Cancer du col de l'utérus : bientôt éradiqué ?

A l'heure où l'Institut national du Cancer publie un bilan de la première phase du Plan Cancer lancé en 2003 par le gouvernement français, les résultats de trois vaccins contre le cancer du col de l'utérus suscitent de réels espoirs. Pour autant, l'avancée majeure de santé publique promise est à relativiser.

Par Aude Olivier, le 29/05/2006

Vaccin thérapeutique : premiers résultats «positifs»

Le virus Papilloma 16

L'élaboration d'un prototype de vaccin thérapeutique destiné à traiter des lésions précancéreuses du col de l'utérus constitue une première dans les recherches liées à ce type de cancer. Le laboratoire français Transgene vient d'annoncer les premiers « résultats positifs » d'un essai de vaccin capable d'éliminer les cellules infectées par le papillomavirus humain de type 16 (HPV16), responsable d'environ 50% des cancers du col de l'utérus.

Cet essai dit de phase II montre que l'injection du vaccin à 18 patientes, âgées de 25 à 44 ans et porteuses de lésions précancéreuses, a permis à 10 d'entre elles de retrouver, six mois plus tard, un col de l'utérus d'apparence normale. Les lésions précancéreuses ont même totalement disparu pour 9 des patientes. En cas de succès confirmé, ce vaccin constituerait la première alternative à une opération chirurgicale, seule méthode connue aujourd'hui pour éliminer les lésions précancéreuses du col de l'utérus.

Vaccins préventifs : des tests prometteurs…

Du côté de la prévention d'une infection par les papillomavirus, deux vaccins ont déjà passé avec succès les tests préalables : le Gardasil, du laboratoire américain MSD (Merck Sharp and Dohme) et le Cervarix, du laboratoire britannique GSK (GlaxoSmithKline).

Le communiqué de MSD du 6 octobre 2005

Le 6 octobre 2005, la firme MSD rendait public le résultat de la première étude d'envergure sur un vaccin préventif contre le cancer du col de l'utérus. L'annonce de « 100% d'efficacité » avait fait l'effet d'un coup de tonnerre : après le vaccin contre le virus de l'hépatite B responsable de cancers du foie, mis au point il y a tout juste vingt ans, ce sérum deviendrait ainsi le second vaccin à prévenir l'apparition d'un cancer.

Les tests dits de phase III - dernier stade obligatoire avant toute demande d'autorisation de mise sur le marché - montraient qu'après trois injections en six mois et deux ans d'observation, 100% des 6092 femmes vaccinées et qui n'avaient jamais été infectées par ces virus avant et pendant la vaccination, étaient restées indemnes de toute lésion précancéreuse. Alors que 21 femmes sur les 6075 du groupe placebo s'étaient retrouvées porteuses de lésions précancéreuses*.

Quant au vaccin élaboré par la firme GSK, il a également montré une protection efficace à 98% contre les lésions précancéreuses du col de l'utérus sur une période d'un peu plus de quatre ans. L'étude a eu lieu aux Etats-Unis, au Canada et au Brésil sur 1 113 femmes de 15 à 25 ans, réparties aléatoirement pour recevoir trois injections du vaccin ou trois injections d'un placebo. Des essais cliniques doivent maintenant être menés sur environ 30 000 femmes.

* Les 12 167 femmes de l'étude MSD, de 16 à 25 ans, ont été recrutées dans 90 centres, notamment au Danemark, aux Etats-Unis, au Mexique et en Suède.

Des cancers aux verrues

Outre son action contre les HPV 16 et 18, le vaccin de MSD est également actif contre les HPV 6 et 11, responsables de verrues génitales bénignes dont plus d'un million d'Américaines souffrent chaque année. Ainsi, et c'est un point qui mérite la plus grande circonspection, ce vaccin risque de ne pas être distribué là où il est le plus nécessaire : dans les pays en développement qui concentrent 80% des cas déclarés de cancer du col de l'utérus, et ce pour des raisons économiques évidentes.

… mais pour seulement 70% des cancers du col

« Nous ne sommes pas tous égaux face aux HPV... »

A y regarder de plus près, les perspectives offertes par ces futurs vaccins méritent cependant d'être nuancées.

La cible des vaccins est en effet réduite. Ils doivent empêcher l'infection du col de l'utérus par deux types de virus : les papillomavirus humains (HPV) 16 et 18, à l'origine de seulement 70% des cancers du col, les 30% restant étant liés à une quinzaine d'autres HPV. Issus d'enveloppes de virus reconstitués en laboratoire, ils stimulent le système immunitaire, sans risque d'infection, mais pas pour la totalité des virus impliqués dans les cancers du col.

Comment un virus provoque-t-il un cancer?

25 à 30% des cas de cancers dans la population sont d'origine infectieuse, et non génétique. C'est à dire qu'ils provoquent une dégénérescence des organes dont le cycle cellulaire est déstabilisé par une infection par un ou plusieurs virus.

Lorsqu'un virus attaque des cellules hôtes, il prolifère en utilisant les constituants de ces cellules pour se multiplier. C'est l'infection. Si le système immunitaire ne réussit pas à détruire le virus, l'infection devient persistante. Le contrôle immunitaire des cellules se dérègle, et les cellules au développement anormal ne sont plus détectées et détruites par l'organisme. Cette prolifération anarchique de cellules au sein d'un tissu fait apparaître des lésions, à l'origine des cancers.

Par « cancer », on désigne en fait toute maladie pour laquelle certaines cellules du corps humain se divisent d'une manière incontrôlée. Puisque ce dérèglement est parfois issu d'une infection virale, un vaccin préventif permet théoriquement d'empêcher toute infection initiale par le virus.

Plusieurs agents infectieux sont actuellement connus pour leur responsabilité dans la survenue d'un cancer : les HPV 16 et 18, les virus des hépatites B et C, les HTLV 1 et 2 et une bactérie appelée « Helicobacter pylori », en cause dans le cancer de l'estomac et dont la découverte a valu à deux Australiens le prix Nobel 2005 de médecine.

... et une population ciblée réduite

Les cas déclarés de cancer du col, ainsi que la mortalité associée à ce cancer sont inégalement répartis à travers le monde.

Une autre limite aux bons résultats annoncés est liée au protocole d'expérimentation. Les études n'ont concerné qu'une tranche de population réduite : les femmes de 15 à 25 ans. Ce type de vaccin préventif ne serait destiné pour le moment qu'aux filles et adolescentes à partir de 9 ans, avant qu'elles ne débutent leur vie sexuelle. Mais qu'en est-il des femmes plus âgées jamais contaminées, ou de celles (80% des cas) pour qui les lésions ont guéri spontanément au bout de trois ans ? Des études sont en cours pour savoir si elles pourraient aussi bénéficier de la vaccination.

Outre son action contre les HPV 16 et 18, le vaccin de MSD est également actif contre les HPV 6 et 11, responsables de verrues génitales bénignes dont plus d'un million d'Américaines souffrent chaque année. Ainsi, et c'est un point qui mérite la plus grande circonspection, ce vaccin risque de ne pas être distribué là où il est le plus nécessaire : dans les pays en développement qui concentrent 80% des cas déclarés de cancer du col de l'utérus, et ce pour des raisons économiques évidentes.

Et pour les hommes ?

Les papillomavirus se transmettant par contact sexuel direct, les partenaires masculins sont très souvent porteurs asymtomatiques. Si les études montrent que les vaccins préventifs sont efficaces également chez les hommes, il est cependant peu probable que la population masculine soit vaccinée. Le principal but de ce type de vaccination est en effet de supprimer les infections persistantes plutôt que le réservoir de virus.

Quel délai avant la mise sur le marché de ces nouveaux vaccins ?

Daniel Riethmuller, investigateur des tests Futura 3 du candidat-vaccin en cours au CHU de Besançon

La commercialisation du vaccin thérapeutique de Transgene n'est pas attendue avant 2009. En revanche, MSD a obtenu une autorisation de commercialisation aux Etats-Unis le 8 juin 2006 et un dossier est en cours d'instruction en Europe auprès de l'AEME (Agence Européenne du Médicament). Quant à la firme GSK, elle a également déposé un dossier en mars 2006 auprès de l'AEME et s'apprête à le faire auprès de la FDA, aux Etats-Unis.

Une cellule infectée par un papillomavirus met plus de dix ans pour se développer en cellules cancéreuses.

Néanmoins, même si ces études marquent une avancée importante dans la lutte contre le cancer du col de l'utérus – qui tue chaque année 290 000 femmes dans le monde -, elles doivent être considérées comme préliminaires.

L'étude de MSD repose sur des résultats à mi-parcours (étude « Futur 2 »), les femmes devant être suivies jusqu'en 2007, et une étude complémentaire (« Futur 3 ») est en cours actuellement. Deux ans de recul, c'est en effet insuffisant : avant de parler de protection « 100% efficace », il faut vérifier que la maladie ne surgit pas plus tard, surtout lorsque l'on sait qu'une infection par les HPV met entre dix et quinze ans pour provoquer une lésion cancéreuse. De même, un essai de phase III sur un échantillon plus important est nécessaire pour véritablement évaluer l'efficacité du vaccin de GSK.

La nécessité d’autres solutions

S'il faut donc modérer les annonces faites par ces firmes – à la fois pour leur précocité, leur échantillonnage réduit, et leurs conclusions encore partielles –, l'intérêt même de ces candidats-vaccins mérite d'être précisé.

« La voie thérapeutique laisse beaucoup d'espoirs... »

Prévenir ainsi la présence des agents responsables d'un futur cancer dans l'appareil génital est une approche nouvelle de lutte contre le cancer : elle diffère des méthodes de dépistage actuelles (frottis et examens par coloscopie) qui se focalisent sur les conséquences de la prolifération de ces agents avant l'apparition du cancer : repérage d'infections et de lésions à un stade précoce. De même, la perspective d'un vaccin thérapeutique contre certaines lésions précancéreuses du col de l'utérus pourrait constituer une avancée majeure dans la prévention de l'apparition de cancers.

Une chose est sûre : si ces candidats-vaccins s'inscrivent bien dans les démarches actuelles de dépistage et de recherche de nouveaux traitements, ils n'éclipsent pas pour autant les recommandations du Plan Cancer : dans la mesure où ils ne permettent pas de lutter contre les 30% restants des cancers du col dus à une quinzaine d'autres virus HPV, il est important de savoir dépister puis traiter ces autres cas, ainsi que ceux dus aux HPV 16 et 18 qui n'auront pas été prévenus par une vaccination… S'il est évitable, le cancer du col de l'utérus reste un fléau mondial.

Le cancer du col de l’utérus, un problème de santé mondial

D'après l'Organisation Mondiale de la Santé, le cancer du col de l'utérus tue chaque année 290 000 de femmes dans le monde, tandis que 500 000 nouveaux cas se déclarent annuellement. En France, les progrès du dépistage ont fait diminuer le nombre de cas annuels de 4 900 en 1980 à 3 200 en 2000. Mais le nombre de décès reste de l'ordre de 1 000 par an.

Parmi les facteurs aggravant le risque d'exposition aux HPV, qui en cas d'infection persistante est susceptible de provoquer un cancer, figurent une activité sexuelle précoce ainsi que des partenaires multiples. Beaucoup de femmes sont infectées lors de leurs premiers rapports sexuels.

Réactualisation : Pauline Grison

Aude Olivier le 29/05/2006