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points de vue d’experts
PoiNTs de VUe d’exPerTs
II III IV
I
La procréation assistée
le diagnostic prénatal est une
technique qui s’est diffusée en
france à partir des années 1970,
même si l’on peut faire remonter
son histoire plus loin. il recouvre
plusieurs actes médicaux. Certains
sont considérés comme invasifs
pour la femme (amniocentèse),
d’autres non (échographie, prise de sang).
Mais quels qu’ils soient, tous visent à iden-
tifier, autant que faire se peut et compte
tenu de l’état du savoir médical, le risque
ou la certitude d’une anomalie génétique,
d’une malformation anatomique ou d’une
maladie. si ce diagnostic est parfois au
cœur de discussions et de polémiques
morales, c’est qu’il est, à tort ou à raison,
souvent associé à l’idée d’eugénisme. his-
toriquement, l’eugénisme est rattaché aux
pratiques nazies, avant et pendant la
seconde Guerre mon-
diale, et à d’autres pra-
tiques qui avaient cours
en europe auparavant.
elles visaient à éradi-
quer, pour leurs parti-
sans, tout ce qui « rend
la race moins forte, plus
faible, moins parfaite ». au danemark par
exemple, on a pratiqué des campagnes de
stérilisation des personnes atteintes de
maladies psychiatriques dès le début du
xx
e
siècle. il n’est évidemment pas question
de cela dans le diagnostic prénatal contem-
porain, mais le fait est qu’avec lui, on peut
identifier des maladies ou des risques de
maladie, et éventuellement décider d’un
avortement thérapeutique pour inter-
rompre une grossesse et ne pas mettre au
monde un enfant dont on pense ou on sait
qu’il aurait été atteint d’une malformation
ou d’un handicap jugé incompatible avec
la vie. Pour autant, peut-on dire qu’au-
jourd’hui en france, les parents et les
médecins soient en quête de l’enfant par-
fait ? Je ne le pense pas. Ce que l’on entend
beaucoup dans les consultations de conseil
génétique, ce qui émane soit des témoi-
gnages des parents, soit de la littérature
médicale, c’est plutôt la quête de l’enfant
comme les autres, de l’enfant « normal ».
Ces expressions recouvrent évidemment
tout un monde de représentations, mais
selon moi, le plus souvent, l’objectif est
de ne pas se faire remarquer, de ne pas
concentrer le regard et les sources de stig-
matisation sociales dont souffrent toutes
les familles touchées par le handicap. Ce
que craignent fortement de nombreux
couples ou familles qui viennent consulter
pour un diagnostic prénatal, c’est de voir
se reproduire des situa-
tions qu’ils ont déjà
connues. Car bien sou-
vent, ces familles-là ont
eu un ou deux enfants
handicapés, des oncles,
des tantes, des cousines,
des grands parents han-
d i c ap é s… e t e l l e s
veulent rompre cette
espèce de chaîne du han-
dicap qu’elles ne se sen-
tent pas à même de sup-
porter, pour des raisons personnelles et
parce que les modalités de la prise en
charge en france ne leur faciliteraient
pas la vie.
et c’est là, à mon avis, que se situe le
problème moral : autant il est facile, col-
lectivement et individuellement, d’argu-
menter contre quelqu’un qui serait tenté
par l’eugénisme, autant il est difficile de
répondre à quelqu’un qui dit : « Je ne me
sens pas prêt à élever cet enfant, je ne me
sens pas prêt à l’accueillir dans ma
famille. » Je pense que les équipes de dia-
gnostic prénatal se retrouvent là face à
une vraie difficulté, surtout dans un
contexte social de faible tolérance au han-
MArie GAiLLe
philosophe au centre de recherche « sens, éthique et société », cnrs / université paris-descartes
La quête de l’enfant « comme les autres »
«
La quête est
plus celle de
l’enfant “comme
les autres” que de
l’enfant parfait.
»
«
L’enjeu se situe
moins sur la
question de
l’eugénisme que
sur la manière
dont on se
représente le
handicap.
»
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