Poznan : quel plan de route pour la planète ?

La conférence de l'ONU sur le climat, qui s'est tenue à Poznan du 1er au 10 décembre, avait comme objectif de planifier l'après-Kyoto. Mais les décisions les plus difficiles, notamment les engagements chiffrés de réduction des émissions polluantes par pays ou les modalités de financement des projets, ont été reportées à décembre 2009.

Par Lise Barnéoud, le 19/12/2008

Une étape primordiale vers l’après-Kyoto

Une manifestation lors de la conférence de Poznan

C'est un long convoi en difficulté qui s'est arrêté à Poznan, en Pologne. Un convoi, qui regroupe plus de 11 000 participants de 190 pays, parti de Bali en décembre 2007 avec comme destination finale Copenhague, en décembre 2009. Son objectif ? Trouver un nouvel accord international sur le climat pour l'après 2012, date à laquelle prend fin l'engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre des pays industrialisés dans le cadre du Protocole de Kyoto. À sa tête, la locomotive européenne, qui vient de se fixer de nouveaux objectifs chiffrés de réduction d'émissions (voir point de repère). 

Pierre Radane : Il faut organiser un deal équitable

En queue du convoi, en marche arrière pourrait-on dire, il y avait jusqu'à présent le wagon américain qui refusait sous l'administration Bush tout engagement chiffré tant que les pays émergents n'y seraient pas contraints également. Mais ce véhicule change de conducteur en janvier prochain et l'équipe d'Obama devrait, de l'avis général, lui donner un coup d'accélérateur. Entre ces deux extrémités, plusieurs wagons suivent en marche dispersée : ceux des pays en voie de développement, pour qui c'est aux pays industrialisés de réduire leurs émissions et de réparer leurs erreurs. Parmi eux, certains sont de gros émetteurs de CO2 et commencent à parler de réductions d'émissions (Chine) ; certains sont beaucoup plus réticents à s'engager dans des engagements chiffrés (Inde) ; d'autres ne participent quasiment pas aux émissions mondiales mais sont les premiers concernés par les impacts du changement climatique et demandent des transferts de technologie ainsi que des appuis financiers pour les aider à combattre le réchauffement (pays d'Afrique).

Négociations serrées à l’intérieur du wagon européen

Les Européens aimeraient garder leur position de tête dans le convoi de la lutte contre le réchauffement global de la planète. Pour cela, ils se sont engagés dans un programme dit de « 3 fois 20 » d'ici 2020 : réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre, augmenter à 20% la part des énergies renouvelable (contre 8,5 % actuellement) et améliorer de 20% l'efficacité énergétique. Problème : les pays membres ne sont pas d'accord sur les modalités pour y parvenir et la crise économique actuelle ne facilite pas les choses.

Au cœur des débats : la vente aux enchères des quotas de CO2 dès 2013. Actuellement accordés gratuitement aux industries lourdes, l'idée est de les rendre progressivement payants afin de financer ces mesures. Sur ce point, certains pays ont obtenu des dérogations. Ainsi, les centrales électriques au charbon de Pologne et des autres pays de l'est n'auront à payer que 30% de leurs quotas d'émissions en 2013, pour arriver progressivement à 100 % en 2020. De même, les industriels « les plus exposés à la concurrence internationale » (ciment, acier, chimie) seront provisoirement exemptés de participer à ce système d'enchères, tant qu'un accord international satisfaisant ne sera pas signé. Au final, seule une faible proportion des industriels achèteront l'intégralité de leurs quotas en 2013 mais leur nombre devrait graduellement augmenter jusqu'en 2020.

L'autre point délicat du rapport portait sur la question du fonds de solidarité. Celui-ci prévoit de redistribuer à partir de 2013 une partie des sommes collectées par la mise aux enchères des quotas de dioxyde de carbone pour aider les pays les plus pauvres de l'Europe à s'adapter aux nouvelles mesures. Mais les avis divergeaient sur le montant à allouer au fonds. La Hongrie par exemple demandait à ce que 20% de la vente de ces quotas soit alloué à ce fonds. Les Anglais ne voulaient pas d'un tel mécanisme. Résultat : 12% du prix de la vente des quotas sera finalement mobilisé pour les pays les plus démunis (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie). Le coût de ce plan est estimé à 1% de la richesse européenne (de 100 à 120 milliards d'euros).

Les principales décisions prises à Poznan

Quels engagements de réductions ?

« Beaucoup de pays se cachent derrière l’inertie des Américains qui n’ont jamais rien fait pour réduire leurs émissions ».

Il s'agit de l'enjeu prioritaire des négociations : fixer des engagements chiffrés et contraignants de diminution des émissions de gaz à effet de serre. D'après le rapport des experts du climat (Giec) de 2007, pour limiter à 2°C la hausse des températures de la planète, il faut que les émissions globales de gaz à effet de serre soient réduites de 50% en 2050 par rapport à 1990. L'effort concernera en priorité les pays industrialisés. Ces derniers semblent prêts à considérer une fourchette de réduction de leurs émissions comprise entre 25 et 40% pour 2020 mais aucun engagement n'a été pris durant la Conférence à part celui de l'Europe qui vise une diminution de 20% de ses émissions (et de 30% en cas d'accord international) d'ici à 2020. Cinq pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Corée du Sud et Mexique) se sont également dits prêts à réduire leurs émissions polluantes, une attitude nouvelle et bienvenue dans ces négociations. Il faudra toutefois attendre le printemps 2009 pour que les États communiquent leurs engagements chiffrés.

Quelles ressources financières ?

« Les sommes mises sur la table au niveau international ne sont pas à la hauteur des besoins ».

C'est la question clé : en cette période de crise financière mondiale, où trouver l'argent nécessaire pour non seulement financer ces réformes mais aussi s'adapter au changement climatique ? Selon le dernier rapport de l'ONU, le coût de la lutte contre le réchauffement pourrait dépasser les 500 milliards de dollars par an d'ici à 2030, soit plus du double que ce qui était envisagé jusqu'à présent. L'une des principales avancées de Poznan aura été l'accord des États de faire fonctionner un fonds pour aider les pays en développement à s'adapter aux modifications du climat. Ce fonds existe déjà mais ne pouvait fonctionner correctement, faute d'un accord entre États. Il devrait commencer à financer des projets dès 2009. Il est pour l'heure doté de 60 millions de dollars, une somme jugée insuffisante par tous les experts. Or rien n'a été mis en place pour renflouer ses caisses. Les pays en développement demandent donc l'instauration d'une taxe de 2% sur les transactions du marché du carbone pour alimenter ce fonds. Mais leur demande a été remise à plus tard par les pays développés.

L'impact financier du changement climatique

La sécheresse sévit déjà en Asie

L'impact financier du changement climatique se fait déjà sentir. Selon l'ONU, en 2006, 426 catastrophes naturelles ont touché 143 millions de personnes et coûté 35 milliards de dollars. En 2007, 399 catastrophes ont concerné 164 millions de personnes et coûté 62,5 milliards de dollars. Quant aux pertes de l'année en cours, elles se chiffreraient déjà à 160 milliards de dollars, selon la Fondation du réassureur allemand Munich Ré. « Ces chiffres nous rappellent ce qui aurait pu être sauvé si nous avions investi davantage dans des mesures de prévention des catastrophes », a déclaré Salvano Briceño, le directeur de la Stratégie internationale de prévention des catastrophes (ISDR).

Selon le rapport de l'économiste anglais Nicholas Stern, 1% du PIB mondial par an serait suffisant pour maintenir le réchauffement climatique sous contrôle. En revanche, en l'absence de mesures de prévention, le coût du réchauffement climatique pourrait atteindre 5 à 20% du PIB mondial.

La question de la déforestation

« Il faut inventer un système où l’on rétribue les pays forestiers s’ils laissent leurs forêts sur pied »

C'est le point sensible des négociations actuelles : faut-il rémunérer la non-déforestation ? De fait, il est couramment admis que les dégradations de forêts seraient à l'origine de près de 20 % des émissions totales annuelles de gaz à effet de serre. L'idée qui se met progressivement en place consiste à verser de l'argent aux pays en développement pour qu'ils arrêtent de couper leurs arbres. Mais de nombreuses difficultés émergent : comment évaluer ces émissions évitées ? Où trouver l'argent ? Qui reçoit ces allocations ? À Poznan, les États ont décidé de lancer des travaux de méthodologie qui permettront de mesurer et comparer les efforts de lutte contre la déforestation. Les pays du Sud ont, quant à eux, accepté d'ouvrir leurs forêts à des observateurs indépendants. Dix-huit pays en développement et industrialisés ont signé une déclaration commune pour que la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD) fasse partie des engagements de Copenhague. Le dossier a donc avancé mais rien n'est encore acquis.

Le protocole de Kyoto ne freine pas les émissions...

Evolution des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2006

L'objectif du protocole de Kyoto est de faire baisser les émissions polluantes dans le monde afin de le conserver « vivable ». Or plus de dix ans après sa mise en place, il n'y a toujours pas de diminution concrète. Pire : les émissions des pays industrialisés sont reparties à la hausse. Globalement, les 41 pays industrialisés* tenus de présenter un rapport au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont certes diminué leurs émissions de gaz à effet de serre de près de 5% depuis 1990. Mais ce chiffre cache une réalité bien moins optimiste : d'après le rapport de synthèse des Nations Unies, cette diminution n'est pas liée à une meilleure maîtrise des émissions mais à la crise économique qui a frappé les pays de l'ex-bloc soviétique (« pays en transition »).

Évolution des émissions polluantes par pays entre 1990 et 2006

L'ennui, c'est que depuis 2000, les émissions des pays en transition sont reparties à la hausse (+7,4 % entre 2000 et 2006) alors que celles des autres pays continuent d'augmenter légèrement (+1% sur la même période). Leurs émissions ont en effet chuté de 41% entre 1990 et 2000 suite aux nombreuses fermetures d'installations énergétiques et industrielles. Les autres pays industrialisés ont quant à eux augmenté leurs émissions de 9% dans la même période… Globalement, cela se traduit par un accroissement des émissions de 2,3% entre 2000 et 2006 pour l'ensemble de ces pays.

Par Pierre Radanne

Petite lueur d'espoir : une diminution de 0,1% est observée entre 2005 et 2006. Toutefois, cette très légère baisse serait liée à un hiver relativement doux et à des prix du pétrole très élevés, estiment les experts de l'ONU… Les négociations actuelles pour préparer l'après Kyoto s'avèrent donc cruciales.

Un indicateur annuel sur les performances des pays sur le climat

Selon l' « index de performance en matière de changement climatique » édité chaque année par l'ONG allemande Germanwatch et CAN Europe (un réseau européen d'action pour le climat), la Suède, l'Allemagne et la France seraient les pays les plus « verts » de la planète. À l'autre bout du classement, on trouve l'Arabie Saoudite, le Canada et les États-Unis. L'index est construit sur trois valeurs : le niveau d'émission, la tendance à la hausse ou à la baisse des émissions depuis 1990 et la politique climatique du pays (les mesures prises et annoncées par le pays). Ce classement porte sur 57 pays, responsables à eux seuls de plus de 90% des émissions totales. D'après les auteurs de cette étude, aucun de ces pays ne montre une « performance climatique » suffisante pour limiter l'élévation de la température à 2° par rapport à l'ère pré-industrielle. D'où les trois premières places du classement restées vacantes jusqu'à présent…

* Il s'agit des pays de l'annexe 1 du Protocole de Kyoto qui regroupe la plupart des membres de l'OCDE (dont les Etats-Unis qui n'ont toutefois pas signé d'engagement de réduction) et une série de pays européens dont l'économie est en transition (ex-bloc soviétique).

Lise Barnéoud le 19/12/2008