Mines : le grand retour ?

Réforme du code minier, relance de l'exploitation minière appuyée par le gouvernement... Après avoir été un temps délaissées, les ressources du sous-sol français semblent susciter un vif regain d'intérêt.

Par Geneviève De Lacour, le 19/12/2013

Serait-ce la ruée vers l’or made in France ? Le ministère en charge des mines délivre en effet depuis l’été dernier des permis d’exploration, les premiers depuis 20 ans. La France doit « redevenir un pays minier, a déclaré Arnaud Montebourg, pour des raisons de souveraineté ». Le ministre du Redressement productif explique qu’il est possible de « développer de nouveaux projets miniers en France », et pas seulement  outre-mer, en Guyane et Nouvelle-Calédonie notamment.

Carte de situation du permis de Tennie, dans la Sarthe

Voilà chose faite puisque Variscan Mines, une société fondée par des anciens du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a lancé début octobre une recherche de cuivre et d’or dans la Sarthe. Le permis de Tennie, un permis exclusif de recherche de métaux de base et de métaux précieux, a été accordé à cette entreprise, filiale de la société minière australienne PlatSearch. Deux nouvelles demandes d’exploration de métaux et de terres rares déposées par Variscan sommeillent dans les tiroirs du ministre : le permis Beaulieu en Loire-Atlantique et le permis Saint-Pierre dans le Maine-et-Loire. Les décrets n’attendent que la signature du gouvernement. Dans le même temps, et en catimini, la société Cominor a déposé une demande de permis d’exploration d’or dans la Creuse, à Villeranges.

« Reconstruire une industrie disparue »

Mais l’ouverture d’une mine ne se fait pas en un jour. « Entre la phase d’exploration et celle d’exploitation, il faut compter entre 8 et 15 ans », explique Nicolas Créon, responsable Environnement et installations classées à la Fédération des minerais, des minéraux industriels et des métaux non ferreux (Fedem). Cette phase de recherche peut coûter entre 5 et 15 millions d’euros par permis. Ce qui pose un autre problème, c’est « qu'il n’y a plus de grand acteur généraliste en France dans le domaine minier », comme le soulignait Arnaud Montebourg lors de la première réunion du Comité des métaux stratégiques (Comes) en octobre 2012. Un comité né en 2011 de la volonté des industriels d’assurer leur approvisionnement en métaux stratégiques.

« Renault et EADS ont été les premiers à se soucier des possibilités d’approvisionnement en métaux stratégiques », affirme Jean-Claude Guillaneau, directeur des Géoressources du BRGM qui participe également au Comes. Ce lieu d’échange regroupe cinq groupes de travail, tous présidés et animés par des industriels. Le groupe « Industrie » (utilisateurs) est dirigé par Renault, le groupe « ressources » par ERAMET, celui sur « l'économie de matière et la substitution » a été créé par EADS.

Ces dernières années, le cours des terres rares - très utilisées dans les nouvelles technologies - s'est envolé.

Si les sidérurgistes sont conscients depuis longtemps des problèmes d’approvisionnement, « les industriels ont pris conscience de ces risques avec l’envolée du cours des terres rares », note Jean-Claude Guillaneau. Des industriels qui envisagent parfois même la possibilité de constituer des stocks stratégiques.

Pour les aider à sécuriser leur approvisionnement, le ministère du Redressement productif a mis en place un outil d’autodiagnostic permettant aux entreprises d’évaluer les problèmes d’accès aux matières premières critiques. Le Comes essaie également de sensibiliser les ambassades à ce sujet. Celles-ci opèrent ainsi une veille géopolitique, permettant d’alerter les industriels en cas de conflits qui pourraient hypothéquer l’accès aux minerais. Une sorte d’« intelligence minérale », estime Jean-Claude Guillaneau. De plus, 14 monographies sur des métaux stratégiques (gallium, germanium, niobium, terres rares, béryllium, molybdène, rhénium, sélénium, tellure, antimoine, graphite, lithium, tantale, tungstène) synthétisent l’état de la demande et de l’offre, les prix et leur évolution et évaluent la criticité de la substance pour l’industrie française. Enfin, un comité stratégique de filière sur l’industrie extractive devrait voir le jour en avril 2014. Il travaillera sur une simplification des procédures, réfléchira à la reprise de l’inventaire minier avec un objectif particulier (chercher des métaux critiques) ou la création d’alliances avec d’autres pays permettant d’assurer l’approvisionnement. La prochaine réunion du Comes est prévue pour janvier 2014.

Quelles ressources sous nos pieds ?

Daté de 1992, le dernier inventaire minier s’appuie sur des campagnes de terrain réalisées entre 1970 et 1985. Le traitement des données s’est poursuivi jusqu’au début des années 1990. Cet inventaire répertorie les métaux de base comme le cuivre, le plomb, le zinc et l’or. À l’époque, les terres rares n'étaient pas prioritaires. Et les méthodes d'exploration ont beaucoup évolué depuis les années 1980.

« Cet inventaire n’a couvert que 20% du territoire, mais néanmoins deux tiers des vieux socles, c’est-à-dire là où se situent les principaux gisements de métaux », précise Jean-Claude Guillaneau. Selon lui, « il n’est pas prévu de faire des acquisitions nouvelles », mais le responsable des inventaires au BRGM évoque néanmoins la possibilité de refaire des analyses sur des échantillons conservés dans les archives. Il évoque aussi la possibilité d’utiliser des modèles analogiques pour réévaluer les ressources présentes sous nos pieds.

Pourquoi un tel regain d’intérêt ? Parce que les cours des métaux ont explosé ! « La tension sur le cuivre est pérenne. Le cours de l’or est très haut », explique Jean-Claude Guillaneau. Or les usages du cuivre sont multiples. Essentiel, il entre dans la fabrication des infrastructures, des habitations et des équipements électriques. Pour des métaux plus sophistiqués, plus complexes, comme les terres rares, la prise de risque est plus importante en matière d’exploitation car ces minéraux sont disséminés dans la roche. Ils partagent souvent les mêmes gisements que des métaux plus classiques. « On peut trouver des terres rares dans une mine de fer, de molybdène ou des cendres de charbon. Ce sont toujours des sites de co-exploitation », ajoute l’expert du BRGM.

En outre, les progrès réalisés dans les traitements et les techniques d’exploitation rendent accessibles de nouveaux gisements. Au cours des dix dernières années, d’autres métaux, plus rares, sont par ailleurs devenus essentiels. Le rhénium, par exemple, est devenu un élément critique des moteurs de l’A380. Or on n’en produit que quelques kilos par an.

Un nouveau référentiel géologique pour la France

Vue 3D de la plaine d’Alsace et du massif des Vosges
Jean-Claude Guillaneau, directeur des Géoressources au BRGM

Le BRGM a présenté fin juin un projet de modélisation 3D du sous-sol français appelé « référentiel géologique de la France » (RGF). Il vise à rassembler dans une gigantesque base de données toutes les informations géologiques collectées par le BRGM pour produire des cartes en trois dimensions. Ce programme sur 30 ans est censé « réconcilier les données du sous-sol et de surface ».

Le RGF aura des applications multiples, notamment dans les domaines des eaux souterraines, les aménagements, les travaux souterrains mais aussi la gestion des conflits d’usage du sous-sol. Un premier démonstrateur sur la région Rhin-Vosges a été présenté. « On va lancer à Toulouse le chantier Pyrénées, ce RGF va couvrir le massif pyrénéen et le piémont aquitain », précise l’expert du BRGM.

Vers une réforme du code minier

Qualifié d’obsolète par certains, le Code minier, qui réglemente les conditions d’exploration et d’exploitation des richesses du sous-sol français, est un millefeuille initié sous Napoléon et révisé régulièrement : « Les éléments clés de la réglementation minière ont moins de sept ans », assure Nicolas Créon. Le Code peine néanmoins à prendre en compte un Code de l’environnement beaucoup plus récent. À l’image des nappes phréatiques qui peuvent provoquer des inondations, le milieu naturel y est perçu davantage comme un danger pour l’activité minière que comme une ressource à protéger. Pour le ministre des mines, la nécessité d'une réforme se justifie par le besoin de « redéfinir le partage de la valeur des exploitations minières entre l’État, les collectivités locales et les industries. »

« La difficulté du Code minier, c’est qu’il recouvre des activités très différentes », explique Nicolas Créon du Fedem. En outre, l’exploration a évolué. L’inventaire du BRGM s’arrête à 100 mètres de profondeur. Or « des mines profondes ou souterraines seraient intéressantes car elles limitent l’impact environnemental en surface », juge le porte-parole des industriels. Quant aux impacts de l’activité minière sur les nappes phréatiques, « elles sont prises en compte dans les études d’impact » avant l’ouverture de la mine.

Le 10 décembre dernier, le conseiller d'Etat Thierry Tuot a ainsi présenté au gouvernement une proposition de réforme du fameux Code, avec l'idée notamment d'en finir avec l'opacité régnant dans ce domaine.

« De nombreux aspects du rapport Tuot sont très bons, mais ils ne sautent pas aux yeux », explique Olivier Gourbinot, juriste de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna). Le code est complexe et technique. En ce qui concerne la réforme, un « renforcement de la participation du public » est souvent évoqué. Mais la proposition de réforme du conseiller d’Etat ne se limite pas à ce aspect. « Il s’agit d’un changement complet de la nature du titre minier », précise le juriste. Jusqu’à présent, les industriels « ne devaient justifier que de leurs capacités techniques et financières pour obtenir un permis », constate Olivier Gourbinot. Si la mouture Tuot est acceptée par les services du Premier ministre, alors les industriels devront « justifier le pourquoi et le comment ». Ils auront ainsi pour obligation de définir au préalable ce qu’ils cherchent : le type de minerai, la technique employée, la zone d’exploration, la durée, etc.

Est-ce possible pour l’industriel de définir la technique au préalable ? « Oui, au moins à 80 % », assure le juriste de France Nature Environnement. Mais « si la nature initiale de la recherche est modifiée, alors l’Etat sera en droit d’exiger un nouveau dépôt de permis ». Ce qui n’est pas le cas actuellement. L’État a été, par exemple, obligé de légiférer pour interdire une technique - la fracturation hydraulique en l’occurrence, dans le cas des gaz de schiste.

« Nous émettons de nombreuses réserves sur les propositions du conseiller Thierry Tuot, indique-t-on à la Fedem. Les industriels souhaitent avant tout que la réforme sécurise juridiquement les projets ». En d’autres termes : pas de contestation juridique une fois que le titre minier est accordé, pas de loi entravant après coup un permis octroyé. Une réglementation plus limpide évitant les cafouillages juridiques du style « gaz de schiste », dont le gouvernement français ne s’est d’ailleurs toujours pas dépêtré…

Geneviève De Lacour le 19/12/2013