Médicaments anti-tabac : vraiment utiles ?

Encore fumeurs ? Depuis le 1° février 2007, vous êtes exclus de la plupart des lieux publics ! L'occasion peut-être de décrocher totalement... S'il est possible de supprimer la dépendance au tabac sans aide particulière, des méthodes existent pour faciliter l'arrêt des cigarettes. Mais quelle est leur efficacité réelle ? Tour d'horizon des médicaments actuels et futurs pour arrêter de fumer.

Par Jérémie Bazart, le 09/01/2007

10 millions de fumeurs souhaitent arrêter

Les causes de mortalité liées au tabac en France

Le tabac serait à l'origine de la mort de plus de 5 millions de personnes à travers le monde. En France, avec 66 000 décès par an (en grande partie liés aux cancers du poumon), c'est la première cause de mortalité dite « évitable ». Selon l'Institut national de veille sanitaire, sur les 15 millions de fumeurs français, plus de 65 % souhaitent s'arrêter dont les deux tiers dans un avenir proche (de moins d'un mois à… un an).

L'épidémiologie du tabac en France

Pourtant, aujourd'hui, seuls deux millions de fumeurs sont « traités ». Pour arrêter, il n'y a pas de méthode miracle et  chaque personne doit être prise en charge de façon individualisée, affirment la plupart des tabacologues. De ce point de vue-là, rien de nouveau. Le processus que tout candidat à l'arrêt du tabac doit avoir en tête et respecter, est archi-connu. Tout d'abord, il faut que le fumeur demandeur d'un accompagnement soit motivé. Sans motivation, l'arrêt est impossible. Ensuite, une phase d'évaluation est mise en place avec un spécialiste. C'est elle qui déterminera la méthode la mieux adaptée à l'arrêt effectif. La troisième étape est celle de la stabilisation et du renforcement de l'arrêt. Car il ne faut pas oublier qu'un fumeur qui arrête n'est pas à l'abri d'une rechute…

L'évolution des lois « anti-tabac »

  • 10/01/1991 : Loi Evin

Lieux d'interdiction : entreprises, restaurants, établissements scolaires, transports collectifs. La loi prévoit des espaces réservés aux fumeurs.
Amendes en cas de non-respect : jusqu'à 450 euros pour le fumeur, et 1 500 euros pour les propriétaires de l'établissement en cause. 

  • 01/02/2007 : Loi Xavier Bertrand

Lieux d'interdiction : tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail. Les espaces réservés aux fumeurs sont interdits dans les établissements scolaires et les hôpitaux. Dans les entreprises, ils sont autorisés mais ne délivrent aucun service. De plus, ils devront être dûment ventilés et leur superficie n'excèdera pas 35m².
Amendes en cas de non-respect : 75 euros pour l'auteur de l'infraction, 150 euros pour le responsable des lieux. Voir la loi.

  • 01/01/2008 : L'interdiction prévue par la loi du 1er février 2007 sera étendue aux cafés, restaurants, casinos, cercles de jeu, discothèques et hôtels.

Les méthodes classiques d’aide au sevrage

Les études montrent que, comparées à l'absence de traitement, les techniques d'accompagnement par la nicotine, les médicaments ou la thérapie cognitivo-comportementale multiplient par deux, voire par trois, les chances d'arrêter de fumer... à six mois !

Le plus dur, c'est de s'arrêter...

Si, pour certains, il est parfaitement possible de s'arrêter de fumer tout seul, d'autres ont besoin d'une aide. Les méthodes non médicamenteuses ont toujours leurs adeptes mais aucune étude sérieuse n'a mis en évidence que l'hypnose, l'homéopathie, l'auriculothérapie, le laser, la mésothérapie ou la désensibilisation étaient plus efficaces que l'absence de traitement pour arrêter de fumer… Il faut dire que l'industrie pharmaceutique est passée par là.

Aujourd'hui, les accros au tabac disposent d'un arsenal chimique qui ne cesse de s'enrichir d'année en année. Avec 10 millions de candidats à l'arrêt, le marché du sevrage représente à lui seul près de 125 millions d'euros par an (selon le consultant Nielsen) !

Le traitement nicotinique de substitution (TNS)

Au premier rang, la méthode la plus connue et la plus reconnue, c'est le TNS, autrement dit le traitement nicotinique de substitution. Il consiste à remplacer la nicotine apportée par la cigarette et à diminuer progressivement les doses. C'est le traitement médicamenteux de référence pour aider au sevrage tabagique. Les patchs représentent l'essentiel des ventes. Sur deux millions de fumeurs traités par TNS, 1,3 million le sont avec des patchs.

On trouve également la nicotine sous forme d'inhaleur, de comprimés ou encore de gommes à mâcher. Les effets indésirables – comme l'insomnie ou les troubles gastriques – étant jugés acceptables, c'est le produit qui, selon la plupart des experts, aurait le meilleur rapport bénéfice/risque.

Le gouvernement entend prendre en charge l'accompagnement médicamenteux des personnes souhaitant arrêter de fumer, en proposant la prise en charge du premier mois de traitement par substituts nicotiniques (sous la forme d'un forfait de 50 euros, dans la limite d'une fois par an et sur la base d'une prescription médicale).

Nicotine et dépendance ?

La nicotine est une petite molécule qui traverse librement la membrane isolant le cerveau de la circulation sanguine (la barrière hémato-encéphalique). Elle a une structure proche de l'acétylcholine (un neurotransmetteur libéré dans le cerveau par les neurones). Une fois larguée, la nicotine entraîne une décharge de dopamine dans les zones de récompense cérébrale, et procure ainsi du plaisir. L'une des raisons de son pouvoir d'addiction est sa rapidité d'atteinte du système nerveux central. En effet, il lui faut moins de dix secondes pour passer des poumons au cerveau… encore plus rapide qu'avec une injection d'héroïne ! C'est la raison pour laquelle les fumeurs peuvent contrôler très précisément leur taux de nicotine dans le sang en adaptant leur consommation de cigarettes.

Le Zyban®, toujours utile dans le sevrage ?

Depuis 2001, d'autres produits existent. Vendu sur ordonnance, l'amfébutamone ou bupropion, plus connu sous le nom de Zyban®, est réputé être « le médicament pour arrêter de fumer ». Un slogan à prendre avec beaucoup de précautions. En effet, ce dérivé des amphétamines présente des effets indésirables fréquents, parfois extrêmement graves, et sans empêcher davantage de rechutes qu'avec les autres produits.

Anne Castot, Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps)

Pour le Dr. Anne Castot, de la direction de l'évaluation des médicaments et des produits biologiques à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps), il est à utiliser en deuxième intention.

Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire

Même s'il ne constitue pas un « traitement d'attaque » pour le sevrage tabagique, pour les spécialistes de la revue Prescrire, l'utilisation du bupropion est un jeu qui n'en vaut pas la chandelle. Ils recommandent donc de ne pas utiliser le Zyban® pour arrêter de fumer, c'est bien trop dangereux !

D'autres molécules ont été testées dans l'arrêt du tabac. C'est le cas du rimonabant, de la séléginine et du moclobémide… Leur efficacité, non supérieure à celle de la nicotine de substitution, ainsi que leurs nombreux effets indésirables ont relégué ces produits aux oubliettes, en tout cas pour l'indication du sevrage tabagique. À part le bupropion donc, peu de médicaments sont réellement utilisés. Et c'est dans ce contexte que, tout dernièrement, le Champix® vient d'arriver sur le marché…

Mode d’action du Zyban®

L'amfébutamone (Zyban ®) a un effet sur deux types de circuits dans le cerveau : ceux reliés à la dopamine (à l'origine du plaisir) et ceux liés à la noradrénaline (associée à l'énergie et à la concentration). Bien que le mécanisme de ce médicament reste méconnu, on suppose qu'il agit sur ces neuromédiateurs au niveau d'une structure cérébrale appelée « le noyau accumbens ». Il rendrait le manque de dopamine et de noradrénaline supportable et aiderait ainsi au sevrage.

Le Champix est-il le champion du sevrage ?

Les laboratoires pharmaceutiques ont bien saisi l'air du temps : ils investissent toujours davantage ce marché porteur des produits pour arrêter de fumer. Après le Zyban® (amfébutamone) de GSK, l'Acomplia® (rimonabant) de Sanofi, c'est au tour du laboratoire Pfizer de lancer le sien. La varénicline qui vient de subir avec succès une procédure européenne d'autorisation de mise sur le marché sera commercialisée l'année prochaine sous le nom de Champix®. Mais ce médicament apporte-t-il réellement un « plus » pour arrêter de fumer ?

Le Champix® (varénicline) est-il efficace pour arrêter de fumer ? La réponse d'Anne Castot (Afssaps)

Pour l'Afssaps, l'avantage principal de ce médicament réside dans sa tolérance relativement bonne, bien meilleure que le bupropion, et par le fait qu'il augmente l'arsenal thérapeutique des médecins face à des patients de mieux en mieux informés et toujours demandeurs de nouveaux traitements.

Pourquoi le Champix® (varénicline) n'a-t-il pas été comparé aux produits contenant de la nicotine ?

Mais l'Agence entend rester mesurée quant aux effets soi-disant révolutionnaires de cette molécule. Finalement, celle-ci se comporte comme la nicotine, bien que le laboratoire qui le commercialise ne l'a pas comparé à la nicotine… Face à cette absence de traitement miracle, d'autres pistes médicamenteuses sont en cours d'étude. Aux États-Unis et en Suisse, de petites firmes se penchent sur un nouveau traitement… vaccinal cette fois-ci !

 

Mode d’action du Champix®

La varénicline (Champix®) est une molécule qui a une structure proche de la nicotine. Par conséquent, elle va se comporter de la même façon. Elle entre en concurrence avec la nicotine en se fixant sur les mêmes récepteurs qu'elle. De ce fait, elle va exercer une stimulation partielle (effet agoniste) sur le récepteur pour qu'il libère de la dopamine et empêcher la liaison de la nicotine au récepteur.

Vers un vaccin pour arrêter de fumer ?

Le mécanisme d'action du vaccin anti-nicotine

Le principe théorique du vaccin est de piéger la nicotine dans la circulation sanguine pour l'empêcher d'atteindre le cerveau et de renforcer ainsi le comportement tabagique.

Problème : le système immunitaire n'est pas naturellement dirigé contre la nicotine, c'est pourquoi il faut l'aider un peu en injectant une macromolécule composée de nicotine qui va stimuler la fabrication des anticorps. Chez les personnes vaccinées, la nicotine inhalée puis circulante sera piégée et ne pourra plus atteindre les récepteurs cérébraux.

Résultat espéré : le fumeur ne ressentira plus de plaisir lorsqu'il fumera. Aujourd'hui, les études avec ce candidat-vaccin sont dites en phase 2, ce qui signifie que les laboratoires testent la dose et la tolérance du produit. Les premiers résultats obtenus laissent apparaître qu'après six mois d'arrêt, le taux d'abstinents avoisinerait les 60 %... mais cela reste à confirmer dans les années à venir.

Quelles pourraient être les indications d’un tel vaccin ? La réponse de Jacques Le Houezec (Inca)

En fait, selon Jacques Le Houezec, conseiller scientifique auprès de l'industrie pharmaceutique et de l'Institut national contre le cancer (Inca), plus qu'un médicament pour arrêter de fumer, le vaccin anti-nicotine serait plutôt un médicament anti-rechute… pour accompagner l'arrêt classique. Quoiqu'il en soit, s'il est un jour mis sur le marché, ce ne sera pas avant cinq ou dix ans.

Pas de produit miracle…

Au bout du compte, agences du médicament, tabacologues, firmes pharmaceutiques, ex-fumeurs ou fumeurs n'ayant pas (encore) réussi à arrêter ne sont d'accord que sur un point : arrêter de fumer est une chose difficile et la motivation personnelle reste primordiale pour en finir définitivement avec la cigarette… et ce, même s'il faut en passer, la plupart du temps, par plusieurs arrêts infructueux !

Les chiffres incitent à beaucoup de modestie : un an après la date initiale d'arrêt, 80 % des personnes refument ! Loin de décourager, ce constat fixe les limites de toutes les méthodes d'arrêt du tabac. Y compris celles s'appuyant sur des aides médicamenteuses. Pour l'heure, c'est surtout l'industrie pharmaceutique qui profite du consensus ambiant sur "l'absolue nécessité de s'arrêter de fumer".

 

Le paradoxe des mesures gouvernementales

Comme la mesure précédente (augmentation du prix du paquet), l'élargissement de l'interdiction de fumer devrait entraîner une diminution du nombre de fumeurs… de cigarettes ! Paradoxe : si la baisse des ventes de cigarettes a connu une accélération ces cinq dernières années, principalement imputable aux fortes augmentations de prix, les ventes de tabac à pipe, à rouler, de cigares et cigarillos n'ont, quant à elles, cessé de croître ! Conséquence, le chiffre d'affaires de l'industrie du tabac ne s'en porte pas plus mal : il est passé de 13,05 milliards d'euros en 2000 à 14,64 milliards en 2005.

Jérémie Bazart le 09/01/2007