment espérer une amélioration de l'hygiène quand les populations n'ont à leur disposition que de l'eau contaminée ? Si l'on voulait améliorer l'hygiène de certains pays par la mise en place de réseaux d'assainissement de l'eau, il faudrait raser des quartiers entiers insalubres et déplacer des millions de personnes. »
Au Zimbabwe, la situation est d'autant plus désolante que le système de santé du pays a longtemps été cité en exemple, avec un véritable réseau d'hôpitaux et de dispensaires, et du personnel très bien formé. Mais ce personnel n'est plus payé, les médicaments manquent, le réseau d'eau est très détérioré, même dans la capitale, où des coupures de plusieurs jours ne sont pas rares. « Nous assistons à l'effondrement d'un système de santé qui était auparavant vanté comme un modèle, affirme Manuel Lopez, chef de mission de MSF au Zimbabwe. Les patients atteints du choléra ne sont pas les seuls à subir cet effondrement. » La malnutrition, la malaria (ou paludisme) et le sida font aussi des ravages. Quant au choléra, il risque de rester présent longtemps, tant est gigantesque la tâche à accomplir pour sortir du chaos économique la question cruciale de l'approvisionnement et de l'assainissement de l'eau ainsi que le système de santé zimbabwéen.