Clonage d’embryons humains : une première discrète

Le 17 janvier 2008, une firme américaine annonçait avoir créé pour la première fois des embryons humains grâce à la même technique de clonage que celle qui avait permis d'obtenir Dolly. L'annonce aura finalement fait peu de vagues. Le scandale de l'affaire Hwang Woo-Suk en 2005, et la mise au point de nouvelles techniques sans clonage permettant d'arriver aux mêmes fins thérapeutiques ne sont peut-être pas étrangers à ce relatif désintérêt.

Par Olivier Boulanger, le 01/02/2008

Cinq embryons humains obtenus par clonage

L'un des cinq embryons humains clonés par la firme Stemagen

C'est dans la revue scientifique Stem Cells* que la société californienne Stemagen a annoncé, le 17 janvier dernier, la création de cinq embryons humains obtenus pas clonage à partir de cellules de peau adultes : une première, selon les chercheurs.

La technique employée n'est cependant pas nouvelle puisqu'il s'agit de la même méthode que celle mise en œuvre en 1986 pour obtenir la brebis Dolly. Baptisé clonage par transfert nucléaire de cellule somatique, le procédé a permis de produire durant les dix dernières années de nombreux autres animaux : singes, souris, vaches, cochons… Son principe – finalement assez simple – consiste à introduire dans un ovocyte énucléé le noyau d'une cellule adulte.

Dans le cas présent, les chercheurs ont obtenu 29 ovocytes de trois femmes donneuses. Prélevés par aspiration trans-vaginale, ceux-ci ont ensuite été vidés de leur noyau (qui contient tout le matériel génétique de la mère). Dans un second temps, les noyaux issus de cellules de peau appartenant à deux hommes adultes ont été prélevés et introduits dans les ovocytes énucléés.

Pourquoi le clonage humain est-il si difficile à mettre en œuvre ? Xavier Vignon, directeur de recherche à l'Inra

Le succès de cette manipulation reste aléatoire et, sur les 29 œufs, seuls cinq d'entre eux ont fini par former un « blastocyste », l'un des premiers stades embryonnaires. Avant le sixième jour de division, les cellules souches du blastocyste ont été prélevées pour analyse, entraînant la destruction de ce dernier. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer qu'au moins trois des cinq embryons étaient sans ambiguïté les clones des deux hommes sur lesquels avaient été prélevées les cellules de peau.

* Development of Human cloned Blastocysts Following Somatic Cell Nuclear Transfer (SCNT) with Adult Fibroblasts, Stem Cells ,17 janvier 2008

Une réelle « première » ?

Cette « première » a cependant été précédée par deux autres annonces de clonage humain (en excluant celle de la secte des Raëliens, en 2002, pour laquelle aucune preuve n'a jamais été apportée). On se souvient que la toute première annonce avait été faite par le Coréen Hwang Woo-Suk, en février 2004 dans la revue Science. Le chercheur affirmait alors avoir obtenu le premier embryon humain par transfert nucléaire de cellule somatique, tout comme Stemagen aujourd'hui.

Hwang Woo-Suk à la sortie d'une conférence de presse le 12 janvier 2006

En 2005, cependant, Hwang Woo-Suk est accusé d'avoir manipulé ses résultats, ce qu'il finit par reconnaître. Malgré tout, le Coréen et son équipe ont peut-être été les auteurs d'une autre « première » à leur insu : selon une étude récente*, les cellules souches embryonnaires obtenues par Hwang Woo-Suk ont sans doute été obtenues, non pas par clonage, mais par parthénogénèse. Quoiqu'il en soit, la « médaille » du premier clonage humain ne peut officiellement revenir au Coréen.

Une autre annonce avait été faite en mai 2005 par les équipes des professeurs Alison Murdoch et Miodrag Stojkovic de l'université de Newcastle. À la différence du Coréen, leurs travaux n'ont pas été remis en cause, mais les chercheurs ont eu recours à une méthode de clonage plus accessible que celle habituellement mise en œuvre. En l'occurrence, plutôt que de recourir aux noyaux de cellules adultes, ils ont utilisé ceux de cellules embryonnaires, plus à même de se développer au sein d'un ovocyte. De fait, les travaux de Stemagen – en appliquant pour la première fois la méthode « Dolly » à l'homme – semblent bien constituer une première.

* Cell Stem Cell, 2 août 2007

Méfiance...

Y a-t-il une difficulté à vérifier que les embryons obtenus l'ont été par clonage ? Xavier Vignon (Inra)

Mais alors pourquoi autant de discrétion ? « L'affaire Hwang Woo-Suk y est évidement pour quelque chose, avance Xavier Vignon, directeur de recherche à l'Inra. Depuis cette histoire, tout ce qui touche au clonage humain appelle à la méfiance. »

Andrew French, le principal auteur de ces nouveaux travaux se veut lui-même très prudent face à ses propres résultats : « Bien que cette étude représente un pas important dans le développement de cellules souches pour du clonage thérapeutique, beaucoup de travail de recherche reste à faire pour confirmer ces résultats et leurs applications », déclare-t-il ainsi dans un communiqué.

Une alternative : la reprogrammation génétique

Quel est l'intérêt des cellules souches embryonnaires ?

Mais Xavier Vignon apporte une seconde explication. Le clonage humain n'a toujours été envisagé sérieusement que sous l'angle thérapeutique. Le but des scientifiques est en effet de produire à partir de ces cellules souches n'importe quel tissu cellulaire (peau, muscle…) qui permettrait de soigner certaines maladies.

La recette de la « reprogrammation »

« Or, depuis peu, une nouvelle méthode se propose d'arriver aux mêmes résultats sans produire de clone, explique Xavier Vignon, ce qui permet de contourner les problèmes éthiques liés au clonage. » La reprogrammation génétique consiste en effet à utiliser une cellule adulte et à lui redonner la capacité d'évoluer en n'importe quel tissu en y introduisant seulement quatre gènes. « Même Ian Wilmut, l'un des pères de Dolly, préconise aujourd'hui cette voie », ajoute le chercheur.

Reste que la reprogrammation génétique n'en est qu'à ses débuts et qu'aucun tissu cellulaire n'a pu encore être produit par cette technique. Par ailleurs, les cellules reprogrammées ayant un patrimoine génétique modifié, « dans l'absolu, cela peut poser un souci », reconnait Xavier Vignon. en particulier, l'utilisation de virus pour modifier ces cellules n'est pas un acte neutre. En dehors des problèmes éthiques, la possibilité de produire des cellules souches embryonnaires par clonage présente donc encore certains avantages.

Olivier Boulanger le 01/02/2008