Paludisme : un traitement à 1 dollar et sans brevet

Le 1er mars 2007, un laboratoire privé et une association ont annoncé le lancement de l'ASAQ, un nouveau médicament contre le paludisme. Fruit d'une collaboration public-privé atypique, celui-ci a la particularité d'être peu coûteux – moins de 1 dollar – et de n'être couvert par aucun brevet. Une rupture dans la production de médicaments à destination des pays pauvres ?

Par Olivier Boulanger, le 06/03/2007

Un nouveau médicament contre le paludisme

L'ASAQ

D'ici la mi-avril, les pays victimes du paludisme devraient pouvoir bénéficier d'un nouveau médicament, l'ASAQ, une bithérapie issue d'une collaboration entre la fondation DNDi (Drugs for Neglected Dideases initiative) et le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis.

« Le but de ce projet était de développer un produit aussi adapté que possible à la situation du paludisme en Afrique », explique Bernard Pecoul, le directeur de DNDi, qui ne cache d'ailleurs pas sa confiance dans ce nouveau traitement : « ce médicament va sauver des vies » insiste-t-il.

À propos du paludisme

Sensibilisation aux risques du paludisme à Pinpindjango au Burkina Faso

Le paludisme (ou malaria) est dû à un parasite, le plasmodium, qui se transmet d'homme à homme par la piqûre du moustique anophèle. Le parasite touche chaque année entre 350 et 500 millions de personnes dans le monde, et fait entre 1,5 et 2,4 millions de morts.

Avec le sida et la tuberculose, il fait partie des trois maladies désignées par l'OMS comme les plus importantes en Afrique. Sur ce continent, le paludisme est la cause la plus importante de décès chez les enfants de moins de 5 ans.

Plusieurs candidats vaccins font actuellement l'objet d'expérimentation. Mais les chercheurs n'envisagent pas un vaccin efficace avant une dizaine d'années.

Une posologie simplifiée et un coût réduit

Pour lutter contre le paludisme, l'OMS préconise depuis 2001 d'associer l'artémisinine – un composé réputé pour son efficacité et utilisé depuis longtemps en médecine traditionnelle chinoise – à d'autres molécules afin de diminuer les risques de résistance du parasite. Conformément à ces recommandations, l'ASAQ associe un dérivé synthétique de l'artémisinine, l'artésunate* (AS), à l'amodiaquine (AQ) : deux molécules déjà utilisées en bithérapie depuis plusieurs années dans certaines zones endémiques.

À qui s'adresse ce produit ? Peut-il réduire significativement la mortalité ?

En ce sens, l'ASAQ n'est donc pas un nouveau remède. Mais jusqu'à présent, cette bithérapie nécessitait la prise de nombreux médicaments, ce qui compliquait le suivi de traitement particulièrement pour les patients les plus démunis. La nouvelle formulation permet ainsi de limiter pour un adulte le traitement à deux comprimés par jour (en une seule prise) pendant trois jours. Autre point d'intérêt : l'ASAQ a été décliné sous une forme pédiatrique pour les enfants de deux mois à treize ans ; il ne se prend alors qu'à raison d'un seul comprimé par jour.

Mais ce nouveau traitement se distingue également par son prix. Sanofi-Aventis ayant renoncé à tout brevet sur ce produit, le traitement complet coûtera moins de 1 dollar pour un adulte et la moitié pour un enfant. L'ASAQ sera ainsi proposé à prix coûtant aux structures publiques dans les pays endémiques, aux institutions internationales, aux ONG et aux pharmacies adhérant aux Programmes d'accès aux antipaludiques de Sanofi-Aventis.

Une opération d’un nouveau genre

L'ASAQ pourrait être envisagé comme traitement de première ligne pour près d'un demi-milliard d'individus.

Partenariat public-privé, prix coûtant, absence de brevet… le lancement de l'ASAQ tranche avec les règles habituelles de l'industrie pharmaceutique à destination des pays pauvres.

On se souvient en particulier des poursuites dont avait fait l'objet le gouvernement sud-africain, en mars 2001, lorsque 39 laboratoires internationaux l'avaient accusé d'autoriser illégalement la copie de médicaments contre le sida. Une action en justice qui s'était finalement retournée contre ces mêmes laboratoires puisque, face aux nombreuses protestations internationales, la plainte avait été retirée le 19 avril de la même année. Les pays en développement avaient d'ailleurs profité de ce vent favorable pour obtenir devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) l'adoption de la déclaration de Doha qui autorise un pays à « négliger » les droits intellectuels en cas d'urgence humanitaire.

Pour redorer une image quelque peu ternie par cet épisode, les grands laboratoires pharmaceutiques ont depuis revu leur politique tarifaire. Ils consacrent également une partie croissante de leurs revenus en dons et aides diverses. Novartis, par exemple, dépense quelque 750 millions de dollars par an pour la cause humanitaire… tout en poursuivant l'Inde pour copie illégale de médicaments.

Le procès de Novartis contre la loi indienne des brevets

L'affaire Novartis, par Annick Hamel

Le laboratoire pharmaceutique Novartis intente actuellement un procès à l'état indien afin que celui-ci renforce sa loi sur la délivrance des brevets.

Comme en 2001, Médecins sans frontières lance une pétition pour que Novartis n'obtienne pas gain de cause et que l'Inde puisse continuer à produire des médicaments génériques accessibles aux pays les plus nécessiteux.

Une première étape pour DNDi

Pourquoi avoir créé DNDi ?

La fondation, lancée en 2003 par Médecins sans frontières (MSF), a été créée afin de dynamiser le développement de médicaments à destination des pays pauvres. Regroupant six partenaires*, elle s'est fixée pour objectif de combattre plusieurs fléaux majeurs, principalement des maladies parasitaires : la maladie du sommeil, la leishmaniose, etc.

Pas moins de 22 projets sont d'ores et déjà à l'étude ! C'est toutefois le paludisme qui a été retenu pour initier ce nouveau type d'opération. Il s'agissait donc de concevoir – en partant de l'existant – un traitement simple, efficace, peu coûteux et sans brevet afin que les pays endémiques puissent se l'approprier. La première étape, consistant à obtenir un comprimé chimiquement stable, a pu être franchie grâce au travail de différents intervenants du secteur public (les universités de Bordeaux, d'Oxford au Royaume-Uni, de Mahidol en Thaïlande, de Sains Malaysia en Malaisie), mais aussi du secteur privé (Ellipse Pharma, Rottendorf Pharma). Les essais cliniques ont ensuite été menés en Malaisie puis au Burkina Faso où 750 enfants de 6 mois à 5 ans ont testé ce nouveau traitement avec un taux d'échec de seulement 4%.

Restait à assurer la production du médicament. C'est donc Sanofi-Aventis – numéro quatre mondial de la pharmacie – qui s'en chargera grâce à son usine de Casablanca, au Maroc. Le laboratoire s'occupera également de l'homologation du médicament dans les différents pays. La production devrait atteindre quelque « 18 millions de traitements par an » a indiqué Robert Sebbag, vice-président du groupe pharmaceutique, et le produit sera mis à disposition « dès la mi-avril dans une quinzaine de pays d'Afrique ».

* MSF, la Fondation Oswaldo Cruz (au Brésil), le Conseil indien, l'Institut Pasteur, le ministère de la santé de Malaisie, l'Institut de recherche médicale du Kenya.

Olivier Boulanger le 06/03/2007