Pollution : ces particules qui nous empoisonnent...

Depuis vingt ans, la qualité de l’air s’est globalement améliorée en Europe grâce à la réduction des pollutions industrielles. Ce n’est pas le cas, toutefois, des pollutions par les particules qui représentent encore, malgré une surveillance accrue, un danger pour la santé. 

Par Geneviève De Lacour, le 29/01/2013

Alors que la Chine se débat avec sa pollution, l’Europe a décrété 2013 « Année de l’air » et prévoit de réviser la directive européenne sur la qualité de l’air. En France, le problème est loin d’être réglé. L’Institut de veille sanitaire (InVS) estime que la pollution est à l’origine de 42.000 morts prématurées par an et provoque de nombreuses maladies (asthme, allergies, maladies respiratoires et cardio-vasculaires). De son côté, le Commissariat général au développement durable (CGDD) évalue le coût sanitaire pour le budget de la santé publique entre 20 et 30 millions d'euros par an. Selon une étude publiée le 14 décembre 2012 dans la revue médicale The Lancet, la pollution de l’air dans le monde tue 3,2 millions de personnes actuellement, contre 800.000 en 2000. Ce phénomène se classe, pour la première fois, dans les dix premières causes mondiales de décès.

Particules sous haute surveillance

Record de pollution en Chine

Entre les polluants gazeux et les particules solides, il n’y a que l’embarras du choix. Autrefois à l’origine de pluies acides, le dioxyde de soufre n’est plus vraiment un problème. « Il y a trente ans, l’essence émettait beaucoup de SO2, c’est pourquoi la France a pris l’option de développer un parc automobile au diesel », explique Francelyne Marano, toxicologue et professeur à l’université Paris 7 Diderot. Si les niveaux de dioxyde de soufre ont diminué, les oxydes d’azote (NOx) posent, eux, toujours problème. Quant aux particules, elles sont sous haute surveillance quotidienne.

La réglementation européenne a d’abord exigé, il y a une dizaine d’années, un suivi des PM10 puis a élargi sa surveillance aux PM2,5 à partir de 2008. Aujourd’hui, les scientifiques réfléchissent à de nouveaux paramètres plus pertinents, comme les PM0,1 ou le carbone suie (black carbon). C’est-à-dire ces fractions organiques issues des imbrûlés des moteurs diesel, des moteurs à essence ou des suies venant du chauffage. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou les métaux lourds sont également réglementés, tandis que le benzène ou les composés organiques volatiles (COV), sont contrôlés mais non réglementés.

PM10... PM2,5...

Les PM, pour particulate matter en anglais, correspondent aux particules dont le diamètre est inférieur respectivement à 10 μm (soit six à huit fois plus petites que l'épaisseur d'un cheveu) et 2,5 μm. Afin de prendre en compte les recommandations de l’OMS relatives à l’impact des particules sur la santé, la surveillance en continu des particules dans l’air ambiant a fortement évolué. Basée depuis une dizaine d’années sur l’indicateur PM10, principalement parce que ce paramètre était, notamment à la fin des années 1990, le seul permettant d’établir une réglementation et un suivi homogène sur tout le territoire européen. Le suivi de cet indicateur a été complété par celui des PM2,5 à partir de 2008.

Trafic routier et bois brûlé

Une étude menée entre 2009 et 2011 par le Réseau de surveillance de la qualité de l'air, AirParif, en partenariat avec le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/université de Versailles), a permis, pour la première fois, de tracer l’origine des particules émises en Île-de-France. Au total, près de 30 espèces chimiques ont été analysées chaque jour dans sept stations de mesure réparties dans toute la région.

Sans grande surprise, à proximité du périphérique 60 % des particules fines sont produites localement, dont 44 % proviennent directement du trafic routier. En agglomération parisienne, loin des axes routiers, 70 % des particules proviennent d’autres régions ; les 30 % restants étant issus du trafic et du chauffage au bois. À noter que les moteurs diesel contribuent pour 90 % aux émissions de particules fines issues du trafic. 50 % sont générées par les particuliers, 20 à 35 % par les véhicules de livraison et 10 à 20 % par les poids lourds. « Le trafic routier reste la source majeure et notre première source de préoccupation dans la lutte contre la pollution, mais d’autres sources se dégagent comme la combustion du bois, explique Arthur de Pas, ingénieur d’AirParif. Mais même en dehors des pics de pollution, nous avons des niveaux de pollution soutenus ».

Actuellement de 50 g/m3, les valeurs limites annuelles sont dépassées plus de 35 jours par an. Alors que le bois ne représente que 5 % de la consommation énergétique en combustibles utilisés pour le chauffage résidentiel, toujours selon l’étude d’Airparif, il est néanmoins responsable de 84 % des émissions de particules fines du chauffage des maisons.


Arthur de Pas, ingénieur à AirParif

Question de santé

L’impact sanitaire des particules dépend de leur granulométrie et de leur composition chimique. Si les particules les plus grosses (PM10) sont retenues par les voies aériennes supérieures, les particules les plus fines (PM2,5 et PM1) pénètrent profondément dans les poumons et sont potentiellement les plus toxiques. À l’origine de phénomènes inflammatoires et de stress oxydatif, elles peuvent aussi présenter des propriétés mutagènes et cancérigènes ; c’est notamment le cas des particules émises par le diesel. Ces particules entrent dans les cellules du nez, des bronches et des alvéoles respiratoires. La toxicologie génétique a permis de montrer, grâce à l’étude de six villes des États-Unis dans les années 1990, l’augmentation des cancers bronchiques, liée à l’exposition au diesel. « Nous avons montré la succession des étapes qui aboutissent à une mutation possible au niveau des gènes », précise Francelyne Marano. Résultat, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'OMS a fini par classer, en juin 2012, les particules diesel parmi les « cancérogènes certains pour l’homme ».

En quoi les particules diesel sont-elles dangereuses ?

Autre impact constaté : « On a été très surpris par le nombre d’infarctus du myocarde dans les villes les plus polluées de la planète. Des particules parfois très fines, même de taille nanométrique et qui ont la capacité de franchir les barrières, peuvent ainsi modifier les paramètres sanguins », explique la toxicologue. L’exposition à des niveaux élevés de particules atmosphériques peut en fait induire chez les malades atteints de maladies cardio-vasculaires une aggravation de leur pathologie. Dans l’hypothèse d’un passage des particules dans le sang, « elles pourraient avoir des effets directs sur les cellules endothéliales, les plaquettes sanguines et les plaques d’athérome, et être ainsi directement à l’origine des accidents cardio-vasculaires dont l’incidence est accrue lors des pics de pollution particulaire », précise la scientifique.

Dans un avis rendu en mars 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire (Anses) conclut qu’en matière de particules fines, « on ne peut trouver de seuil de pollution au-dessous duquel il n’y aurait pas d’impact sanitaire » et que « les expositions fréquentes à des niveaux modérés de pollution ont plus d’impact sanitaire que les expositions à des épisodes ponctuels de "pic" de pollution, même répétés ». L’Anses recommande donc de donner la priorité à des actions de réduction des sources d’émission. « Le problème, c’est la persistance des pollutions », affirme Francelyne Marano, « si nous réussissons à en diminuer les niveaux moyens, nous réussirons également à réduire le nombre de pics de pollution ».

Une lutte encore timide

Quelle amélioration de la qualité de l’air attendre des LEZ ?

L’Europe exige des États membres qu’en cas de dépassement des valeurs limite, ils mettent en place des plans d’action visant à ramener les concentrations au-dessous des valeurs seuil. En France, on les appelle les plans de protection de l’atmosphère (PPA). Le Grenelle 2 de l’Environnement a lancé, quant à lui, les zones d’actions prioritaires pour l’air (Zapa), permettant notamment aux collectivités qui le souhaitaient d’expérimenter sur une durée de trois ans une restriction de circulation de véhicules pour améliorer la qualité de l’air. Ces Zapas s’inspirent des low emission zones (LEZ) qui existent dans neuf pays européens et jouent uniquement sur le transport. La Suède a été précurseur dès 1996. L’Italie a suivi en 2005, l’Allemagne et le Royaume-Uni en 2008. À ce jour, plus de 180 villes européennes disposent de LEZ, la dernière en date venant d’être déployée au Portugal, à Lisbonne.

Huit villes françaises (Aix-en-Provence, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Paris, Saint-Denis et Nice) se sont portées candidates pour l’expérimentation. Le test devait commencer en juillet dernier, mais Nice a abandonné en cours de route, et les Zapa sont actuellement au point mort. Les sept collectivités restantes réclament des aménagements ou des délais supplémentaires. Un comité interministériel s’est donc constitué et planche sur la recherche de « solutions concrètes » pour « réduire la circulation et agir plus largement sur la pollution », explique Joëlle Colosio. Selon la chef du service de l'évaluation de la qualité de l'air à l’Ademe, « le problème, c’est le parc de véhicules anciens ». Un nouveau dispositif a été annoncé pour début 2013.  

Quel avenir pour les Zapa ?

De son côté, la ville de Paris anticipe la reprise des Zapa. Grâce à son Plan de protection de l’air (PPA), elle propose d’interdire les véhicules les plus polluants, de favoriser les plus propres, de réduire les vitesses dans certaines zones stratégiques (zones à 30 km/h) et enfin demande d’urgence un plan national de sortie du diesel. Non sans raison, semble-t-il : Bruxelles a ouvert une procédure contre la France devant la Cour de justice européenne pour ses mauvais résultats en termes de lutte contre la pollution aux particules fines. En effet, les seuils limite d'exposition sont dépassés dans de nombreuses villes de l’Hexagone. Un piètre bilan qui pourrait coûter des millions d’euros de pénalités à l’État français. L’année 2013 sera donc décisive pour la France en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

Geneviève De Lacour le 29/01/2013