Nobel de Physiologie 2011 pour Jules Hoffmann

Le prix Nobel de physiologie et de médecine vient d’être décerné à Jules Hoffmann, Bruce Beutler et Ralph Steinmam pour des découvertes portant sur les systèmes immunitaires inné et adaptatif.

Par Viviane Thivent, le 03/10/2011

Jules Hoffmann

Il y a des gens que l’on imagine sans difficulté enfant. A cause d’un regard trop bleu, trop malicieux, de l’omniprésence d’un sourire ou de l’enthousiasme qui teinte chaque mot ou action. Jules Hoffmann, nouveau prix Nobel de physiologie et de médecine, fait partie de cette catégorie de personnes. A 70 ans, ce chercheur acharné est récompensé une nouvelle fois pour une découverte qu’il a effectuée en 1996, dans le laboratoire qu’il avait fondé deux ans plus tôt à Strasbourg « et dont le seul objet était de répondre à cette question : pourquoi les insectes ne développent pas d’infection lorsqu’on les opère en dehors des conditions d’asepsie, » se souvient Charles Hetru, proche collaborateur et actuel vice-directeur de ce laboratoire « Réponse immunitaire et développement chez les insectes. »

Car c’est un fait : les insectes sont immunisés contre les champignons et les bactéries. L’endocrinologue des insectes, Pierre Joly, mentor de Jules Hoffmann, n’a eu de cesse de le remarquer lors de ses expériences. Et il n’était pas le seul. Avant lui, au XIXe siècle, le biologiste russe Elie Metchnikoff, un excentrique qui, disait-on, ne se séparait jamais de son chapeau, avait fait la même observation chez les invertébrés. Un constat agaçant. Suffisamment agaçant pour que le soir du Noël 1882, il ôte quelques aiguilles du sapin familial pour les planter dans le corps d’une larve d’étoile de mer. Le lendemain, des cellules ont encerclé les épines étrangères. Cette expérience est la première d’une suite de travaux qui permet au Russe de montrer que les invertébrés, dont les insectes, sont capables de phagocytose (certaines cellules de leur corps peuvent encapsuler, manger, des microbes) et ont donc un système immunitaire inné.

Des insectes et des antibiotiques

« Pour autant, ceci n’expliquait pas l’étrange résistance des insectes face aux bactéries et aux champignons, insiste Jules Hoffmann lors d’une interview donnée en 2005. Dès les années 1920, la chose est devenue claire : il y avait quelque chose dans le sang qui protégeait les insectes de l’action pathogène des microbes. Quelque chose… mais quoi ? » Pour Charles Hetru, la première bribe de réponse arrive en 1981 lorsque le Suédois Hans Boman découvre, dans le sang d’un papillon, une substance antibactérienne. La première d’une longue série puisqu’aujourd’hui, plusieurs centaines de peptides antimicrobiens ont été identifiés. « Si Hans Boman était encore vivant, il aurait sans doute fait partie des nobélisés », assure Charle Hetru.

« Et Jules Hoffmann là-dedans ? répète Eric Westhof, directeur de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire qui, à Strasbourg, héberge le laboratoire fondé par Jules Hoffmann. Eh bien, il a découvert les récepteurs Toll ! » Charles Hetru qui a participé à la découverte se souvient : « Jules Hoffmann souhaitait comprendre l’efficacité de l’immunité des insectes. Il s’est donc battu pour fonder le laboratoire dédié à cette thématique, entité qui a vu le jour en 1994. A partir de là, nous nous sommes lancés dans un travail de titan, ou plutôt de fourmi, en inoculant des champignons à des dizaines, des centaines de milliers de petites drosophiles. De là, nous avons identifié un antifongique, la drosomycine, et un peu plus tard un récepteur particulier que nous avons baptisé Toll. Les drosophiles mutantes, dénuées de récepteurs Toll sont incapables de réponse immunitaire. »

Présents à la surface des cellules du corps gras (équivalent du foie) de l’insecte, ces récepteurs ont la capacité de reconnaître des portions de l’agent pathogène (bactéries ou champignons) et de déclencher, si besoin, la sécrétion d’une substance antibactérienne ou antifongique. Avec cette découverte, Jules Hoffmann et ses collaborateurs élucidaient les mécanismes de la réponse immunitaire innée des insectes. Mais pas seulement.

De l'insecte à l'homme

Bruce Beutler

Car à la lumière des résultats strasbourgeois, des équipes travaillant sur l’immunité des mammifères s’interrogent. Et si une telle immunité existait aussi chez l’homme ? En 1998, l’Américain Bruce Beutler, le deuxième prix Nobel de physiologie et de médecine 2011 découvre, chez la souris, des récepteurs semblables aux Toll. Il les nomme TLR (Toll-like receptor). Depuis, des récepteurs similaires ont été identifiés chez l’homme. Les mammifères, dont l’homme, partagent donc avec les insectes une forme d’immunité innée. « Celle-ci n’avait jamais été identifiée car elle était cachée par les autres types de réponse immunitaire que l’on trouve chez l’homme (anticorps, lymphocytes, etc). Son existence explique néanmoins la survenue de réponses immunitaires violentes comme le choc septique », précise Charles Hetru. « Ainsi donc, c’est en étudiant le système immunitaire des insectes que l’on a mieux compris celui de l’homme, insiste Eric Westhof. Ceci montre à quel point la recherche fondamentale est importante et peut conduire à des résultats totalement inattendus et utiles. »

Ralph Steinman

Le troisième nobélisé, à qui l’Académie suédoise a décerné la moitié de ce Nobel, est le Canadien Ralph Steinman pour la découverte de certaines cellules du système immunitaire – les cellules dendritiques - et leur rôle dans le déclenchement de la réponse adaptative (différente de l’immunité innée). Décédé vendredi dernier d’un cancer du pancréas, Ralph Steinman aura obtenu sa distinction à titre posthume.

Viviane Thivent le 03/10/2011