Clonage : les primates rejoignent le club

On croyait le clonage des primates trop complexe pour être réalisé. Une équipe américaine vient de démontrer qu'il n'en était rien : des embryons de macaques ont été obtenus par clonage d'une cellule adulte. L'objectif ? Récupérer des cellules souches et les transformer en n'importe quel type de tissu.

Par Lise Barnéoud, le 16/11/2007

Premier clonage de primate

Les primates font désormais partie du club très fermé des espèces clonées. Après la brebis Dolly qui avait ouvert le bal en 1997, les veaux, les souris, les cochons, les chats, les chiens et les chevaux, des macaques adultes ont été clonés avec succès par une équipe américaine de l'Université de l'Oregon, menée par le professeur Shoukhrat Mitalipov (résultats publiés le 22 novembre 2007 dans la revue Nature).

Des cellules souches embryonnaires obtenues par transfert nucléaire chez le macaque

Seule différence avec les autres membres du club : aucune naissance n'est à signaler chez les macaques. En revanche, des embryons clonés de quelques jours ont bien été obtenus et deux lignées de cellules souches embryonnaires ont pu être prélevées puis transformées in vitro en différents tissus (cœur, muscles, peau...). L'analyse de l'ADN, réalisée par une autre équipe de scientifiques, a en outre permis de vérifier que ces cellules immortelles possédaient bien un patrimoine génétique identique à l'adulte cloné.

Une première, donc, car jusqu'à présent personne n'était parvenu à appliquer la technique du transfert nucléaire aux primates. Toutefois, si ce nouveau clonage d'embryon relance les espoirs de clonage thérapeutique chez l'homme, la recette est encore loin d'être maîtrisée : il aura fallu prélever 304 ovules sur 14 femelles, pour obtenir 35 embryons au stade blastocyste (5-7 jours) sur lesquels 2 lignées de cellules souches ont pu être récupérées. Soit un taux de succès de seulement 0,7% par rapport au nombre d'ovules utilisés.

Double vérification après le scandale coréen

Hwang Woo-Suk à la sortie d'une conférence de presse le 12 janvier 2006

Après le scandale de la fraude scientifique du coréen Hwang Woo-Suk, la revue Nature a préféré vérifier plutôt deux fois qu'une la véracité des résultats annoncés par l'équipe de l'Université d'Oregon. Elle a ainsi demandé à une équipe de chercheurs indépendants de l'Université de Melbourne (Australie) de vérifier les résultats, notamment en procédant à une analyse génétique des cellules souches. C'est la première fois qu'un journal scientifique demande à une tierce partie de vérifier les données d'un article soumis à publication.

Une nouvelle recette

Transfert du noyau d'une cellule de peau dans un ovocyte de primate énucléé

Pourquoi l'équipe dirigée par le biologiste Shoukhrat Mitalipov a-t-elle réussi ce clonage de primate alors que nombre de scientifiques s'y emploient sans succès depuis maintenant près de dix ans ? « Les auteurs ont modifié la technique de transfert nucléaire pour parvenir à ce résultat », explique Ian Wilmut, le père de Dolly, dans une tribune publiée le 22 novembre 2007 dans la revue Nature. Ainsi, au lieu d'utiliser de la lumière ultraviolette pour localiser et enlever le noyau de l'ovule dans lequel le transfert va avoir lieu, ils ont opté pour une lumière polarisée, qui serait moins agressive pour l'ovule.

Par ailleurs, ils ont également modifié la composition de l'environnement dans lequel sont manipulés les ovules puis les embryons, ce qui leur aurait permis de mieux contrôler les étapes du développement embryonnaire. Les chercheurs ont déposé un brevet pour cette nouvelle procédure.

Quelles perspectives d’application ?

L'objectif des chercheurs américain était avant tout de démontrer que la technique était réalisable chez les primates, et donc théoriquement chez l'homme. Mais à quoi peut-il servir de cloner un être humain, si ce n'est à alimenter les revues à scandales et les auteurs de science-fiction ? « L'objectif de toutes ces recherches est d'obtenir des cellules souches embryonnaires, précise Shoukhrat Mitalipov. Comme le singe est très proche de l'homme, nous espérons grâce à ces recherches comprendre comment on pourrait utiliser dans un futur proche ces cellules souches embryonnaires en thérapie cellulaire ». L'idée de cette nouvelle médecine est en effet d'utiliser ces cellules clones du patient pour réparer n'importe quel tissu lésé (cœur, neurone, peau…). Des études réalisées sur le chien semblent montrer que cette thérapie régénératrice pourrait fonctionner. Mais de nombreux obstacles techniques sont encore à franchir, notamment le fait que les cellules souches transplantées deviennent fonctionnelles et ne dégénèrent pas.

Toutefois, la technique du transfert nucléaire n'est pas la seule méthode pour obtenir ces cellules souches magiques. Des scientifiques sont ainsi récemment parvenus à transformer des cellules adultes en cellules souches pluripotentes (capables de donner naissance à tous les tissus du corps humain) par manipulation génétique. Cette technique dite de reprogrammation possède l'immense avantage de ne pas passer par l'embryon, ce qui règle un grand nombre de barrières éthiques. Reste à savoir si ces cellules dites « pluripotentes induites » seront en tous points identiques aux cellules souches embryonnaires.

Pour Michel Pucéat (Inserm), cette technique ne sera pas applicable à l'homme dans un avenir proche...

Michel Pucéat, directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste des cellules souches embryonnaires

« Cette publication est extrêmement importante car elle apporte la preuve que cette technique de transfert nucléaire est possible chez le primate, et donc potentiellement aussi chez l'homme. La première lignée de cellules souches embryonnaires humaines a été obtenue en 1998, c'est-à-dire trois ans après la première lignée de cellules souches embryonnaires de primate. C'est-à-dire que du jour où l'on a su "dériver " des cellules souches embryonnaires chez le singe, on est allé relativement vite finalement pour "dériver" une lignée de cellules souches embryonnaires humaines. Toutefois, je ne pense pas personnellement que la technique du transfert nucléaire soit applicable chez l'homme dans un futur très proche. Cette publication montre que déjà chez le singe, le rendement du transfert est extrêmement faible : 0,7%. De plus, cette technologie va être extrêmement coûteuse si on l'utilise à des fins thérapeutiques car elle devra être mise en place pour chaque patient, si l'on veut créer une lignée de cellules souches embryonnaires qui lui soit propre et qui permette de pallier, sans risque de rejet, le déficit de certaines cellules. »

L’inévitable spectre du clonage reproductif

L'équipe de l'Université de l'Oregon a également tenté de faire reproduire ces clones. Ils ont ainsi transféré 77 embryons dans une douzaine d'utérus. Certains de ces embryons se sont développés jusqu'au stade blastocyste (5-7 jours) mais aucune grossesse ne s'est déclenchée. Selon Shoukhrat Mitalipov, le clonage reproductif est difficile chez les primates parce que le cycle de l'embryon doit être parfaitement synchronisé avec le cycle de la mère porteuse. « L'objectif de ce clonage reproductif est de créer des macaques porteurs de maladies génétiques humaines, tel que le syndrome de Lesch-Nyhan, ce qui nous permettrait de mieux comprendre comment ces maladies se développent et découvrir de nouvelles pistes de traitements », explique le biologiste.

Semos, le macaque qui a servi à l'étude

Cette tentative ratée relance évidemment le débat sur le clonage reproductif chez l'homme. « Cette première nous ramène à une évidence, celle selon laquelle aucun obstacle technique ne doit pouvoir être invoqué quant à la question du clonage reproductif dans l'espèce humaine, estime ainsi Jean-Claude Ameisen, président du comité d'éthique de l'Inserm. Le problème auquel nous allons être confrontés avec de plus en plus d'insistance est bien celui du choix que nous devons faire vis-à-vis de cette possibilité ».

Coïncidence : au moment où l'équipe américaine publie son article, l'ONU rend un rapport demandant une « interdiction mondiale avec force de loi de créer un clone humain couplée à l'autorisation de recherche contrôlée sur le clonage thérapeutique ». Pour Brendam Tobin, porte parole du rapport : « L'échec de l'ONU à rendre illégal le clonage reproductif humain signifie qu'il s'agit seulement d'une question de temps avant que des clones humains ne voient le jour et se multiplient en raison des avancées rapides de la recherche »…

Lise Barnéoud le 16/11/2007