Les risques de pandémie de grippe humaine

« C'est maintenant simplement une question de temps. Le virus de la grippe aviaire– très probablement le H5N1 – va muter pour devenir transmissible d'homme à homme, ce qui provoquera une pandémie de grippe humaine. Nous ne savons pas quand cela se produira. Mais nous sommes sûrs que cela se produira », a déclaré Lee Jong-Wook, directeur général de l'OMS, lors d'un discours, prononcé à l'ouverture d'une conférence internationale sur la grippe aviaire en novembre 2005. Si l'OMS entend tirer la sonnette d'alarme, c'est qu'elle estime qu'une éventuelle pandémie pourrait, dans le meilleur des cas, tuer entre 2 et 7,4 millions de personnes. Selon le coordinateur pour la lutte contre la grippe aviaire de l'Onu, David Nabarro, le nombre de victimes pourrait même aller jusqu'à 150 millions.

Un risque impossible à évaluer

« On ne peut pas donner de probabilité sur le risque d'humanisation du virus »

Si le risque est bel et bien réel, aucun expert au monde n'est cependant en mesure d'évaluer la probabilité que le virus H5N1 s'adapte à l'homme. Pour l'heure, le virus se transmet entre espèces d'oiseaux par voie respiratoire ou digestive via les sécrétions, les fécès ou l'eau. Mais il n'a pas encore acquis la capacité d'infecter facilement l'humain. Toutefois, le risque n'est pas nul puisque le virus a d'ores et déjà contaminé 258 personnes et tué 153 personnes (OMS). Or chaque nouveau cas humain donne la possibilité au virus de se recombiner avec une souche virale humaine, une recombinaison qui rendrait alors le virus transmissible d'homme à homme.

Différentes possibilités de mutation du virus H5N1.

Un tel réassortiment génétique peut également avoir lieu lors d'une co-infection avec un virus humain chez un mammifère (par exemple le porc, sensible à la fois aux virus aviaire et humain).

Mais le virus peut également muter chez l'oiseau et s'adapter à l'homme sans passer par aucun intermédiaire. En effet, les virus grippaux ne possèdent pas de système de réparation des erreurs qui surviennent systématiquement dans le génome lors des réplications. Ils mutent donc fréquemment. Une étude publiée en octobre 2005 a d'ailleurs montré que le virus responsable de la pandémie de grippe espagnole en 1918 serait devenu transmissible d'homme à homme de cette manière.

Le virus de la grippe espagnole reconstitué en laboratoire

Photo au microscope d'un poumon de souris infecté par le virus de la grippe espagnole.

Des chercheurs américains ont recréé in vitro le virus de la grippe espagnole de 1918 (H1N1), qui avait tué entre 20 et 50 millions de personnes dans le monde. Des tissus gelés d'une femme enterrée dans le permafrost en Alaska ont en effet permis à l'Institut de pathologie des forces armées (Rockville, Maryland) de reconstituer le code génétique du virus puis de le réactiver grâce à une technique dite de génétique inverse.

Les résultats montrent que ce virus était très proche des virus aviaires et présente de nombreuses similarités avec l'actuel virus H5N1. Selon les auteurs, le virus serait passé directement de l'oiseau à l'homme sous une forme déjà « humanisée », sans passer par le porc comme cela semble être le cas pour les deux dernières grandes pandémies de 1957 et 1968.

Les chercheurs ont ainsi pu identifier des mutations susceptibles d'être à l'origine de l'adaptation des virus aviaires à l'homme, ce qui pourrait faciliter la mise au point de vaccins ou des médicaments efficaces contre la prochaine pandémie.

Source : Science, 5 octobre 2005; Nature, 6 octobre 2005.

Vers un H5N1 plus « humanisé » ?

Sylvie Van der Werf, Chef de l'Unité de Génétique Moléculaire des Virus Respiratoires à l'Institut Pasteur. (2'20)

Que ce soit par recombinaison avec un virus humain ou par mutations successives, le virus H5N1, comme tous les virus grippaux, évolue constamment. Or, une modification mineure du génome du virus peut avoir des effets majeurs. Ainsi, une étude publiée en avril 2006* montre que le changement d'un seul acide aminé peut induire une affinité du virus pour des récepteurs humains et non plus aviaire.

Toutefois, certaines de ces mutations ont d'ores et déjà été observées sur des cas humains sans que cela ne déclenche une pandémie. Ainsi, en novembre 2006, deux mutations ont été mises en évidence** sur l'hémaglutinine, une protéine responsable de l'attachement du virus à son récepteur. Selon les auteurs, ces mutations facilitent l'attachement du virus à des récepteurs humains et représentent donc une étape de plus vers l'humanisation du virus. « Le problème, c'est que nous ne savons pas combien d'étapes il reste encore à franchir avant d'obtenir un virus pandémique », explique Yoshihiro Kawaoka, de l'Université de Tokyo.

* Science, 21 avril 2006
** Nature, 16 novembre 2006

Des cas de transmissions interhumaines avérés mais rares

En mai 2006, huit membres d'une même famille sont contaminés par le virus H5N1. Sept d'entre eux en meurent. Après enquête, il s'avère qu'une seule de ces personnes a eu un contact étroit et prolongé avec des volailles. Les scientifiques pensent donc qu'elle est à l'origine de la contamination - soit directement, soit par personne interposée - des sept autres membres de la famille.

Les cas de transmissions interhumaines restent cependant rares. La raison : la localisation des récepteurs de H5N1, au plus profond de l'appareil respiratoire, rend difficile la transmission du virus d'une personne à une autre. H5N1 ne peut se répliquer qu'à l'extrémité des bronchioles, au niveau des alvéoles pulmonaires. Il ne peut donc pas être expectoré lors d'un éternuement ou d'une toux comme c'est le cas avec un virus de la grippe humaine.

Source : Science, 21 avril 2006; Nature, 23 mars 2006

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