Climat : les cyclones vont-ils s'intensifier ?

Au lendemain du passage des cyclones dévastateurs Katrina et Rita dans le golfe du Mexique, les scientifiques s'interrogent plus que jamais sur le lien entre le réchauffement climatique et la violence des ouragans.

Par Lise Barnéoud, le 29/09/2005

Katrina : la pire catastrophe “naturelle“ des Etats-Unis

Katrina vue du ciel, le 28 août à 17h.

Jeudi 25 août 2005 : une tempête tropicale nommée Katrina s'approche de la côte sud-est de la Floride. Deux jours plus tard, la tempête s'est transformée en cyclone de catégorie 5, la plus forte sur l'échelle de Saffir-Simpson, et fonce droit vers la Nouvelle-Orléans avec des vents soufflant à plus de 280 Km/h.

« Les digues ne pourront pas résister à la violence de cet ouragan », avertit le maire de la Nouvelle-Orléans (1,4 million d'habitants dans l'agglomération), avant de donner l'ordre d'évacuer les lieux. Le 30 août, la ville est submergée à 80 % après la rupture de plusieurs digues et plus de 300 000 personnes sont prisonnières des eaux. Pour la plupart, il s'agit de Noirs (environ 2/3 de la population de la Nouvelle-Orléans) vivant dans des conditions misérables. En 2000, près de 30 % de la population de la Nouvelle-Orléans vivait au-dessous du seuil de pauvreté.

Tempête, cyclone, ouragan, typhon, tornade…Quelles différences ?

On parle de tempête lorsque la vitesse des vents est inférieure à 118 Km/h. Au delà, on parle de cyclone, d'ouragan ou de typhon, selon l'endroit où l'évènement se produit ou encore la provenance du locuteur. Ainsi les Européens employent le mot cyclone, alors que les Américains utilisent plus volontier le mot ouragan (ou hurricane en anglais) pour désigner les dépressions qui se forment dans l'Atlantique. Enfin, on parle de typhon lorsque l'évènement se déroule dans la région du Pacifique occidental. En revanche les cyclones et les tornades sont deux phénomènes bien distincts. Dans les deux cas il s'agit de systèmes tourbillonnaires, mais les tornades ne s'étendent que sur quelques centaines de mètres contre plusieurs centaines de kilomètres pour les cyclones. Les conditions de formation ne sont également pas les mêmes. Les tornades se forment dans un contexte de fort cisaillement vertical, c'est-à-dire lorsque la force et la direction du vent varient beaucoup en fonction de l'altitude. A l'inverse, le cisaillement vertical doit être faible pour qu'un cyclone apparaisse. Enfin les tornades sont des phénomènes continentaux alors que les cyclones ne prennent naissance qu'au-dessus des océans.

La Nouvelle-Orléans avant et après Katrina.

Le bilan humain provisoire de Katrina s'établit à 1075 morts. Mais l'ouragan a également touché un point névralgique de l'économie américaine. La région du golfe du Mexique couvre en effet 30% des besoins en pétrole des Etats-Unis et 24 % de leurs besoins en gaz. De même, 60 % des exportations céréalières transitent par les ports de cette région. Selon les dernières estimations de la société d'expertise Risk Management Solutions, Katrina aurait d'ores et déjà causé 125 milliards de dollars (102 milliards d'euros) de dégâts.

Les différentes expériences de parade aux cyclones

Plusieurs expériences, réalisées en Russie et aux Etats-Unis, ont déjà été tentées, soit pour empêcher la formation du cyclone, soit pour le « dégonfler ».

Ainsi, dans les années 1970, les soviétiques ont imaginé répandre du pétrole dans le Pacifique pour empêcher l'eau de la mer d'être aspirée par un cyclone, évitant ainsi la formation de nuages. Ils auraient même tenté l'expérience mais aucun résultat n'a été révélé.

Une autre idée, encore jamais testée, serait d'étendre un tissu à la surface de la mer pour éviter l'aspiration. Mais il faudrait près de 2000 km² de tissu pour que ce système fonctionne …

En revanche, des expériences de dégonflage du cyclone ont été tentées aux Etats-Unis. L'idée était d'envoyer des particules métalliques d'iodure d'argent dans les nuages entourant l'œil du cyclone dans le but de précipiter des gouttelettes d'eau et de renforcer ainsi les dépressions à la périphérie du cyclone. Ce projet, baptisé « Stormfury », a été mis en œuvre à plusieurs reprises dans les années 60, sans grand succès…

Un mois après Katrina : Rita, puis Stan

Fonctionnement des cyclones

Le 21 septembre 2005, c'est au tour de Rita, cyclone de catégorie 5, de souffler dans le golfe du Mexique. Nouvel état d'urgence, nouvelles évacuations. Mais le cyclone se dégonfle légèrement. : il est déclassé en catégorie 3 lorsqu'il atteint la côte est du Texas. Là, il provoque des inondations et des incendies, mais le pire a été évité. L'œil de Rita a traversé des zones essentiellement rurales, moins pauvres et moins habitées que la Nouvelle-Orléans.

Il y aurait un mort directement causé par le cyclone et 25 personnes tuées dans un accident de la route lors des évacuations. Les dégâts financiers s'élèveraient cette fois à 8 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).

Mais Rita ne marquera pas la fin de la saison 2005 des ouragans. Selon les spécialistes, les conditions sont en effet réunies pour voir apparaître de nouveaux cyclones dans la région. Ainsi, Stan a déjà succédé à Rita. Classé en catégorie 1, il a pourtant provoqué des inondations et coulées de boue qui auraient fait, selon un premier bilan, 162 morts en Amérique centrale.

Comment sont baptisés les cyclones ?

Depuis 1953, les météorologues donnent des noms à chaque tempête tropicale dont les vents dépassent force 8 afin de faciliter la communication. Pour l'Atlantique Nord, 6 listes sont utilisées à tour de rôle. Chaque liste compte 21 noms, commençant tous par une lettre différente (les lettres q, u, x, y et z ne sont pas utilisées). Si la saison compte plus de 21 tempêtes, la règle prévoit d'appeler les suivants Alpha, Bêta, Gamma, etc.… Au bout de six ans, on reprend la première liste, mais les noms des ouragans ayant causé d'importants dégâts sont retirés. Ainsi, Andrew, Mitch, Charley ou encore Ivan ont d'ores et déjà été supprimés. Katrina le sera très certainement. Ces prénoms sont alors remplacés par d'autres commençant par la même lettre.

Des cyclones de plus en plus violents

Evolution parallèle de la température des océans et de la puissance des cyclones

Pour la première fois, deux études, parues en 2005, démontrent que le nombre de cyclones reste stable mais que leur puissance globale augmente depuis un demi siècle.

La première étude, publiée le 4 août 2005 dans Nature, montre que l'énergie totale dissipée par les cyclones de l'Atlantique Nord et du Pacifique Ouest a plus que doublé depuis 1950. L'auteur, Kerry Emanuel de l'Institut de technologie du Massachusetts, s'est basé sur les enregistrements des vitesses maximales des vents durant tout le cycle de vie des cylones pour estimer leur quantité d'énergie libérée, et donc leur puissance. Par ailleurs, ce météorologue américain a également comparé l'évolution de la puissance des cyclones avec celle de la température de la surface des océans. Résultat : les courbes évoluent de façon très similaire.

La proportion des cyclones de catégorie 4 et 5 a pratiquement doublé en trente ans.

La seconde étude a été publiée dans Science le 16 septembre 2005. Cette fois, l'équipe de Peter Webster de l'Institut de technologie de Georgia, a calculé grâce aux archives satellites disponibles depuis 1970 le nombre de tempêtes (vitesse des vents < 118 Km/h) et de cyclones (vitesse des vents > 118 Km/h), la durée de ces évènements climatiques et leur intensité. Les résultats indiquent que le nombre total de cyclones reste stable.

En revanche, le nombre de cyclones de catégorie 4 ou 5 a augmenté de 57 % entre 1970 et 2004. En proportion, les cyclones de force majeure sont ainsi passés de 20 % à 35% en 30 ans. Seul aspect positif : la puissance maximale des cyclones est relativement stable depuis 35 ans.

Faut-il mettre en cause le réchauffement climatique ?

Jean-François Royer

Aucun consensus n'existe au sein de la communauté scientifique sur l'influence du réchauffement climatique dans l'activité des cyclones.

Certains experts considèrent en effet que l'on manque de recul pour savoir si l'actuelle augmentation de la fréquence des cyclones de catégorie 4 ou 5 représente une tendance forte ou résulte d'une simple fluctuation naturelle, comme il y en a eu par le passé, sans aucun lien avec le réchauffement. Si la température est certes un des éléments essentiels dans la formation des cyclones, « d'autres facteurs - notamment le cisaillement du vent - jouent un rôle extrêment important », explique Jean-François Royer, chercheur au Centre national de recherche météorologiques.

Jan Polcher

Toutefois, selon Jan Polcher, chercheur au laboratoire de météorologie dynamique du CNRS, « les deux études publiées en 2005 ont permis de démontrer un lien entre la température des mers et la puissance des cyclones plus convaincant que ce qui avait pu être démontré jusqu'à présent ». Or il a été établit que l'élévation de la température des océans est due au réchauffement climatique...

Les modèles climatiques permettent-ils de prévoir l’activité cyclonique future ?

Evènements extrêmes : ce que l'on constate, ce que l'on attend...

A partir de simulations numériques, les climatologues esquissent des modèles d'évolution du climat. Mais ces modèles possèdent une résolution bien moins fine que la taille d'un cyclone (200 km² contre quelques km² pour l'oeil d'un cyclone). Ce qui empêche toute prévision précise de l'activité cyclonique.

Jan Polcher, chercheur au laboratoire de météorologie dynamique (CNRS)

Néanmoins « les cyclones se développent dans un contexte général qui est décrit de façon réaliste par les modèles. On peut donc regarder comment ce contexte évolue et si la situation générale est propice ou non au développement de cyclones ».

Impossible, donc, pour les experts de ne pas poursuivre les recherches. Si l'on veut réellement prévoir l'apparition des cyclones et les risques de dégâts qu'ils peuvent occasionner, il faut d'abord mieux comprendre tous les paramètres qui conditionnent leur naissance.

Lise Barnéoud le 29/09/2005