58
LA BIodIverSIté
poInts de vue d’expeRts
Points de vue d’exPerts
II III IV
I
quand on parle de biodiversité,
il faut prendre en compte tous les
niveaux et leurs interdépendan-
ces : des gènes aux savoirs et
savoir-faire en passant par les
espèces, les populations, les éco-
systèmes et les paysages. dans ce
cadre, je pense qu’il est intéressant
de réfléchir non seulement à toutes les
disparitions (de gènes, d’espèces, de
savoirs…), mais aussi à toutes les dynami-
MARIE-ChRIStInE CoRMIER-SALEM
Géographe, directrice de recherche à l’Institut de recherches pour le
développement
Redonner une valeur aux
patrimoines naturels et culturels
la question de la biodiversité est
souvent abordée en se focalisant
sur les grandes espèces menacées :
pandas, ours des Pyrénées, élé-
phants, baleines… or ce que les
scientifiques savent aujourd’hui,
c’est que ces espèces, certes très
visibles, ne représentent qu’une
toute petite partie de la biodiversité. et
que cette toute petite partie n’est peut-être
pas la plus représentative de la diversité
du monde vivant. autrement dit, de même
que les astrophysiciens parlent beaucoup
de la matière noire de l’univers, les biolo-
gistes évoquent désor-
mais la matière noire
de la biodiversité,
c’est-à-dire tous les
micro-organismes,
abondants notamment
dans les eaux et les
sols (virus, bactéries,
champignons…). ces
derniers constituent
non seulement la majeure partie de la bio-
diversité, en biomasse comme en nombre
d’espèces, mais ils sont aussi responsables
de ce que l’on appelle les services écologi-
ques : l’épuration des eaux, la qualité de
l’air, la qualité des sols… cette nature
« ordinaire » et invisible est probablement
ce qui est le plus important pour l’Homme,
même si nous n’en avons pas conscience.
Pour protéger les grandes espèces « média-
tiques », on raisonne fréquemment en ter-
mes de réserves, de zones protégées, de
parcs naturels. et l’on peut alors se dire :
« cette biodiversité, il y a des gens qui s’en
occupent ailleurs. » Mais si l’on veut s’in-
téresser à la biodiversité du quotidien qu’est
la biodiversité des micro-organismes, c’est
partout, dans tous les points du territoire,
dans les milieux agricoles, les milieux
urbains, les zones industrielles qu’il faut
se poser la question : est-ce qu’on ne peut
pas cultiver cette biodiversité ordinaire,
c’est-à-dire lui permettre d’évoluer et de
nous rendre des services non seulement
pour aujourd’hui, mais aussi pour
demain ?
comment gérer cette biodiversité en gran-
de partie invisible ? que peut-on faire pour
elle ? Je crois qu’il faut se dire que plus il
y a de diversité visible, plus il y a de diver-
sité invisible. Par exemple, dans une forêt
ou une haie d’arbres, on sait très bien que
si tous les arbres sont de même âge et de
même espèce, la biodiversité microbienne
abritée par les sols sera elle-même assez
réduite. en revanche, si l’on prend soin de
constituer des haies à partir d’espèces
différentes, d’âges différents, on va voir se
développer dans le sol toute une faune de
micro-organismes, mais aussi d’insectes
et de petits vers qui sera très variée. il faut
donc lutter contre l’uniformité à toutes les
échelles. un paysage diversifié est certai-
nement le meilleur garant d’une biodiver-
sité ordinaire… et qui continuera à nous
rendre service.
l
BERnARD ChEVASSuS-Au-LouIS
Inspecteur général de l’agriculture, ancien président du Muséum national d’Histoire naturelle
Il faut cultiver la biodiversité ordinaire !
«
La nature
ordinaire, le plus
souvent invisible,
est sans doute ce
qui est le plus
important pour
l’Homme.
»
1,2,3,4,5,6,7,8,9 11,12,13