Clonage thérapeutique : après le succès coréen, vers une levée de l'interdiction?

Alors que deux réussites majeures dans le domaine du clonage thérapeutique viennent d'être annoncées, le débat autour de cette technique est plus que jamais d'actualité. En France, une proposition de loi vient d'être déposée afin d'abroger l'article de la loi interdisant le clonage d'embryons humains à des fins thérapeutiques.

Par Lise Barnéoud, le 24/05/2005

La Corée : pays roi du clonage humain

Les différentes lignées de cellules dérivées des embryons clonés

Un an après l'annonce fracassante du premier clonage d'embryon humain, l'équipe de chercheurs sud-coréens dirigée par le professeur Hwang Woo-suk vient de réussir un nouvel exploit : cultiver onze lignées de cellules souches obtenues à partir d'embryons clonés.

Alors qu'il leur avait fallu 242 ovocytes pour obtenir 30 embryons dont un seul avait fourni des cellules souches pluripotentes (capables de donner naissance à  tous les tissus qui apparaissent au cours du développement humain), les chercheurs ont décuplé leur taux de réussite : à partir de 182 ovocytes, ils ont obtenu 31 embryons qui se sont développés jusqu'au stade blastocyste (5-7 jours) et qui ont permis de récupérer onze lignées de cellules souches embryonnaires.

Les cellules souches pluripotentes

Comment expliquer un tel progrès ? Selon Hwang Woo-suk, que nous avons réussi à joindre, « l'équipe a , durant l'année écoulée, considérablement amélioré la technique, notamment pour extraire le noyau de l'ovule et transférer celui du donneur. D'autre part, nous avons utilisé une culture de cellules humaines, et non animales, pour le développement du blastocyste. »

Autre nouveauté : les noyaux transférés dans les ovules énucléés provenaient de cellules de peau prélevées sur des malades (diabète, lésion de la moelle épinière, maladie génétique rare). Ce qui ouvre une nouvelle perspective scientifique : étudier en laboratoire le développement des anomalies caractéristiques de l'affection dont sont atteints les patients et déterminer quels traitements seraient les mieux adaptés.

Hwang Woo-suk, directeur de l'équipe sud-coréenne, professeur à l'université nationale de Séoul

Les premières expériences ont démontré que l'ADN et le profil immunologique de ces cellules souches étaient identiques à ceux du donneur, ce qui diminue considérablement les risques de rejet du greffon. En revanche, rien ne prouve encore que ces cellules souches, issues de personnes malades, se transformeront en cellules fonctionnelles une fois transplantées. « C'est notre prochaine étape. Nous allons amener nos cellules souches à se différencier en cellules spécifiques et expérimenter les possibilités de thérapies cellulaires en utilisant le modèle animal », précise le chercheur coréen.

Pour Marc Peschanski de l'Inserm, “les résultats de l'équipe coréenne démontrent que la technique de base est désormais accessible“.

Car l'étape d'après, c'est bien de pouvoir soigner les malades en leur implantant leurs propres cellules souches. Mais, « les obstacles sont encore nombreux », explique Hwang Woo-suk. « Les deux principales difficultés résident dans le transfert du noyau d'une cellule somatique dans l'oeuf énuclée et dans le prélèvement des cellules souches sur cet embryon ». À quand les premières applications ? « Il faudra encore des années, voire des décennies, avant que des traitements ne soient mis au point pour l'homme », tempère Hwang Woo-suk.

Hwang Woo-suk en quelques dates

Hwang Woo-suk et son équipe se sont déjà distingués à plusieurs reprises dans le domaine du clonage :

  • 1993 : naissance du premier veau sud-coréen né par fécondation in vitro
  • 1999 : clonage d'une vache
  • 2002 : clonage du premier cochon au monde
  • 2004 : clonage du premier embryon humain au monde
  • 2005 : obtention de onze lignées de cellules souches à partir d'embryons humains clonés

Premier pas pour la Grande-Bretagne

Un embryon humain (blastocyste) six jours après la fécondation

Au même moment, une équipe britannique annonce avoir obtenu par la même technique le premier embryon humain cloné d'Europe. Dix mois après l'autorisation de clonage thérapeutique par les autorités britanniques, l'expérience marque l'entrée du Royaume-Uni dans la course au clonage humain. Les scientifiques de l'université de Newcastle ont travaillé sur des ovocytes prélevés dans le cadre de traitements contre la stérilité. Après les avoir énucléés, ils ont transféré, dans ces ovocytes, des noyaux issus de cellules souches prélevées sur des embryons normaux (ce n'est donc pas un « autoclonage », comme dans le cas de l'expérience coréenne). Trois embryons se sont développés, mais un seul est parvenu au stade blastocyste.

Alison Murdoch, directrice du centre de fertilité de Newcastle

Par ailleurs, aucune lignée de cellules souches n'a pu être produite : « le développement de notre blastocyste s'est arrêté avant même que l'on puisse en tirer des cellules souches, explique Alison Murdoch, membre de l'équipe britannique et directrice du centre de fertilité de Newcastle. La raison, c'est qu'à la différence des Coréens, nous utilisons des ovocytes prélevés lors de traitement contre la stérilité, qui ont parfois plus de deux jours. Or, nous savons maintenant que les ovocytes utilisés immédiatement après qu'ils aient été prélevés donnent de biens meilleurs rendements. Mais notre comité d'éthique nous autorise depuis peu à récupérer, après consentement des femmes concernées, deux œufs qui se seraient développés en trop grand nombre lors du traitement, et cela immédiatement après leur prélèvement. Nous allons donc poursuivre nos recherches avec ces œufs. »

Ailleurs, où en est la recherche ?

Les différentes politiques en matière de clonage thérapeutique et de recherche sur les cellules souches embryonnaires

Seuls la Corée, Singapour, la Chine, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, Israël et la Suède autorisent pour l'instant le clonage thérapeutique.

Aux Etats-Unis, il est interdit de financer ces recherches au niveau fédéral, mais certains Etats, comme la Californie, le New Jersey et plus récemment le Massachussetts, se sont tout de même lancés dans l'aventure. De même, le Congrès américain a adopté le 24 mai 2005 deux lois visant à lever l'interdiction de financer ces recherches. Mais le président Georges Bush a d'ores et déjà promis d'y opposer son veto... Par ailleurs, l'ONU a adopté en février 2005 une déclaration, juridiquement non contraignante, invitant les pays membres à interdire toute forme de clonage humain, y compris à visée thérapeutique.

Marc Peschanski, Inserm : « Les politiques se sentent désormais un peu plus prêts à discuter. »

En France, le clonage d'embryon humain est interdit par la loi de bioéthique. Les scientifiques peuvent pour l'instant travailler sur les cellules souches embryonnaires, mais uniquement à partir d'embryons surnuméraires, c'est-à-dire ceux créés lors des fécondations in vitro et ne faisant plus l'objet d'un projet parental, ou à partir de cellules souches importées.

Toutefois, l'ancien ministre de la recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg a déposé le 24 mai 2005, devant le bureau de l'Assemblée nationale, une proposition de loi visant à abroger l'article interdisant le clonage thérapeutique. Et une pétition, signée par 10 personnalités scientifiques (dont deux prix Nobel de médecine : François Jacob et Jean Dausset), a été remise au président de l'assemblée nationale le 17 juin 2005 afin de soutenir ce projet.

Lise Barnéoud le 24/05/2005