Alcoolisme : quels traitements ? quelle efficacité ?

Face à la polémique suscitée en France par l'utilisation d'un relaxant musculaire, le baclofène, contre l'alcoolisme, retour sur les différentes approches thérapeutiques utilisées aujourd'hui avec deux spécialistes de l'addictologie.

Par Julie Campanaud, le 05/12/2008

Un enjeu de santé publique

Alcool

L'alcoolisme ou alcoolo-dépendance, concerne environ 400 000 Français et le nombre de consommateurs à risque en France est estimé à presque 5 millions. Cette maladie chronique hautement récidivante conduit chaque année plus de 100 000 personnes à pousser les portes des centres spécialisés afin d'obtenir une prise en charge. Mais que leur propose-t-on ?

« Aujourd'hui, la seule façon de sortir de l'alcoolo-dépendance est d'accepter de rentrer dans l'abstinence », explique le Dr Laurent Karila, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. « Avant de proposer un sevrage, il est donc nécessaire que la personne ait pris pleinement conscience de la nécessité de cette abstinence. La première étape de prise en charge est donc une phase dite motivationnelle qui aide le malade à entrer dans un processus de changement. »

Qu'est-ce que l'alcoolo-dépendance ?

Les groupes d'entraides, associations d'anciens buveurs, jouent alors un rôle complémentaire dans cet accompagnement. Il en existe quatre en France : Alcooliques Anonymes, Vie Libre, Alcool Assistance ou encore Croix Bleue.

Le sevrage

Vient ensuite l'étape du sevrage. Cette phase de désintoxication se déroule soit à l'hôpital, soit en ambulatoire c'est-à-dire à la maison avec un accompagnement médical en consultation. Sa durée est en général d'une semaine à dix jours mais pour certains cas, elle peut se prolonger jusqu'à un mois. Le plus souvent, c'est le sevrage en ambulatoire qui est proposé (70 à 90% des cas). « Ce sevrage présente plusieurs avantages. Le patient commence son sevrage quand il veut, alors que les délais d'attente pour un sevrage hospitalier par exemple en région parisienne, peuvent atteindre trois mois. Le patient reste dans son environnement quotidien, proche de sa famille et peut reprendre le travail après un court arrêt de cinq jours », précise le Dr Sylvain Balester-Mouret du service d'addictologie de l'hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine).

Quels sont les signes de l'alcoolo-dépendance ?

Ce sevrage est accompagné dans les deux cas d'un apport en vitamines et de calmants. Les deux approches apportent les mêmes résultats et, à l'issue de cette étape, on observe 80% de réussite. Le patient est alors prêt à entrer dans la phase dite du maintien de l'abstinence.

Le maintien de l’abstinence

La période qui suit le sevrage représente un autre temps, certainement le plus important. Il est alors proposé au patient un soutien médicamenteux d'aide au maintien de l'abstinence. L'Espéral, médicament qui provoque de fortes nausées si l'on boit de l'alcool est de moins en moins prescrit et n'est plus réservé aujourd'hui qu'à des cas particuliers. Au fil du temps, il a été supplanté par deux autres médicaments, la Naltrexone et l'Acomprosate. L'utilisation de ces médicaments permet à plus de 30% des patients de maintenir une abstinence totale au bout d'un an.

Quelle est l'origine de l'alcoolo-dépendance ?

D'après le Dr Sylvain Balester-Mouret, « les médicaments sont incontournables et apportent à eux seuls de bons résultats pour un tiers des patients mais, pour une plus grande efficacité, la prise en charge de l'alcoolo-dépendance doit être globale. » C'est pourquoi le traitement inclut un travail de psychothérapie individuel et de groupe. Les thérapies cognitives et comportementales ont montré, en association avec les médicaments, les meilleurs résultats : 45% d'abstinence totale à un an, soit 15% de mieux qu'avec les seuls médicaments. Et d'autres approches complémentaires comme l'ergothérapie, l'art-thérapie, la relaxation ou les activités sportives permettant au patient de réinvestir leur corps, améliorent encore ces résultats.

Ces approches combinées offrent donc à presque un patient sur deux une rémission complète à un an et apportent de bons résultats pour plus de 60% des patients. « Nous savons que si la première année s'est bien passée, il y a de fortes chances pour que le patient se stabilise dans la durée. Mais l'abstinence demeure néanmoins nécessaire tout au long de la vie », insiste le Dr Laurent Karila.

Comment agissent les médicaments ?

L'Acamprosate : prescrite pour un an, cette molécule agit sur le système Gaba, un système neuromédiateur inhibiteur au niveau du cerveau. Elle aide à maintenir l'abstinence.

La Naltrexone : prescrite pour trois mois, cette molécule est un antagoniste des récepteurs opioïdes. En empêchant la libération d'opioïdes endogènes au niveau du cerveau, elle bloque ainsi le circuit de la récompense. Elle diminue les envies de boire et les risques de rechute.

Et les autres approches ?

Même si cette prise en charge apporte de bons résultats dans presque deux cas sur trois, elle ne permet malheureusement pas d'aider tous les patients. Quelles alternatives s'offrent alors aux malades résistants au traitement ? Acupuncture, hypnose, EDMR (l'Eye Movement Desensitization and Reprocessing est une approche neuro-émotionnelle de désensibilisation et de retraitement des informations faisant appel à la stimulation sensorielle par des mouvements oculaires) sont autant d'approches possibles. « Je n'ai a priori rien contre ces méthodes, mais il est important de savoir qu'actuellement, aucune étude sérieuse ne prouve leur efficacité », précise le Dr Sylvain Balester-Mouret.

Que pensez-vous de l'actualité concernant le baclofène ?

Il n'en reste pas moins que l'espoir qu'elles suscitent auprès des patients résistants est compréhensible. Tout comme l'espoir qu'a fait naître le témoignage d'Olivier Ameisen, cardiologue alcoolo-dépendant, qui raconte dans son livre « Le dernier verre » publié chez Denoël, comment il s'est guéri en s'administrant un relaxant musculaire, le baclofène. « Cette piste est prise très au sérieux, comme toutes celles qui permettent d'envisager l'élargissement de la palette de prise en charge du sevrage alcoolique », explique le Dr Anne Castot, chef du service de l'évaluation et de la surveillance du risque de l'Afssaps. Et tous les addictologues semblent d'accord. Il faut mener des essais cliniques en bonne et due forme afin d'évaluer l'efficacité du baclofène. « Le développement de nouvelles molécules est très important pour les malades résistant aux traitements actuels mais attention, même si le baclofène fait partie des molécules prometteuses, elle n'est certainement pas miraculeuse. La prise en charge psycho-sociale demeure indispensable », conclut le Dr Sylvain Balester-Mouret.

Julie Campanaud le 05/12/2008