Diane 35 bientôt de retour en France ?

L'Europe ne partage pas la décision prise par les autorités sanitaires françaises de suspendre l’antiacnéique Diane 35 et ses génériques aussi prescrits comme contraceptifs. Le 29 mai 2013, l'Agence européenne du médicament s'est prononcée pour le maintien de ces traitements, sous réserve de certaines précautions.

Par Florence Heimburger, le 13/06/2013

Depuis le 21 mai, la vente de Diane 35 et de ses génériques est suspendue en France. Prescrits contre l’acné et l’hirsutisme (excès de pilosité), ces traitements ont également un effet anticonceptionnel, ce qui a conduit les gynécologues à les prescrire comme pilule contraceptive. Mais fin janvier, alors que les dangers des pilules des troisième et quatrième générations étaient révélés, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait décidé de suspendre leur commercialisation.

Audio - Le Dr Jean Marty estime que les bénéfices de Diane 35 l'emportent largement sur ses inconvénients

« Compte tenu de leur efficacité modérée dans le traitement contre l’acné et de leur risque thromboembolique veineux (NDLR : formation de caillots sanguins dans les veines), l’ANSM considère que le rapport bénéfice/risques de Diane 35 et de ses génériques est défavorable », avait-elle indiqué dans un communiqué.

Elle s’appuyait notamment sur une étude danoise de 2011 qui avait mis en évidence un risque de phlébite et d’embolie pulmonaire multiplié par quatre chez les femmes recevant Diane 35 (15 pour 1000), par rapport à celles ne prenant aucun contraceptif.

L’Agence avait aussi répertorié cent vingt-cinq cas de thromboses veineuses et quatre morts « imputables à une thrombose veineuse liée à Diane 35 » depuis la commercialisation de l’antiacnéique par les laboratoires Bayer en 1987.

La France isolée en Europe

Audio - Le Pr Philippe Bouchard explique que « la France devra suivre l’Europe et autoriser à nouveau Diane 35 sous certaines conditions ».

Le 17 mai, par la voix du Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (PRAC), l’Agence européenne du médicament a en grande partie désavoué la France, estimant que la balance bénéfice/risques de Diane 35 était « positive, à condition que certaines mesures soient prises pour minimiser les risques thromboemboliques ». Son avis a été suivi le 30 mai par l’organisme européen regroupant les agences du médicament des différents pays européens, le groupe de coordination pour les procédures de reconnaissance mutuelle et décentralisées – médicaments à usage humain (CMDH). Ce groupe a en effet émis, à l’unanimité moins une voix – celle de la France –, un avis favorable au maintien sur le marché du traitement antiacnéique sous certaines conditions.

« Ces médicaments doivent être utilisés uniquement pour le traitement de l’acné modérée ou sévère (…) et/ou pour le traitement de l’hirsutisme (…) chez les femmes en âge de procréer », a confirmé l’EMA. Elle a aussi souligné que « Diane 35 ne doit être utilisée que dans les cas où les traitements alternatifs (crèmes ou antibiotiques oraux) ont échoué ».

La décision du CMDh n’ayant pas été prise à l’unanimité, elle sera envoyée à la Commission européenne, qui prendra la décision finale, laquelle devra ensuite être suivie par les Etats membres. Dans l’attente de cette décision, l’ANSM maintient la suspension en France des autorisations de mise sur le marché pour Diane 35 et ses génériques.

Effets reports et dommages collatéraux

En 2012, Diane 35 était prescrite à 315.000 femmes pour le seul traitement de l’acné. Entre décembre 2012 et mars 2013, elle a vu ses ventes reculer de 75 %. Au cours de cette même période, les ventes de pilules des troisième et quatrième générations (dont fait partie Diane 35) ont diminué de 26 %. La chute s’est encore accélérée en mars, avec une baisse des ventes de 37 % par rapport à l’an dernier. Un recul qui serait dû, selon Nathalie Bajos, sociologue spécialiste de la sexualité et de la contraception, non pas à la crise médiatique, mais à la crise… économique. Et ce en raison du non-remboursement de cette pilule par la sécurité sociale. 

La pilule, méthode contraceptive préférée des Françaises, perd peu à peu son hégémonie.

Les ventes de pilules de première et deuxième générations, désormais prescrites en première intention, ont quant à elles augmenté de 18 % entre décembre 2012 et avril 2013. Par ailleurs, entre mars 2012 et mars 2013, la vente d’implants et stérilets a progressé de 28 % (et même de 42 % pour les dispositifs intra-utérins au cuivre, non imprégnés de progestatifs).

Les spécialistes craignent cependant que la défiance envers les contraceptifs à base d’hormones entraîne un recul de la contraception ou le recours croissant aux méthodes dites naturelles (retrait, abstinence périodique…). Et que cela se traduise par des grossesses non désirées et donc des interruptions volontaires de grossesse (IVG) plus nombreuses, comme en Grande-Bretagne, en 1995, après une alerte à la pilule de troisième génération, le fameux pill scare. Des données chiffrées officielles sur une hausse éventuelle des IVG liée à un arrêt soudain de la pilule en France doivent être publiées en juin. 

La Haute Autorité de santé a quant à elle rappelé dans un rapport publié le 3 mai que la pilule du lendemain constitue une contraception « de rattrapage » qui n’est pas efficace à 100 % et n’est pas destinée à être utilisée de façon régulière « en raison d’un risque d’échec plus grand qu’avec les autres contraceptifs ».

Que penser des pilules « naturelles » ?

Dans ce contexte de remise en cause des contraceptifs des troisième et quatrième générations, les laboratoires promeuvent leur dernière trouvaille : la pilule à œstrogène naturel. Il n’en existe que deux à l’heure actuelle, non remboursées : Qlaira®, mise sur le marché en 2009 par le groupe Bayer Santé et Zoely®, créée en 2012 par Théramex. Combinant un œstrogène naturel, l’estradiol, à un progestatif (respectivement le diénogest et le nomégestrol), elles seraient mieux tolérées et entraîneraient moins de troubles du métabolisme hépatique et d’accidents vasculaires. « L’estradiol est 200 fois moins puissante que l’éthinyloestradiol, que l’on trouve dans la plupart des pilules contraceptives, notamment en termes d’activité oestrogénique sur le foie », précise le Pr Philippe Bouchard, endocrinologue spécialiste de la reproduction, à l’hôpital Foch de Suresnes. Cependant, leur inocuité reste à évaluer et ces nouvelles pilules sont contre-indiquées aux femmes ayant des risques thromboemboliques.

Des gynécologues démunis et des jeunes filles dans l’impasse

Audio - Pour le Dr Jean Marty, il n'existe aucune autre solution « qui soit efficace et sans danger ».

Que peut-on proposer aux jeunes femmes souffrant d’acné et/ou d’hirsutisme ? « Pas grand-chose », constate le Dr Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France.

« Les alternatives au traitement de l’acné sont soit modestes et (…) insuffisamment efficaces (zinc, antibiotiques), soit dangereuses », a souligné la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM).

En outre, la suspension de commercialisation de Diane 35 incite à prescrire en première intention une contraception de deuxième génération, « qui sera le plus souvent aggravante pour l’acné », souligne la FNCGM.

Vers une contraception masculine ou sans hormone ?

Audio - Le Pr Philippe Bouchard dresse un tableau des perspectives d'avenir en matière de contraception.
En quête de la méthode contraceptive idéale, la recherche explore différentes pistes. Celle de la pilule avec oestradiol transdermique, sous forme de gel ou de patch, est la plus proche d’aboutir. « Le risque thromboembolique serait alors nul car l’hormone, non ingérée, ne transiterait pas par le foie », précise Philippe Bouchard, endocrinologue reproductif à l’hôpital Foch de Suresnes. Autre piste étudiée : celle des hormones à activité anti-progestative – des dérivés de la fameuse molécule utilisée dans la pilule abortive RU 486 – sans œstrogène, en minidoses quotidiennes. Par ailleurs, grâce aux progrès de la génomique et de la protéomique, les scientifiques ont découvert de nouvelles cibles potentielles chez la femme et chez l’homme : ils s'efforcent notamment d'inhiber la rupture folliculaire, l’implantation de l’embryon ou de bloquer la spermatogenèse et donc la formation de spermatozoïdes viables. D’autre part, les laboratoires cherchent aussi à mettre au point un contraceptif qui protège des infections sexuellement transmissibles tout en préservant certaines fonctions physiologiques (os, cœur, rein…). Autrement dit, la pilule de demain sera peut-être masculine, sans hormone, anti-IST et bonne pour la santé…Une pilule miracle, mais qui ne devrait pas voir le jour avant longtemps.

Pour en savoir plus

Florence Heimburger le 13/06/2013