Instrumentation : vers une nouvelle révolution laser ?

Cinquante ans après que l'Américain Théodore Maiman a effectué le premier tir laser de l'histoire, la technologie connaît un regain d'intérêt au sein des laboratoires. Elle permettrait de créer des instruments pouvant suppléer les grands accélérateurs de particules.

Par Viviane Thivent, le 10/07/2010

La folie des grandeurs

Le laser de la salle jaune

Il n'y a pas que l'Univers qui soit la proie de l'expansion. À mesure que les instruments de physique, type accélérateurs de particules, sondent toujours plus profondément les entrailles de la matière, ils grossissent, enflent en diamètre. Une folie des grandeurs qui pose la question de leur avenir. Impossible en effet d'imaginer les faire croître indéfiniment, en tout cas dans un espace aussi «limité» que la Terre. Une évidence qui pousse les scientifiques à chercher des alternatives moins gourmandes en mètres carrés que les accélérateurs. Et parmi celles-ci, des techniques basées sur l'usage de lasers intenses, des instruments que l'on trouve, par exemple, dans les laboratoires du plateau de Saclay, en région parisienne.

Antoine Rousse, chercheur au laboratoire d'optique appliquée de l'ENSTA Paris Tech, nous fait découvrir l'un des premiers du genre. Celui que lui et ses collaborateurs ont mis au point il y a une quinzaine d'années et qui fut à l'origine d'un certain nombre de premières mondiales : le laser femtoseconde dit de la salle jaune... « à cause de la couleur des murs », précise-t-il.

Qu'est-ce qu'un laser ?

Le laser est d'abord l'acronyme de «Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation». Il correspond à une lumière monochromatique (une couleur, par exemple verte, mais plusieurs longueurs d'ondes), unidirectionnelle et ordonnée. Il repose sur un principe énoncé par Albert Einstein qui, en 1917, montra, de façon théorique, qu'il était possible de produire de la lumière (des photons) en excitant les électrons des atomes. Dans un laser, les électrons sont excités et émettent des photons pour retourner à leur état initial. Ces électrons sont alors réfléchis par deux miroirs (l'un réfléchissant, l'autre semi réfléchissant) disposés en face à face, jusqu'à ce que le faisceau soit suffisamment puissant pour traverser le miroir semi réfléchissant.

Le laser de la salle jaune

« Depuis cinquante ans, le laser a permis des avancées techniques variées allant du CD à la chirurgie des yeux. Des applications qui reposent toutes sur le fait que la lumière laser peut être focalisée en un point mais qui diffèrent par la puissance du rayon. Dans le cas du lecteur CD, le rayon est non destructif alors que dans le second cas, il est suffisamment intense pour détruire, brûler des tissus. » Il suffit d'avoir déjà tenu une loupe en plein soleil pour avoir un aperçu du phénomène : en focalisant la lumière solaire (0,1 watt par centimètre carré) en un point, il devient possible d'atteindre 100 watts par centimètre carré et d'enflammer un papier.

« De l'intensité du rayon dépend donc le type d'applications envisageables », explique Antoine Rousse tout en s'avançant dans la pièce. Tic. Sur la gauche, derrière une séparation, un bruit étrange. Tic, tic. Comme si quelqu'un tapotait une table de son ongle. Tic. « Ici, nous travaillons sur les applications possibles de faisceaux très intenses, – Tic, tic – et pas n'importe lesquels, des lasers femtosecondes. »

Concentré d'énergie

Un laser optique

Car pour obtenir des rayons laser ultrapuissants, deux solutions existent. La première, la plus évidente, c'est de donner au système une énergie initiale colossale pour produire des flashs laser très énergétiques. C'est, par exemple, l'approche qui a été choisie pour le laser mégajoule de Bordeaux, un instrument dont la fonction première est militaire puisqu'il remplace les essais nucléaires qui avaient lieu jusque dans les années 1990 en Polynésie : la puissance de son rayonnement est en effet telle qu'elle permettrait de reproduire les réactions de fusion nucléaire qui ont lieu au cœur du Soleil.

La seconde approche possible, c'est de partir d'une énergie bien plus faible et de la concentrer dans un laps de temps infime. Tic, tic « L'énergie émise en une seconde peut être condensée dans quelques femtosecondes (soit 10 puissance -15 seconde). Ceci permet de générer des impulsions laser ultrabrèves et ultrapuissantes. »

Il marque une pause. Tic, tic, tic. « Et d'ailleurs, ce que vous entendez, c'est l'un des premiers lasers de ce type. » Un laser, ça cliquette ? Antoine Rousse passe le mur de séparation et désigne une plate-forme recouverte d'un capharnaüm de lentilles et de miroirs. À chaque « Tic » correspond en fait un flash lumineux. Flash qui, d'après les explications du chercheur, est étiré et compacté par cet étrange labyrinthe.

Une lumière étirée puis contractée

Un amplificateur laser

« Contrairement à une idée assez répandue, le rayon laser n'est pas constitué d'une seule longueur d'onde mais de plusieurs, qui sont voisines les unes des autres. C'est cette propriété qui nous permet d'étirer et de contracter la lumière. » Car en faisant passer la lumière au travers d'une sorte de store, il est possible de séparer les ondes et d'étirer le rayon laser. « Ce faisant, on répartit, on étale l'énergie contenue dans le flash laser initial. Une astuce qui permet d'amplifier ensuite la puissance du rayon sans pour autant faire fondre ou éclater les optiques qui servent à diriger le faisceau lumineux. »

Et lorsque l'énergie acquise par le faisceau est suffisante, les chercheurs n'ont plus qu'à le faire passer par un autre « store » afin de contracter la lumière et obtenir un flash laser de très courte durée (quelques femtosecondes) mais extrêmement puissant.

Des applications de l'extrême

À de telles énergies, il devient possible d'atteindre des températures de plusieurs dizaines de milliers de degrés, comme celles que l'on trouve au cœur des étoiles. Le tout, avec un instrument compact – qui tient dans quelques mètres carrés – et peu gourmand en énergie. Une particularité qui laisse entrevoir des perspectives intéressantes. Car, à ces températures, la matière peut être transformée en plasma. Une soupe de particules chargées et qu'il devient possible de séparer et d'accélérer à l'aide d'un champ électromagnétique. Une aubaine car, dès lors, la technique peut permettre de générer, sur de faibles distances, des faisceaux de particules au moins aussi énergétiques que ceux produits dans les grands accélérateurs de particules. Les lasers remplaceront-ils pour autant les accélérateurs classiques ? Antoine Rousse préfère rester prudent : « Le CERN suit de près nos travaux, c'est un fait. Néanmoins, la qualité du faisceau produit n'est pas encore suffisante pour rivaliser avec celle des grands accélérateurs. » Des verrous que l'équipe du laboratoire d'optique appliquée lève l'un après l'autre en améliorant le procédé. Le laser de la salle jaune a peut-être quinze ans, mais c'est sur lui que sont testées les applications laser de demain.

La puissance des lasers exrêmes

Et demain, c'est déjà aujourd'hui. Car ces dernières années, les lasers femtosecondes sont entrés en masse dans les laboratoires du monde entier. Ils permettent d'étudier la matière à des conditions de température extrême ou de filmer des processus très rapides comme des réactions chimiques (femtochimie). Dès 2012, le plateau de Saclay, et plus particulièrement l'Institut de lumières extrêmes (ILE), hébergera le laser LUIRE/Apollon, un instrument destiné à produire les intensités les plus élevées du monde : 10 Petawatts (10 puissance 18 watts). Une puissance de tir cent fois supérieure à celle du laser de la salle jaune. 2012 sera aussi l'année où l'Europe choisira le pays d'implantation du successeur d'Apollon : l'Extreme Light Infrastructure (ELI) dont la puissance atteindra les 100 PW. Une lumière si extrême que les chercheurs pensent pouvoir l'utiliser pour sonder le vide. Outre ces applications très fondamentales, les lasers femtosecondes pourraient donner naissance à toute une cohorte d'instruments médicaux d'un nouveau genre comme des centres de protonthérapie directement installés dans les hôpitaux.

Viviane Thivent le 10/07/2010