Horloge biologique : au rythme de l'ADN...

Des chercheurs viennent de mettre en évidence le rôle du « compactage » de l'ADN dans les mécanismes d'horloge biologique chez les mammifères. Une découverte qui ouvre de nouveaux espoirs, notamment dans les traitements du cancer.

Par Lise Barnéoud, le 24/11/2006

Quand les chromosomes battent la pulsation

Clock et les rythmes circadiens

Le matin, nous nous réveillons. A midi, nous avons faim. Le soir, nous sommes fatigués. Vers 4 heures, nous avons un pic de production de mélatonine. A 8 heures, nous avons un pic de sécrétion de cortisol et du nombre de globules blancs circulants. Rien à dire : nous sommes réglés comme des horloges. Et pour cause : 10 à 15 % de nos gènes sont contrôlés par une horloge biologique d'une période d'environ 24 heures (horloge circadienne), dont la partie centrale se trouve dans le cerveau, au niveau de l'hypothalamus.

Les rythmes biologiques à la loupe

La régulation des horloges centrale et périphériques

Les rythmes biologiques, observés chez la plupart des êtres vivants, sont classés en trois grandes catégories :

  1. les rythmes circadiens, qui ont une période d'environ 24 heures (ex : alternance veille/sommeil, température centrale, métabolisme de base) ;
  2. les rythmes infradiens, qui ont une période supérieure à 28 heures (ex : menstruation) ;
  3. et les rythmes ultradiens, qui présentent une période inférieure à 20 heures (ex : rythme cardiaque).

Toutes les cellules d'un organisme vivant possèdent leur propre horloge biologique mais il existe une horloge « centrale », située dans l'hypothalamus, au niveau des noyaux suprachiasmatiques. La destruction de cette horloge centrale entraîne la disparition d'un grand nombre de rythmes. Cette horloge possède une rythmicité propre, mais elle peut se re-synchroniser grâce à des facteurs externes. Ainsi, lors des changements de saison ou après un décalage horaire, l'horloge interne peut s'adapter aux nouvelles conditions et décaler son rythme. Parmi ces synchronisateurs externes, l'alternance lumière/obscurité joue un rôle primordial. Les noyaux suprachiasmatiques reçoivent en effet des informations lumineuses directement de la rétine.

Le compactage de l'ADN

Comment cette horloge fonctionne-t-elle ? Grâce à une douzaine de « gènes d'horloge », codant pour des protéines qui contrôlent l'expression d'autres gènes. Parmi eux, le gène Clock joue un rôle central. Sans lui, l'horloge se dérègle. Jusqu'à présent, on pensait que la protéine Clock, issue de ce gène, était « seulement » un facteur de transcription qui régulait l'expression d'autres gènes. Mais l'équipe de Paolo Sassone-Corsi, de l'Institut de génétique et biologie cellulaire (Strasbourg), vient de démontrer que cette protéine possédait également une activité enzymatique capable de modifier le degré de « compaction » de l'ADN au sein de la cellule. Autrement dit, en remodelant les chromosomes, Clock rend les gènes plus ou moins accessibles, ce qui influence leur expression.

Une danse à deux temps

Ce phénomène de compactage et décompactage des brins d'ADN est déjà bien connu des biologistes car il se produit à chaque division cellulaire. Or diverses études ont déjà montré un lien entre l'horloge circadienne, qui régule les rythmes de l'organisme, et l'horloge cellulaire, qui régule les cycles de division des cellules. « Une bonne partie des cellules des mammifères se divise selon un cycle d'environ 20 heures, confirme Paolo Sassone-Corsi, l'un des auteurs de l'étude. Bizarrement proche de 24 heures, non ? ». Et en effet, les scientifiques ont découvert que certains des « gènes d'horloge » (dont Clock) régulaient l'expression des gènes contrôlant le cycle cellulaire. Mais la nouveauté de cette étude est qu'ici, Clock agit directement via son activité enzymatique sur le compactage de l'ADN, sans passer par l'intermédiaire d'autres gènes.

Des applications prometteuses

Francis Levi, directeur du laboratoire des Rythmes biologiques et cancers (Inserm) : « On peut imaginer contrôler certains processus cancéreux grâce à Clock ».

Si une enzyme peut moduler le degré de compactage de l'ADN et participer aux mécanismes de division cellulaire, elle a de fortes chances d'être également impliquée dans les anomalies des cycles cellulaires, notamment dans les proliférations tumorales. Une piste d'autant plus sérieuse pour Clock que le rôle des rythmes circadiens dans les traitements contre le cancer est désormais bien connu : la tolérance et l'efficacité de certains traitements, notamment de chimiothérapies, varient en effet selon le moment d'administration.

Cette approche, appelée chronothérapie, s'appuie également sur des études épidémiologiques qui montrent que les personnes dont le mode de vie est déréglé présentent plus de chances de développer un cancer. Une protéine comme Clock pourrait donc jouer un rôle dans le développement des cancers. Si tel était le cas, une nouvelle approche thérapeutique pourrait consister à développer des médicaments modulant l'activité enzymatique de cette protéine.

Lancement d’un projet européen de chronothérapie

Un programme européen de chronothérapie baptisé TEMPO vient d'être lancé. Coordonné par le professeur Francis Levy, il implique une trentaine de chercheurs français, italiens et anglais et vise particulièrement le traitement du cancer colorectal. Objectif : optimiser la tolérance et l'efficacité des traitements anti-cancéreux en tenant compte des variations au cours du temps des profils génomiques de chaque individu.

Lise Barnéoud le 24/11/2006