Piton de la Fournaise : l'éruption du siècle ?

Commencée au début du mois d'avril, la dernière éruption du Piton de la Fournaise, sur l'île de la Réunion, a de quoi impressionner. Des fontaines de lave dépassant les 200 m de hauteur, un volume libéré de près de 50 millions de m³, l'effondrement du cratère principal sur 300 m de profondeur, la mort mystérieuse de poissons parfois inconnus sur l'île… Pour de nombreux Réunionnais, il s'agit sans conteste de l'éruption du siècle. Mais qu'en pensent les scientifiques ?

Par Olivier Boulanger, le 13/04/2007

Du jamais vu !

Plus de 100 m³ par seconde : c'est le débit estimé des coulées de lave.

Mardi 10 avril, après huit jours d'une exceptionnelle activité, le Piton de la Fournaise semble enfin se calmer. Les dernières fontaines de lave se tarissent les unes après les autres… Fausse alerte ! Le lendemain même, l'éruption reprend de plus belle.

« C'est incroyable, s'exclame Thomas Staudacher, directeur de l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise. De mémoire de Réunionnais, on n'avait jamais observé une éruption d'une telle ampleur, et encore moins à l'observatoire qui n'existe que depuis 1980. » De l'avis même du scientifique, cette dernière crise volcanique mérite bien son qualificatif « d'éruption du siècle ».

L’un des volcans les plus actifs au monde

La faille est située très à l'est du volcan.

Situé à l'est de l'île de la Réunion, et culminant à 2632 m d'altitude, le Piton de la Fournaise est réputé pour être l'un des volcans les plus actifs au monde puisqu'il entre en éruption plusieurs fois par an. C'est donc sans grande surprise que, dans le nuit du 30 au 31 mars, les scientifiques constatent un regain d'activité du volcan : rien d'extraordinaire, mais la sismicité mesurée sous le cratère laisse les volcanologues en alerte. « Une reprise de l'activité dans les heures ou les jours à venir n'est pas à exclure » souligne dans son bulletin quotidien Aline Peltier de l'observatoire volcanologique.

Reprise des hostilités...

Les coulées terminent leur course dans l'océan.

Ces présomptions se confirment. Le 2 avril, le volcan entre à nouveau en éruption mais à un tout autre régime.

Sur le flan Est du Piton, loin du sommet, à environ 500 m d'altitude, une faille laisse échapper un flux continu de lave. Plusieurs chenaux se forment et viennent rapidement recouvrir la route nationale en contrebas sur plus de 1300 mètres de largeur avant de se précipiter dans la mer dans un immense nuage de vapeur.

Certaines fontaines de lave ont atteint les 200 m.

« On a vu des fontaines de lave largement dépasser le rempart [NDLR : la caldera qui entoure le volcan principal]. On peut ainsi estimer qu'elles s'élevaient à plus de 200 mètres de hauteur : je n'avais jamais vu ça auparavant, s'exclame Thomas Staudacher. »

La vitesse des coulées de lave semble également atypique. « Une fois les chenaux formés, nous avons pu voir la lave atteindre plusieurs dizaines de kilomètres à l'heure », note le directeur de l'observatoire.

Thomas Staudacher, directeur de l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise.

« Le débit est toujours difficile à évaluer, explique-t-il, mais on peut l'estimer à 100 m³ par seconde, ce qui, en une semaine, correspond à un volume de lave de 40 à 50 millions de m³. Du jamais vu sur une période aussi courte. »

À titre de comparaison, l'éruption de 1998 avait produit quelque 60 millions de m³ de roches… mais sur une période de 6 mois !

Le Dolomieu s’effondre

Le cratère Dolomieu, après son effondrement.

Après la crise volcanique principale, plusieurs milliers de petits séismes ont pu être détectés sous le sommet. « Cela a déjà été observé en 1986 et en 2002, note Thomas Staudacher. Et à chaque fois, ce phénomène s'est accompagné par un effondrement – très partiel à l'époque – du Dolomieu, le principal cratère du Piton de la Fournaise. »

Entre le 6 et le 7 avril, le même scénario se reproduit, mais à une toute autre échelle. En moins de 24 heures, le plateau qui se trouve au fond du cratère – et dont la taille équivaut à dix terrains de football – s'affaisse de 300 m.

Le même cratère, quelques mois plus tôt.

Un « effet de vidange », explique les spécialistes... L'éruption a eu lieu assez loin du sommet mais la lave qui s'en est échappée provenait de la chambre magmatique située sous le Dolomieu, entre 200 et 500 m d'altitude au-dessus du niveau de la mer. Une fois vidée, le plafond de la chambre magmatique s'est progressivement fissuré pour finalement s'effondrer.

De forme conique, la zone d'effondrement un volume de 50 millions de m³ correspondant sensiblement au volume de lave déversé depuis le début de la crise éruptive.

D’étranges victimes…

Le Piton de la Fournaise n'est pas un « tueur » et, une fois de plus, l'éruption du volcan n'a fait aucune victime… à l'exception de quelques poissons étranges !

Depuis plusieurs années, le cinéaste Alain Mussard et Jean-Pascal Quod, directeur de l'ARVAM, plongent sur les coulées de lave pour étudier comment la vie – les algues, les coraux… – se réapproprient ces nouveaux fonds. Le 8 avril, les deux hommes envisagent ainsi de plonger sur les dernières coulées. « Mais impossible de mettre le pied dans l'eau, explique Jean-Pascal Quod, l'eau dépassait les 45°C, et les coulées de lave irrégulières présentaient un grand danger. En revanche, nous avons été surpris de constater une véritable hécatombe à la surface de l'eau : des centaines de poissons morts, un phénomène que nous observons pour la première fois à la Réunion. »

Certains de ces poissons apparaissent littéralement cuits : rien d'étonnants étant donné la température de l'eau à proximité de la lave. Mais d'autres ne présentent aucune trace de brûlure. En particulier, de nombreux poissons vivant habituellement à plusieurs centaines de mètre de profondeurs ont été retrouvés morts. Or, la lave n'atteint pas ces profondeurs.

Jean-Pascal Quod (ARVAM)

Pour Jean-Pascal Quod, plusieurs hypothèses peuvent expliquer leur mort. La première est que les poissons aient été intoxiqués par certains composés chimiques issus de la lave. La seconde serait l'existence d'une fissure volcanique à grande profondeur. De prochains sondages sous-marins devraient permettre de résoudre cette énigme. En attendant, les poissons – pour certains inconnus à la Réunion – sont recueillis à l'aquarium de Saint-Gilles où ils doivent être étudiés plus en détails.

Note : selon le communiqué publié par la préfecture de la Réunion, le 13 avril, l'éruption du Piton de la Fournaise s'est « inscrite dans la durée ». Plus d'infos sur le site de l'Observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise.

Olivier Boulanger le 13/04/2007