Espèces en voie de réapparition

Faire revivre le mammouth, le dinosaure ou encore l'homme de Néandertal... Entre l'essor de la paléogénétique et les progrès en biotechnologie, ce fantasme serait en passe d’être réalisé. Car dans les laboratoires, on teste déjà des techniques pour ressusciter ces espèces du passé. 

Par Eric Leroy-Terquem, le 26/11/2012

Un mammouth que certains rêvent de cloner

Cela aurait pu être le point de départ de Jurassic Park... Yakoutie, août dernier. Les paléontologues de l'expédition russe Yana 2012 découvrent une nouvelle carcasse de mammouth congelé dans le permafrost sibérien. Quelques semaines plus tard, Semen Grigoriev, le directeur de l'expédition, annonce que les noyaux des cellules prélevées sur l'animal pourraient être utilisés afin de cloner l'espèce. Les dépêches mentionnent la présence de cellules vivantes ou de noyaux intacts

Qu'en est-il en réalité ? En l'absence de toute publication, l'équipe russe a expliqué avoir obtenu une forte coloration des noyaux par un marquage fluorescent : une méthode classique indiquant la présence d'ADN, certes, mais en aucun cas celle de cellules vivantes ou de noyaux intacts, assurent les paléogénéticiens interrogés sur le sujet. Bref, pas encore de quoi annoncer l’inauguration imminente d'un parc d'attractions consacré au Pléistocène, avec ses mammouths, ses rhinocéros laineux et ses tigres aux dents de sabre.

Une annonce prématurée...

Régis Debruyne, paléogénéticien au Muséum national d'histoire naturelle et spécialiste du mammouth, relativise la portée de la découverte : « Depuis une quarantaine d'années, l'accélération de la fonte des glaces entraîne l'apparition en surface de plus en plus de carcasses de mammouths dans cette région. Malgré leur bonne conservation macroscopique, celles-ci n'ont encore jamais révélé la présence de cellules vivantes. Ce n'est pas impossible, mais la probabilité est infinitésimale. »

La dégradation de l'ADN ancien

L'état du matériel génétique de cette carcasse de mammouth ne pourra être apprécié qu'après la mise en œuvre d'une batterie de tests de biologie moléculaire : extraction, amplification et séquençage de l'ADN. Une perspective qui laisse sceptiques les paléogénéticiens. « À la mort d'un organisme, l'ADN des cellules se dégrade et perd son intégrité moléculaire très rapidement. Et dans l'éventualité où l'on obtiendrait des molécules d'ADN apparemment intactes, elles auraient toutes les chances de présenter des mutations artefactuelles, qui surviennent après le décès de l'organisme », assure Catherine Hänni, paléogénéticienne au CNRS.

C'est la firme sud-coréenne Sooam, associée à l'expédition Yana, qui va mener la suite des expériences. Son directeur, Hwang Woo-Suk, est connu pour avoir cloné le premier chien, Snuppy, mais aussi pour être l'auteur d'une fraude scientifique majeure : l'annonce du premier clonage d'embryon humain à partir de résultats falsifiés. Il espère désormais ramener un mammouth à la vie par la technique de transfert nucléaire, le procédé utilisé jusqu'à présent pour le clonage reproductif.

… mais des raisons d'y croire

L'équipe russo-coréenne espère que la préservation du mammouth dans le permafrost aura permis à quelques cellules de survivre. En effet, la congélation freine la dégradation des tissus biologiques, d'une part grâce à l'effet du froid, et d'autre part en limitant la circulation de l'eau. Malheureusement, elle génère aussi la formation de cristaux de glace qui endommagent les cellules – raison pour laquelle on utilise des cryoprotecteurs pour la congélation de matériel biologique en laboratoire.

Des cellules intactes ?

Quelle est la probabilité de retrouver des cellules intactes à partir d'une carcasse de mammouth congelée dans le permafrost ? Réponse de la paléogénéticienne Eva-Maria Geigl, de l'Institut Jacques Monod. 

Clonées après cryoconservation

Pourtant, il subsiste peut-être une raison d'y croire : en 2008, le chercheur japonais Teruhiko Wakayama a réussi à cloner des souris à partir d'animaux congelés pendant 16 ans à -20°C degrés (température sensiblement équivalente à celle du permafrost) et sans cryoprotection. Les meilleurs résultats ont été obtenus à partir de cellules neuronales, en raison de leur forte concentration en glucides, qui auraient pu jour un rôle cryoprotecteur. 

La paléogénéticienne Eva-Maria Geigl, de l'institut Jacques Monod, rappelle toutefois que « la rapidité de la congélation après le décès de l'organisme et la stabilité de la température sont déterminantes pour la préservation du matériel génétique ». Autant de conditions très peu probables en ce qui concerne nos mammouths sibériens.

Du côté du règne végétal...

Ensevelies dans le permafrost sibérien depuis 31 800 ans, des graines de Silene Stenophylla ont pu être réactivées et donner naissance à une plante viable. Il ne s'agit pas d'une résurrection d'espèce disparue – la plante est toujours présente en Asie – mais ces travaux démontrent la possibilité pour un matériel génétique de se conserver pendant une telle durée. Là aussi, la présence de sucres dans les graines semble avoir joué un rôle déterminant dans la préservation de l'ADN.

Le défi du clonage de deux espèces

En admettant qu'une cellule vivante puisse un jour être retrouvée, les tentatives de clonage de mammouth seraient confrontées à bien d'autres difficultés. D'un point de vue pratique, l'insémination artificielle de l'éléphant vient à peine d'être maîtrisée. Et pour cause : les ovaires de la femelle éléphant étant difficilement accessibles, on ne peut récupérer des ovocytes que sur des éléphants morts. Ensuite, d'un point de vue démographique, sachant que plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de tentatives sont nécessaires avant la réussite d'un clonage reproductif, le projet accentuerait la menace pesant sur l'espèce (on compte environ 40 000 éléphants en Asie et 400 000 en Afrique).

Au niveau physiologique, il s'agit aussi de réussir un clonage entre deux espèces : un obstacle majeur, mais pas infranchissable. Pour preuve, en décembre 2011, le controversé Hwang Woo-Suk annonçait la naissance de huit coyotes clonés par transfert nucléaire dans un ovule de chienne. Deux ans auparavant, des chercheurs espagnols arrivaient à cloner un bouquetin des Pyrénées à partir d'un ovule de chèvre. Il s'agissait de la première naissance d'un animal d'une sous-espèce disparue (depuis 2000).

La congélation pour conserver l'ADN ?

La paléogénéticienne Eva-Maria Geigl, de l'Institut Jacques Monod, compare les différentes méthodes de conservation de l'ADN. La congélation apparaît comme la meilleure d'entre elles, mais sous certaines conditions... pas toujours réunies dans la nature.  

L'espoir de la biologie synthétique

Face aux écueils de la voie du clonage par transfert nucléaire, « qui a peu évolué depuis une dizaine d'années », Régis Debruyne estime que les nouvelles technologies de biologie moléculaire offrent des pistes bien plus prometteuses. La réécriture de génome consisterait à synthétiser des molécules d'ADN à partir d'une séquence connue et à les empaqueter sous forme de chromosomes. « On sait le faire pour des génomes bactériens relativement simples. Pas encore pour des chromosomes eucaryotes comme les nôtres, mais cette limite technique devrait vite être dépassée », juge-t-il. Une variante reviendrait à effectuer des mutations ponctuelles, par exemple par insertion de fragments d'ADN de synthèse, dans le génome d'une cellule d'une espèce proche.

Contrairement au clonage par transfert nucléaire, ces deux voies nécessitent la connaissance préalable du génome de l'espèce en question. Ce qui, par exemple, n'est pas encore le cas avec le mammouth, malgré la publication d'un article dans Nature, en 2008, qui laissait penser le contraire : « Avec une couverture de 0,7X, on ne connaît qu'une faible proportion de sa séquence », indique Régis Debruyne. On estime qu'il faut une couverture supérieure à 20X pour obtenir la séquence totale d'un génome.

George Church, de la Harvard Medical School, a l'intention d'utiliser ces techniques de biologie synthétique pour cloner... l'homme de Néandertal. Il s'agirait de « fabriquer des fragments d'ADN à partir des séquences connues de Néandertal, puis [d']insérer ces fragments dans les chromosomes de cellules souches humaines », explique-t-il. Au-delà des considérations éthiques, son projet semble encore infaisable techniquement « d'une part parce que le génome de Néandertal n'est pas entièrement séquencé et, d'autre part, parce que nos cellules sont programmées pour protéger leur génome de modifications trop importantes. Quelle que soit la technique utilisée, on ne pourra pas corriger quatre milliards de bases sans introduire d'erreurs », assure Eva-Maria Geigl. 

Les complexités du séquençage

Entreprise ardue, le séquençage des grands génomes doit faire face à une difficulté majeure. Puisqu’on n’obtient que des séquences de 1000 nucléotides au plus, comment reconstituer l’ensemble de la séquence du génome, qui est plusieurs milliers (bactéries) à plusieurs millions (mammifères) de fois plus longue ? La comparaison des « lectures » individuelles permet d’identifier des séquences chevauchantes et d’assembler le puzzle de proche en proche. Mais l’existence de séquences répétées, voire de régions entières dupliquées dans le génome, complique l’assemblage. En outre, l’échantillonnage des séquences lues peut laisser des « trous » : des régions du génome qu’on ne peut pas lire. Le rapport entre la longueur de l’ensemble des séquences lues mises bout à bout et la longueur du génome cible est nommé profondeur. Par exemple, si l’on séquence 25 millions de bases (Mb) pour un génome de 5 Mb, on a une profondeur de 5 équivalents génome, qu’on note 5X. Plus la profondeur est importante, plus nombreuses seront les lectures chevauchantes que l’on pourra assembler et plus grande la fraction du génome couverte. Ceci permet d’obtenir une séquence finale la plus complète possible, avec un minimum de « trous » (régions non séquencées).

Source : Centre national de séquençage

Le rêve de la reprogrammation embryonnaire

Un bébé bien conservé

Jack Horner, paléontologue à l'université du Montana, souhaiterait, quant à lui, faire revivre les dinosaures. Comme il n'a jamais été possible de retrouver de l'ADN de ces animaux disparus il y a 65 millions d'années, le chercheur a imaginé une solution alternative : en agissant sur des gènes-clés lors du développement embryonnaire des oiseaux, il voudrait réactiver des caractéristiques ancestrales des dinosaures. Alors que ses confrères Matthew Harris et John Fallon ont réussi à faire réapparaître des dents sur un embryon de poulet par l'ajout de facteurs de croissance, son équipe se concentre actuellement sur la réactivation de la queue et des membres supérieurs. « Je n'ai encore aucune publication à vous transmettre », regrette le paléontologue américain, qui joua il y a quelques années le rôle de conseiller technique du réalisateur de Jurassic Park, Steven Spielberg. Il aurait d'ailleurs inspiré l'un des principaux personnages du film...

Eric Leroy-Terquem le 26/11/2012