ADN : de Christophe Colomb aux tests de paternité...

Des analyses d'ADN font actuellement l'objet de nombreux programmes de recherche pour tenter de réécrire l'Histoire, en s'intéressant à des personnalités des temps anciens comme Christophe Colomb ou Jeanne d'Arc. Dans le même temps, des milliers d'anonymes se ruent sur ce type d'analyses pour en savoir plus sur leurs ancêtres, voire pour s'assurer de leur paternité. Tour d'horizon de ces techniques en plein développement.

Par Jérémie Bazart, le 16/04/2007

Une relique reluquée !

Jeanne d’Arc au sacre du roi Charles VII, dans la cathédrale de Reims

Curieuse actualité que celle qui remonte le temps de l'Histoire... Ainsi ce médecin légiste, Philippe Charlier, chargé par l'archevêché de Tours d'étudier les reliques de Jeanne d'Arc, doit-il répondre à la terrible question de leur authenticité : les restes conservés sont-ils bien ceux de Jeanne d'Arc ?

Si l'apport historique est, selon le Dr Charlier, « quasi nul », il en va tout autrement de l'apport scientifique. En effet, lorsqu'on sait que Jeanne d'Arc a été brûlée trois fois, qu'avec elle toutes sortes d'animaux ont été déposés dans le bûcher et que les cendres sont vieilles de plus de 500 ans, le défi est de taille !

Pendant des mois, les résidus de textiles, de bois, de pollens, d'os humains et d'animaux vont être analysés afin de préciser si la personne qui a été brûlée était bien une jeune femme, si le bois venait bien de la région de Rouen et si ces morceaux de charbon étaient aussi anciens que la crémation elle-même…

Philippe Charlier, médecin légiste : « Le principal problème, c'est la contamination des échantillons... »

Les premières conclusions rendues fin 2006 tendaient déjà à montrer qu'il s'agissait d'une fausse relique : les restes auraient été non pas brûlés mais embaumés. C'est ce que confirment les résultats de l'étude publiée dans Nature, le 5 avril 2007, avec quelques précisions réfutant définitivement cette hypothèse : la datation au carbone 14 indique que ces restes remontent avant J.-C. (entre 700 et 230 ans) et les « nez » de parfumeurs identifient un parfum de plâtre et une odeur de vanille. Tout ceci correspond plutôt à une momie égyptienne qu'à une relique moyenageuse.

Le Dr Charlier n'en est pas à son premier coup d'essai « paléopathologique ». Pour ce qui est de préciser les circonstances de la mort des personnages du passé, ce jeune chercheur s'est récemment illustré dans la démonstration des causes de la mort d'Agnès Sorel. En étudiant les cheveux et les poils de la Dame de Cœur, il a démontré que cette dernière avait été empoisonnée au mercure et qu'elle n'avait donc pas été victime d'un surdosage médicamenteux.

L'arbre de Colomb

Christophe Colomb intéresse également les spécialistes de l'ADN. Il suscite cette année à lui seul deux controverses. Dans les deux cas, c'est le laboratoire d'analyse génétique de l'université de Grenade (Espagne) qui mène les recherches.

Christophe Colomb

La première controverse résolue cet été concernait la localisation et l'identification des restes de l'explorateur que se bataillaient l'Espagne et la République Dominicaine… Les techniques de comparaison de l'ADN ont été au cœur de l'expérience qui a finalement confirmé que la cathédrale de Séville détient bien les restes de Christophe Colomb.

La seconde controverse, toujours d'actualité, concerne les origines de l'explorateur. En effet, de nombreuses personnes pensent que Christophe Colomb est originaire de la ville de Gènes, en Italie. Mais d'autres en doutent et préféreraient le savoir Catalan ou même natif du Roussillon.

C'est pourquoi les scientifiques espagnols ont lancé, à la fin de l'année 2005, une recherche dans ces différentes régions d'Espagne, d'Italie ou de France, auprès de tous les hommes volontaires qui se nomment Colomb, Colombus, Colon ou qui portent un nom proche. L'ADN de ces hommes est recueilli par un prélèvement classique. Il est ensuite comparé à celui de Diego et d'Hernando Colomb, respectivement le fils et le frère du découvreur de l'Amérique. Si parmi les hommes prélevés, certains possèdent un ADN proche de celui des Colomb, il y a une forte probabilité pour que Christophe Colomb soit lui-même issu de la même région que ces hommes. Les résultats de cette énigme généalogique sont attendus avant la fin de l'année.

Le même laboratoire de Grenade utilise actuellement ces techniques d'analyse d'ADN afin d'effectuer des recherches sur l'identification des victimes du régime franquiste durant la guerre civile espagnole.

Les prélèvements d'ADN

Chez une personne décédée, il s'agit de récupérer des cellules de peau, d'os ou de cheveu. Ces cellules sont ensuite mises dans un solvant afin d'extraire l'ADN contenu dans le noyau. Des sondes à ADN sont introduites dans le milieu. Elles permettent de repérer et de capturer les fragments d'ADN qui vont ensuite être amplifiés. Pour récupérer de l'ADN chez une personne vivante, on peut le faire de deux façons : la première technique consiste à prélever les cellules dans la salive avec un simple batonnet stérile. La deuxième consiste à prélever un peu de sang par une piqûre au bout du doigt. Ensuite, dans les deux cas, un support papier particulier est utilisé. Il permet la collecte, le transport et le stockage de l'ADN.

ADN Globe-trotter

Le projet Genographic

Il n'y a pas que Christophe Colomb qui fait le tour du monde. L'Homme lui-même ne l'a-t-il pas déjà fait ?

Depuis plus d'un siècle, la National Geographic Society s'attache à explorer la Terre. Après avoir planté le drapeau au pôle Nord en 1909 ou découvert l'emplacement du Titanic en 1985, c'est aux migrations de populations que s'intéresse aujourd'hui la célèbre institution. Depuis un peu plus d'un an, le projet Genographic a été lancé avec IBM et la Waitt Family Fondation.

Le cœur de ce programme est constitué par l'analyse de l'ADN de peuples indigènes. Selon les instigateurs de ce programme, « les échantillons de sang prélevés auprès de ces populations – dont l'ADN contient des marqueurs génétiques clés, inchangés depuis des centaines de générations – sont des indicateurs fiables des schémas migratoires anciens ». Les analyses portent plus précisément sur l'ADN du chromosome Y ainsi que sur l'ADN mitochondrial.

 

L'ADN du chromosome Y et l'ADN mitochondrial

Le chromosome Y est situé sur la 23e paire à côté du chromosome X. Ces deux chromosomes sont dit « sexuels » car ce sont eux qui déterminent le sexe des individus (XX pour les femmes et XY pour les hommes). Les hommes (XY) peuvent transmettre aussi bien le chromosome X que le Y. Un garçon aura par conséquent le même Y (à peu de choses près) que son père et que son grand-père... Pour suivre la généalogie du côté maternel, on utilise l'ADN mitochondrial qui est transmis exclusivement par la mère. Cet ADN est présent dans les cellules, à l'intérieur des mitochondries dont le rôle est de produire de l'énergie.

Un kit d'analyse disponible sur Internet

L'autre volet du programme concerne chacun d'entre nous. Pour une centaine d'euros, il est possible de commander sur Internet un kit d'analyse permettant de connaître ses ancêtres. Attention, il ne s'agit pas là d'établir un arbre généalogique mais plutôt une forêt généalogique ! Car les résultats donnent uniquement une idée du parcours migratoire des ancêtres : on peut ainsi savoir s'ils venaient plutôt du bassin méditerranéen, du centre de l'Europe ou d'Asie orientale.

« La science occidentale ne détient pas la vérité... »

« L'engouement des Français pour cette généalogie d'un autre âge est inespéré ! La vente des kits est un véritable succès qui a dépassé les plus belles espérances des initiateurs du projet », confie François Marot, rédacteur en chef de la revue du National Geographic pour la France. En un an, les 100 000 lots prévus pour les cinq années du projet ont tous été vendus.

Les 100 millions de dollars de recettes issues de cette vente serviront à financer le projet scientifique ainsi que des programmes d'éducation et de préservation culturelle des populations indigènes participantes.

Telle paire (de chromosomes), tel fils

Plus proche de nous, les analyses d'ADN alimentent aussi les rubriques des faits divers. Il y a près de dix ans, l'affaire Yves Montand avait donné une très grande visibilité à une nouvelle utilisation de l'ADN : les tests de paternité.

Lorsqu'on sait qu'un enfant sur trente dans le monde n'est pas celui de l'homme qui croit être son père (selon la revue médicale The Lancet), on ne s'étonne plus que de plus en plus de personnes y ont recours. Ces tests sont utilisés par des pères afin de vérifier qu'ils sont bien le géniteur – ou au contraire qu'ils ne le sont pas – mais aussi par les enfants. Promettant une fiabilité proche de 100% pour 300 dollars avec des résultats en moins de 15 jours, de nombreux laboratoires ont trouvé là un bon filon.

Marie Gaëlle Le Pajolec, biologiste à l'IGNA de Nantes, explique le principe des tests ADN.

Ainsi, rien qu'aux Etats-Unis, plus de 250 000 tests ADN de paternité sont effectués chaque année. Et pour fournir la matière première ? Rien de plus simple. Un mégot de cigarette, un cheveu ou un peu de sang... Mais si cette pratique est devenue monnaie courante outre-Atlantique, il en est autrement en France où elle continue à être très encadrée.

Les actions de recherche en paternité doivent obligatoirement faire l'objet d'une procédure judiciaire contraignante. Ainsi, seules 1 500 analyses sont réalisées chaque année. Pourtant, la demande va croissante. Selon Marie-Gaëlle Le Pajolec de l'Institut génétique Nantes-Atlantique, « le laboratoire fait environ 300 recherches par an et le nombre de demandes qui viennent des particuliers est impossible à chiffrer ! ».

Dès lors, la seule solution qui s'offre aux personnes soucieuses de leur paternité est de passer par un laboratoire à l'étranger. Sur Internet, pour quelques mots clés entrés dans un moteur de recherche, ce sont des centaines d'annonces qui s'affichent à l'écran. « La rigueur des analyses, le prélèvement et le conditionnement des échantillons laissent souvent à désirer », regrette Marie-Gaëlle Le Pajolec. Car s'il est vrai qu'une analyse d'ADN donne toujours des résultats, encore faut-il être capable de les interpréter.

Jérémie Bazart le 16/04/2007