Corne de l’Afrique : la malédiction de Cassandre

Depuis un an, des climatologues prédisent qu’une sécheresse majeure menace de s’abattre sur l’Afrique de l’Est. Pour autant, rien n’a été fait pour anticiper le drame. Récit d’une famine que la science aurait pu éviter.

Par Viviane Thivent, le 12/08/2011

Carte présentant les zones frappées de famine

Certains succès ressemblent à des échecs. Ainsi, en août 2010, les climatologues du Famine Early Warning Systems Network (FEWS Net) ont prédit qu’une sécheresse majeure menaçait de s’abattre sur la Corne de l’Afrique. Les progrès de l’imagerie satellitaire et de la climatologie se révélaient payants et, enfin, l’agence américaine créée suite à la grande famine éthiopienne de 1985 pouvait tirer la sonnette d’alarme... en amont. Sauf que personne n’a écouté.

Pas plus en août qu’en novembre quand cette même agence a commencé à évoquer le risque de famine en Somalie. Idem lorsqu’en février, puis mars, les suspicions se sont transformées en certitude : il n’avait pas plu assez, il ne pleuvrait pas assez, la sécheresse avait pris ses quartiers d’été. C’était un fait. Et pourtant, rien. Aucune mesure nationale ou internationale n’a été prise. Il a fallu attendre fin juillet, le 27, pour que 10 tonnes de plumpy nut, les premières aides alimentaires, arrivent sur place.

Seuil de famine

De nos jours, la famine se chiffre. Pour l’ONU, elle est déclarée lorsque plus de 30% des enfants souffrent d’une malnutrition aiguë, que plus de deux personnes sur 10 000 meurent par jour et que la population n’est pas en mesure d’avoir accès à la nourriture. À la date du 10 août, l’office de coordination des affaires alimentaires des Nations unies (l’OCHA) estimait que dans certaines régions de Somalie, 13 personnes sur 10 000 meurent chaque jour.

D'après les prévisions, la situation de famine devrait s'aggraver au cours des prochaines semaines

« Nous avons donné l’information assez tôt mais elle n’a pas été utilisée à bon escient », regrette Chris Funk, climatologue au FEWS Net. Une position que nuance néanmoins Jean-Pierre Céron, directeur adjoint de la climatologie de Météo-France : « Cette année, la Niña a été très particulière. Alors même que la Niña océanique avait disparu, il y a eu une Niña fossile dans l’atmosphère. Ce phénomène est assez rare. »

Et à Frank Roux, du laboratoire d’aérologie de l’université de Toulouse, d’enfoncer le clou : « Il s’agit effectivement d’une année anormale. Il y a eu peu d’activités cycloniques à l’ouest de l’océan Indien et beaucoup de pluie en Australie, d’où les récentes inondations. »

Du coup, pour Jean-Pierre Céron, cette sécheresse n’était pas si facile que cela à prévoir. « Il n’y avait pas de signatures très claires, ni dans les modèles de MétéoFrance, ni dans ceux du Centre européen. En revanche, l’ICPAC l’avait prédit. » L’ICPAC, c’est l’Intergovernmental Authority on Development Climate Prediction and Applications Centre. Son siège est à Nairobi (Kenya) et sa fonction est, entre autres, d’effectuer des prévisions météorologiques saisonnières pour l’Afrique de l’Est et de servir de système d’alerte précoce. Rôle qu’il a joué fin mai en pointant l’imminence d’une sécheresse dans la région équatoriale de la corne africaine. Là encore, en vain.

La Niña

La Niña est un phénomène climatique causé par une anomalie thermique au milieu de l'océan Pacifique. Il survient tous les 4-5 ans comme les épisodes d'El Niño, phénomène climatique dont les conséquences maritimes et climatiques sont globalement l'inverse de celles de La Niña.

Des prévisions... mais pas de réaction

Outre les raisons politiques, ethniques et socio-économiques qui peuvent être invoquées pour expliquer l’arrivée tardive des aides sur place, cette sécheresse – l’une des pires qu’ait connue la région depuis les années 1950 – met en évidence un important dysfonctionnement. Oui, les systèmes d’alerte précoce ont fonctionné. Ils fonctionneront d’ailleurs de mieux en mieux. Pour autant, la façon dont ils sont utilisés – ou plutôt ne le sont pas – a posé problème.

« Le constat n’est pas nouveau, explique Serge Janicot, chercheur à l’IRD et coordinateur pour la France du programme AMMA. Pour ne donner qu’un exemple : en 2004, les conditions climatiques observées nous permettaient d’affirmer qu’une invasion de criquets allait avoir lieu l’année suivante au Niger. Personne n’a écouté. Les criquets ont proliféré, engendrant la famine de 2005. »

Dans un rapport paru en juin dans Climate and Society et portant sur l’amélioration de la gestion des désastres climatiques, une équipe internationale pointe une série de raisons pouvant expliquer la non-appropriation des prévisions climatiques par les autorités compétentes. Sont cités, entre autres choses, le manque de clarté des rapports et prévisions faites par les météorologues et la frilosité des décideurs qui craignent de prendre des mesures coûteuses pour rien.

Viviane Thivent le 12/08/2011