Fossiles à foison : l'incroyable été 2007 de la paléoanthropologie

Plusieurs découvertes récentes apportent des éclairages importants sur des moments clés de l'évolution de l'Homme. Pourtant, ces résultats suscitent des interrogations, et le scénario de nos origines résiste encore à la paléoanthropologie. Une science en pleine… évolution.

Par Pedro Lima, le 11/10/2007

Huit annonces majeures

La paléoanthropologie, c'est un peu comme les vins… Il y a les bons crus, les confirmations et les déceptions. Or, à en juger par la vendange de publications parues au cours des dernières semaines, l'année 2007 restera incontestablement dans les mémoires. Par sa richesse tout d'abord, puisque pas moins de huit annonces majeures ont été faites entre mai et août dernier, la plupart publiées dans des revues scientifiques de premier plan (voir références ci-dessous). Mais aussi par sa diversité, puisque les résultats annoncés couvrent des périodes très différentes de l'évolution humaine, ainsi que des zones géographiques très variées. Levant le voile sur plusieurs moments clés de notre histoire évolutive... à commencer par les plus anciens.

Toumaï : 6 à 7 millions d'années...

Ainsi, l'une des parutions les plus en vue de l'été, dans la revue Nature du 23 août, concerne la période, très éloignée, au cours de laquelle se seraient séparées deux branches majeures de l'arbre généalogique des primates, conduisant pour l'une à la lignée humaine, pour l'autre à celle des grands singes.

Un événement généralement situé par les chercheurs entre 6 et 7 millions d'années, mais sur lequel pèse une incertitude très forte. À cela, une raison principale : si les paléoanthropologues ont exhumé au cours des dernières années plusieurs fossiles candidats au titre de plus ancien représentant de la lignée hominidée (Sahelanthropus ou Toumaï, Orrorin, Ardipithecus), les représentants de la lignée menant aux grands singes sont beaucoup plus rares, voire inexistants…

Références des revues citées dans l'article

Nature vol. 448, n°7151, 19 juillet 2007

Nature vol. 448, n°7154, 9 août 2007

Nature vol. 448, n°7156, 23 août 2007

Nature vol. 448, n°7160, 20 septembre 2007

Proceedings of the National Academy of Sciences PNAS 2007; 104: 13279-13282

Science vol. 217, p.1743, 21 septembre 2007

Percer le secret de notre séparation d'avec les grands singes

Le Kenyapithecus vieux de 13 millions d'années, et le Samburupithecus qui vivait il y a environ 10 millions d'années : voilà tout ce que les chercheurs avaient à se mettre sous la dent pour comparer les deux lignées et percer le secret de notre séparation. D'où l'importance de la découverte, réalisée en Éthiopie à 170 km à l'est d'Addis-Abeba et annoncée cet été : une canine et huit molaires ayant appartenu à une nouvelle espèce de grand singe, ancêtre des gorilles, le Chororapithecus abyssinicus. Intérêt majeur : il aurait vécu il y a environ 10 millions d'années, et sa dentition le rapproche des plus anciens vestiges connus de la lignée humaine cités ci-dessus. Conclusion, selon les auteurs japonais et éthiopiens de l'étude : « Les deux lignées, celle des humains et celle des grands singes, se sont séparées il y a beaucoup plus longtemps que ce qui est admis actuellement. »

Entraînement comparatif de chimpanzés et d'humains sur un tapis roulant.

Autre mystère en partie levé pour cette même période : l'apparition et le succès évolutif de la bipédie, l'une des adaptations qui ont assuré, en grande partie, la survie des premiers représentants de notre lignée. Cette fois, la réponse ne provient pas des vallées du Rift éthiopien, mais d'un laboratoire d'anthropologie de l'université américaine d'Arizona.

Là, les chercheurs ont entraîné cinq chimpanzés à marcher sur un tapis roulant, à quatre pattes, soumettant ensuite des humains au même traitement ! En mesurant, au passage, la consommation énergétique des deux espèces primates grâce à des masques enregistrant la consommation d'oxygène. Principale conclusion publiée début août dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) : l'homme consomme un quart de l'énergie nécessaire aux chimpanzés pour parcourir une distance identique… Cette économie d'énergie considérable permise par la bipédie serait à l'origine du succès évolutif de la lignée humaine, lui permettant de consacrer ses efforts à d'autres tâches, en particulier cognitives.

Quid des relations entre deux espèces fossiles (erectus et habilis) ?

Plus proche de nous dans le temps, les paléoanthropologues se sont également intéressés aux relations entre deux espèces fossiles apparues il y a environ deux millions d'années en Afrique de l'Est : Homo erectus et Homo habilis.

Fossile d'Homo habilis daté de 1,9 million d'années provenant du site kenyan de Koobi Fora

Deux espèces qui, par leur cerveau plus gros et leur mâchoire plus petite par rapport à leurs ancêtres australopithèques, ainsi que par leur capacité à tailler des outils rudimentaires, marquent la véritable apparition du genre humain.

Or, selon le scénario généralement admis, une lente transformation aurait conduit au remplacement progressif des habilis, plus primitifs évolutivement parlant, par des erectus mieux adaptés à leur environnement… Capables, de ce fait, de partir à la conquête du vaste monde et réalisant, il y a environ 1,8 million d'années, la première sortie d'Afrique d'un hominidé. Un scénario idéal, en forme d'autoroute évolutive menant droit à l'homme moderne, mais que viennent bousculer les résultats publiés début août, à nouveau dans Nature.

Des fragments de crâne d'habilis et d'erectus découverts au Kenya, sur le site de Koobi Fora, ont en effet été respectivement datés, grâce aux sédiments qui les renfermaient à 1,44 et 1,55 million d'années. Très proches dans le temps, donc… selon Meave Leakey, paléontologue et co-directrice des fouilles, « leur coexistence rend peu probable que l'Homo erectus ait évolué à partir de l'Homo habilis ».

Ancienneté de l'occupation humaine en Europe

Dent attribuée à un Homo antecessor

Mais les surprises de l'été ne s'arrêtent pas là… La vitesse à laquelle ces premiers Homo, erectus ou habilis, ont progressé dans les vastes territoires européens à partir de leur sortie d'Afrique, fait également l'objet d'une annonce fracassante, le 27 juin dernier en… Espagne. Les paléoanthropologues fouillant le site d'Atapuerca, à côté de Burgos, ont en effet découvert une dent isolée mais ô combien précieuse ! Attribuée au genre Homo, elle était enfouie dans des niveaux géologiques datés de 1,2 million d'années ! Avec la découverte à Dmanissi (Géorgie), en 1991, de fossiles humains datés de 1,8 million d'années, cette trouvaille confirme l'ancienneté, insoupçonnée il y a quelques années, de l'occupation humaine en Europe.

François Marchal, UMR 6578 – Unité d'anthropologie : adaptabilité biologique et culturelle (CNRS / Université de la Méditerranée)

D'autant que ces hominidés de Dmanissi font à nouveau parler d'eux, à la faveur d'une étude plus complète de leurs squelettes, publiée le 20 septembre dans Nature par les paléoanthropologues géorgiens, européens et américains qui étudient cet exceptionnel gisement.

Leurs pointilleuses analyses morphométriques ont ainsi montré que ces Homo, baptisés à l'époque georgicus par leurs découvreurs, présentaient une « surprenante mosaïque de caractères primitifs et modernes ». Ainsi, leur taille (entre 1,45 et 1,66 mètre) et leur volume cérébral (600 à 775 cm3) les rapproche plutôt des Australopithèques et des Homo habilis découverts en Afrique. Mais leurs membres inférieurs, adaptés à la course, et leur colonne vertébrale, caractéristique d'une bipédie affirmée, rappelle plutôt celle des Homo sapiens, qui apparaîtront plus tard. Il n'en faut pas beaucoup plus pour supposer qu'une bonne partie de notre évolution, celle en particulier conduisant à l'émergence du genre Homo, se serait déroulée sur le vieux continent !

Quels échanges génétiques ont conduit à la naissance d'Homo sapiens ?

Comme si cette avalanche de découvertes ne suffisait pas, c'est sur le dernier point obscur de notre histoire évolutive que se sont portés les feux des projecteurs. Quelles migrations, quels échanges génétiques ont conduit à l'apparition, il y a environ 200 000 ans, de notre espèce, Homo sapiens ? Deux théories s'affrontent, en apparence inconciliables. Selon le scénario monocentriste, dit de « l'Arche de Noé », les six milliards d'Homo sapiens actuels sont tous issus d'une population de quelques dizaines de milliers de « fondateurs », apparus en Afrique de l'Est il y a 100 000 à 200 000 ans et partis occuper à leur tour les autres continents... Remplaçant, là où il s'en trouvait, les descendants d'erectus ou d'habilis partis d'Afrique des centaines de milliers d'années plus tôt.

Carte des migrations préhistoriques d' Homo sapiens sur la base de l'ADN mitochondrial

Selon le second scénario, appelé pluricentriste, l'homme moderne est plutôt le fruit d'une lente évolution des erectus vers les sapiens, transformation graduelle ayant pour cadre l'immense territoire qui va de l'Asie à l'Europe occidentale en passant par l'Afrique. Dans cette optique gradualiste, les principales mutations génétiques à l'origine des changements morphologiques de sapiens se disséminent dans l'ensemble des populations, ce qui implique l'existence de migrations et d'échanges de partenaires importants et permanents.

Or cet été, les partisans de chaque camp ont marqué un point… En faveur de l'origine africaine unique, une imposante étude de l'université de Cambridge publiée, encore une fois, dans Nature. Les chercheurs ont combiné une analyse génétique des différentes populations humaines actuelles, avec des mesures anatomiques réalisées sur 6 000 squelettes fossiles provenant de plusieurs régions de la planète. Conclusion, avancée par le directeur de l'étude Andrea Manica : « Nos travaux démontrent définitivement que les hommes modernes sont originaires d'une seule région au sud du Sahara en Afrique. » Fermez le ban !

Pour autant, les multirégionalistes ne s'avouent pas vaincus, et répliquent par une toute aussi sérieuse étude, publiée début août dans les PNAS, autre poids lourd en matière de revue spécialisée… En analysant plus de 5 000 dents issues de sites fossiles asiatiques, européens et africains, ces paléoanthropologues géorgiens, italiens et espagnols concluent que les Homo sapiens qui vivaient en Europe il y a quelques dizaines de milliers d'années présentaient des caractères anatomiques mélangés, issus à la fois de populations africaines et asiatiques… Incompatible, donc, avec une origine africaine unique. Match nul, et balle au centre, serait-on tenté de dire !

Une nouvelle espèce (floresiensis) confirmée

Il ne manquait plus, pour compléter le tableau des chasseurs de fossile estivaux, que la confirmation d'une nouvelle espèce.

Les trois petits os du poignet (trapézoïde, scaphoïde et capitatum) étudiés par les chercheurs américains.

Qu'à cela ne tienne : des paléontologues du Smithsonian Institute de Washington, aux États-Unis, viennent de rendre publiques leurs conclusions, dans la revue Science du 21 septembre, concernant le statut à accorder à de petits hommes fossiles découverts en 2004 sur l'île indonésienne de Flores, et datés de 18 000 ans à peine.

Espèce inconnue jusqu'alors, ou population de sapiens atteinte de troubles du développement expliquant leur petite taille ? Réponse : en étudiant trois petits os du poignet de ces fossiles (le trapézoïde, le scaphoïde et le capitatum), les chercheurs ont conclu que ces squelettes ne pouvaient pas appartenir à l'espèce humaine actuelle, Homo sapiens, et qu'ils étaient plutôt à rapprocher des grands singes actuels, ou d'autres Homo fossiles. Conclusion : Homo floresiensis constituait une espèce à part entière… Et vient ajouter son nom à la déjà longue liste des espèces d'hominidés à jamais disparus.

Autant d'interrogations que de questions

On le voit, rien n'est définitivement acquis en paléoanthropologie. Et certaines des annonces de cet été suscitent autant d'interrogations qu'elles répondent à des questions. Prenez le paléo-gorille exhumé en Éthiopie. Témoin privilégié des origines de la lignée humaine pour ses découvreurs, il ne convainc guère ses détracteurs : « Créer une espèce nouvelle à partir de restes aussi fragmentaires, cela me paraît extrêmement hypothétique », juge ainsi Martin Pickford, paléo-anthropologue au Muséum de Paris et, accessoirement, co-découvreur d'un candidat au titre de plus ancien hominidé, Orrorin tugenensis. Quant à la théorie sur la bipédie et l'économie d'énergie qu'elle a permis aux premiers hominidés, les mots sont encore plus durs… « Ils réinventent l'eau chaude, on sait cela depuis longtemps ! », sourit anonymement un autre spécialiste français.

François Marchal, UMR 6578 – Unité d'anthropologie : adaptabilité biologique et culturelle (CNRS / Université de la Méditerranée)

Ainsi va la paléoanthropologie, entre réelles avancées, pseudo-découvertes publiés par des revues avides de coups de pub estivaux, ou encore, critiques de chercheurs parfois motivées par la défense de leur propre fossile ou théorie. Pourtant, malgré cette subjectivité apparente, cette science progresse. Et établit même des certitudes tout à fait inimaginables il y a encore quelques années.

« Le fait que l'on dispose depuis peu de trois candidats à l'émergence de la lignée humaine, Orrorin, Toumaï et Ardipithecus, est un événement majeur dans l'histoire de notre discipline, même s'il y a compétition entre eux, analyse le paléoanthropologue François Marchal du CNRS. La confirmation, grâce aux fossiles géorgiens de Dmanissi et d'autres en Asie, d'une sortie très précoce d'Afrique – vers deux millions d'années – constitue également un acquis majeur. »

De plus, la paléoanthropologie acquiert, grâce à des méthodes en perpétuelle amélioration, telles que l'imagerie médicale appliquée aux vestiges fossiles ou encore l'accès aux paléogénomes, des outils d'investigation toujours plus puissants. Qui devraient permettre d'affiner encore le scénario de nos origines… En attendant le cru 2008 en matière de nouveaux fossiles !

Pedro Lima le 11/10/2007