Dopage : l'EPO court toujours...

La quasi-absence de l'EPO lors des derniers contrôles antidopage pourrait laisser penser que cette hormone a vécu. Pour les spécialistes, il n'en est rien. Tandis que son utilisation se fait plus discrète, de nouvelles formes d'EPO commencent à faire leur apparition.

Par Olivier Boulanger, le 25/07/2007

Bilan de trois mois de lutte antidopage

Au début de l'été, la toute jeune Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a rendu public le bilan de sa première campagne de dépistage conduite durant le premier trimestre 2007. Privilégiant les contrôles « ciblés et inopinés », elle a mené durant ces trois mois quelque 2 455 contrôles (contre 2 129 pour la même période en 2006). Principaux sports visés : le handball (374 contrôles), l'athlétisme (308), le cyclisme (198) et quelques autres disciplines (rugby, boxe…).

Bilan des courses : 3,45 % des contrôles ont donné lieu au constat d'une infraction (soit 60 sportifs incriminés). Le handball arrive en tête avec 16 analyses positives dont 12 aux cannabinoïdes. Vient ensuite le cyclisme avec 7 analyses positives (3 béta-2 agonistes, 2 corticoïdes et 2 anabolisants). Puis le rugby avec 6 cas positifs (4 aux cannabinoïdes, 1 à la cocaïne, 1 aux corticoïdes).

Pierre Bordry, président de l'Agence française de lutte contre le dopage

Difficile de comparer ces résultats avec les années précédentes : « Cela n'a pas grand sens, reconnaît Pierre Bordry, le président de l'AFLD, parce que nous sommes dans un système réellement nouveau et aussi parce que les seuils critiques de certaines substances – comme le salbutamol – ont changé depuis l'année dernière. » Il y a néanmoins une leçon à tirer de cette campagne : « On trouve du dopage dès que l'on se donne la peine d'en rechercher, insiste Pierre Bordry. Cela montre aussi que toutes les disciplines sont concernées et pas simplement les plus médiatiques comme le cyclisme. »

Mais apparait également une énigme : où est passée l'EPO, cette hormone qui a tant défrayé la chronique ces dernières années ? Sur les 60 sportifs incriminés durant le premier trimestre, un seul – en athlétisme – utilisait cette substance.

L’hormone des années 90

L’EPO, ou érythropoïétine est une hormone glycoprotéique (une protéine portant un glucide) produite essentiellement par les reins...

L'EPO appartiendrait-elle au passé ? Il est vrai que cette substance est irrémédiablement associée à une époque : celle des années 90. On pense notamment aux « affaires », celle de Festina, en particulier, survenue durant le Tour de France 1998. Il y a aussi les aveux plus récents d'anciens coureurs – comme ceux de l'équipe Deutsch Telekom – reconnaissant avoir usé et abusé de cette substance durant la dernière décennie. Mais finalement, faut-il s'en étonner ? L'EPO a été mise sur le marché en 1990 (certains sportifs y recourant d'ailleurs dès 1988), et durant près de dix ans, aucun test de dépistage efficace n'était capable de la déceler.

« À l'époque, nous aurions pu doser l'EPO dans les urines, mais cela n'aurait servi à rien, explique Françoise Lasne, responsable du secteur Biologie du Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry. En effet, l'EPO, ou érythropoïétine, est naturellement sécrétée par le rein en plus ou moins grande quantité selon les individus. Un taux élevé d'EPO n'est donc pas forcément synonyme de dopage. Ce qu'il faut, c'était pouvoir distinguer l'EPO naturelle de l'EPO artificielle. »

L’EPO, une molécule miracle pour les sportifs, mais à quel prix ?

Alors que l'usage approprié de l'EPO offre d'énormes avantages thérapeutiques dans le traitement d'anémies liées à des cancers ou à des troubles rénaux, son mésusage peut provoquer des risques importants pour la santé des sportifs utilisant cette substance pour améliorer leurs performances. En épaississant le sang, l'EPO engendre un risque accru d'affections mortelles, telles que des troubles ou des attaques cardiaques et des embolies cérébrales ou pulmonaires. Le mésusage d'EPO recombinante peut aussi provoquer des maladies auto-immunes comportant de sérieux risques pour la santé.

(d'après AMA)

Un test urinaire fiable depuis 2000

Cependant, les chercheurs ont une piste. Les deux molécules mises sur le marché à des fins médicales par les laboratoires Janssen-Cilag et Roche ne sont pas rigoureusement identiques à l'hormone naturelle. Ce sont des produits « biosimilaires » : fabriquées in vitro par introduction dans des cellules d'ovaires de hamster chinois du gène humain de l'EPO, les molécules obtenues, dites « recombinantes », sont tout aussi efficaces que l'EPO naturelle mais diffèrent légèrement dans leur structure.

La méthode de détection, commentée par Françoise Lasne

C'est ainsi qu'en 1999, Françoise Lasne et Jacques de Ceaurriz, directeur du LNDD, exploitant le fait que les charges électriques portées par les différentes formes d'EPO ne sont pas identiques, mettent au point un test urinaire infaillible. Utilisé pour la première fois aux Jeux Olympiques de Sydney, en 2000, il sera dans un premier temps doublé par un test sanguin indirect, mettant en évidence, non pas la présence d'EPO, mais ses effets : hématocrite élevée (taux important de globules rouges dans le sang), taux de fer élevé (la prise de fer est généralement associée à la prise d'EPO)…

Depuis 2003, le test mis au point à Châtenay-Malabry est utilisé par l'ensemble des laboratoires antidopage du monde entier et ne nécessite plus de dosage sanguin.

Des sportifs plus discrets...

Au début des années 2000, la recherche systématique d'EPO recombinantes a fait tomber de nombreux sportifs, d'autant que la méthode a pu être appliquée aux échantillons urinaires récoltés durant la dernière décennie. Au fil du temps, pourtant, les prises se font moins nombreuses comme en témoigne le bilan du premier trimestre de l'AFLD.

Pour autant, Françoise Lasne estime que les sportifs n'ont jamais cessé de recourir à l'EPO : « Ils l'utilisent plus judicieusement, en dosant plus savamment les prises. Ils jouent aussi sur le fait que l'EPO disparaît au bout de trois jours tout en gardant ses propriétés durant plusieurs semaines. » Une raison pour laquelle l'AFLD souhaite multiplier les contrôles inopinés avant les compétitions.

De nouvelles formes d'EPO

Mais un autre phénomène fait son apparition. Depuis près d'un an, les chercheurs découvrent dans leurs résultats des traces d'EPO qui ne correspondent ni à l'EPO naturelle, ni aux deux formes recombinantes connues.

Le dopage génétique à l'EPO, ça existe ?
Françoise Lasne (LNDD)

Il se trouve en effet que les brevets des laboratoires Janssen-Cilag et Roche sur l'EPO sont caducs depuis 2004 : les copies commencent à fleurir… « Au moins trois nouvelles EPO recombinantes ont pu être identifiées, assure Françoise Lasne. Nous travaillons par ailleurs avec l'une des firmes pharmaceutiques pour étudier comment identifier leurs molécules à travers nos tests. »

L'AFLD n'est pas dupe. « En mars, nous avons pu repérer une dizaine de sportifs positifs à ces nouvelles formes d'EPO, avertit Pierre Bordry. Le problème est que l'actuel test de dépistage, bien qu'étant capable d'isoler ces nouvelles molécules, n'est homologué par l'Agence Mondiale Antidopage (AMA) que pour les deux formes historiques. Les sportifs qui ont été repérés ne peuvent donc être poursuivis… pour l'instant. Car je vais faire valoir auprès de l'AMA la nécessité de détecter désormais ces nouvelles formes d'EPO recombinantes. »

Sur Internet, les « bonnes recettes » s’échangent sans tabou...

Extrait d'une discussion trouvée (sans effort !) sur le forum d'un célèbre site médical français :

AAA : Est ce que quelqu'un un connait la nouvelle EPO, EPOSINO. Est-ce qu'elle est détectable ?

BBB : (...) Décelable !

AAA : Est-ce que tu sais combien de temps elle est décelable ?

CCC : Théoriquement elle devient indétectable après 72 heures, c'est grosso modo la marge de sécurité. Mais pourquoi prendre l'EPOSINO ? La meilleur EPO, c'est CERA des laboratoires Roche, une prise par mois équivaut à une prise tous les deux jours pour une EPO classique : elle est donc le top du top ; d'autre part, elle est bien entendu indétectable, quel que soit le moment où tu la prends !

AAA : Merci beaucoup pour l'information ! Mais est-ce que la CERA est déjà sur le marché ? Tu es sûr que ce n'est pas comme l'ARNESP (la CERA), car l'ARNESP reste détectable pendant longtemps je pense. Tu saurais me dire dans quel pays je pourrais l'acheter ? Merci.

CCC : Pour toutes informations sur l'EPOSINO, je te recommande le site suivant : http://xxxxxxx.xxx et le forum où tu trouveras des informations très importantes : http://xxxxxxx.xxx/xxx/xxx. CERA n'est pas encore sur le marché mais ce n'est qu'une question de temps, d'ici quelques mois elle sera disponible aux USA ; bien entendu il est possible d'en avoir si tu as des connaissances bien placées susceptibles de pouvoir t'en fournir, ce n'est donc pas gagné, en tout cas c'est une des EPO d'avenir comme le Repoxygen ! (…)

DDD : Pour commencer, je voudrais savoir combien de temps agit l'érythropoïétine après son injection. Peut-on en mourir ? Si oui, au bout de combien de temps ? J'attends les réponses avec impatience... Merci.

(…)

Olivier Boulanger le 25/07/2007