Reprogrammation cellulaire : enquête sur une révolution scientifique

Selon la revue américaine Science, la reprogrammation cellulaire, qui permet de transformer des cellules adultes en cellules souches capables de donner naissance à différents tissus du corps humain, représente la découverte majeure de l'année 2008. Entre promesses et incertitudes, le point sur cette technique révolutionnaire.

Par Lise Barnéoud, le 30/01/2009

Il y a tout juste un an…

La recette de la « reprogrammation »

La nouvelle fait l'effet d'un coup de tonnerre. Fin 2007, deux équipes de chercheurs, l'une japonaise, l'autre américaine, parviennent pour la première fois à reprogrammer des cellules adultes humaines en « cellules à tout faire », aux propriétés similaires à celles des cellules souches embryonnaires. En insérant quelques gènes au moyen d'un vecteur viral, ces chercheurs sont en effet parvenus à déclencher une sorte de retour en arrière : des cellules spécialisées redeviennent tout à coup indifférenciées, capables d'évoluer vers les différents tissus du corps humain (muscle, neurone, peau...). Une révolution qui permet d'entrevoir de nombreuses applications concrètes, comme le remplacement des cellules malades par des tissus tout neufs (thérapie cellulaire).

Yacine Laâbi, du Centre d'étude des cellules souches/I-STEM

Mais c'est surtout l'étude de ces cellules qui offre aujourd'hui le plus d'espoir. En effet, de nombreuses maladies sont difficiles, voire impossibles, à étudier chez les animaux. Grâce à cette technique, on peut prélever une cellule chez n'importe quel malade, la transformer en cellule indifférenciée, puis suivre au laboratoire le développement des tissus les plus touchés par la maladie. Cela permet non seulement de mieux comprendre l'évolution et le processus de la maladie mais aussi de tester des médicaments en éprouvette, directement sur les cellules. Autant de promesses qui, contrairement à la technique du clonage thérapeutique, peuvent désormais s'entrevoir sans passer par l'utilisation d'embryons ou d'ovules, éliminant ainsi un grand nombre de questions éthiques…

« Découverte de l’année 2008 »

Une douzaine de maladies possèdent déjà leur lignée de cellules IPS

En 2008, plusieurs équipes se sont engouffrées dans cette voie de recherche et leurs résultats ont obtenu la prestigieuse récompense de « Découverte de l'année 2008 » décernée par la revue Science. Cette technique est désormais employée pour étudier toutes sortes de tissus impliqués dans plus d'une dizaine de maladies, du diabète de type 1 à la maladie de Parkinson, en passant par la myopathie de Duchenne ou la trisomie 21.

Une cellule pluripotente induite obtenue à partir d’une cellule de la peau

Les chercheurs sont en effet parvenus à transformer des cellules spécialisées prélevées sur des malades en cellules dites pluripotentes induites (CPI ou IPS en anglais pour Induced Pluripotent Stem cells), puis à les réorienter vers différents types cellulaires. Par exemple, en décembre 2008, une équipe américaine réussit à reprogrammer une cellule de la peau d'un enfant atteint d'atrophie musculaire spinale en cellules pluripotentes. Celles-ci sont ensuite orientées in vitro vers des motoneurones, dont la dégénérescence est responsable de cette maladie génétique rare. « Maintenant, nous pouvons observer le développement de la maladie et répéter autant de fois que l'on souhaite son processus destructeur dans nos tubes à essai », explique Clive Svendsen, l'auteur principal de l'étude de l'Université du Wisconsin-Madison.

Les grandes avancées de 2008...

Par ailleurs, plusieurs essais de thérapie cellulaire sont tentés avec succès chez la souris. Des souris hémophiles ont ainsi pu être soignées grâce à l'injection de cellules endothéliales productrices du facteur de coagulation VIII qui fait défaut dans cette maladie, obtenues à partir de cellules pluripotentes induites. « Cette injection semble avoir guéri les souris, signale l'auteur principal de l'étude, Yupo Ma, du Nevada Cancer Institute. Ces cellules souches pluripotentes induites ont un potentiel clinique fabuleux car elles peuvent évoluer vers toutes sortes de cellules du corps, ce qui nous offre des possibilités thérapeutiques infinies ».

On sait désormais se passer de vecteur viral !

Jusqu'à présent, on se servait d'un virus pour insérer les gènes reprogrammateurs dans les cellules. Or il a été démontré que ces cellules génétiquement modifiées peuvent dégénérer en cellules cancéreuses une fois réimplantées dans l'organisme, probablement à cause du virus. Une étude publiée en novembre 2008* démontre qu'il est désormais possible de se passer de ce vecteur viral et d'insérer les gènes via un plasmide. Ce vecteur présente l'avantage de se désintégrer au fur et à mesure des divisions cellulaires sans s'insérer dans l'ADN de la cellule. Toutefois, son efficacité est moins bonne (0.0015% de fibroblastes de souris reconvertis contre 0,1% par la technique classique). Par ailleurs, cette technique n'a pour l'heure été réussie que chez la souris.

Sans doute plus prometteur, une équipe de chercheurs dirigée par l'Américain Douglas Melton est parvenue à remplacer deux des quatre gènes nécessaires à la reprogrammation par des molécules chimiques qui imitent leur action**. Les recherches se poursuivent pour tenter de remplacer les quatre gènes par des molécules, ce qui éviterait de recourir à des vecteurs. Autre avantage : cette nouvelle technique augmente l'efficacité de la reprogrammation (1% de fibroblastes humains reconvertis contre 0,001% avec la technique classique).

*Okita et al.,Science, novembre 2008
**Huangfu et al., Nature Biotechnology, octobre 2008

Une autre recette pour la reprogrammation

Les différentes recettes de la reprogrammation nucléaire

L'année 2008 aura également vu la naissance d'une nouvelle « recette » pour la reprogrammation cellulaire. Des chercheurs de l'Université Harvard sont en effet parvenus, chez la souris, à transformer une cellule mature en une autre sans passer par le stade de cellule pluripotente induite (voir Diabète : des cellules changent de programme). Autrement dit, ils ont découvert un chemin beaucoup plus rapide pour modifier la spécialisation d'une cellule. Après avoir inséré trois gènes directement dans le pancréas de souris diabétiques, 20% des cellules pancréatiques exocrines se sont transformées en cellules endocrines, productrices d'insuline. Quelques jours plus tard, la glycémie de ces souris a commencé à chuter grâce à cette nouvelle production d'insuline.

«L’intérêt de cette nouvelle technique est de pouvoir intervenir directement sur l’organisme, sans passer par une phase de culture in vitro»

« C'est une révolution dans un champ de recherche déjà révolutionnaire », commente Georges Daley, spécialiste américain des cellules reprogrammées. La technique paraît en effet plus simple mais aussi plus sûre, car elle utilise un adénovirus pour insérer ces trois gènes « reprogrammateurs » qui, contrairement au virus utilisé dans l'autre recette, ne s'insère pas dans le génome : il se dilue au fur et à mesure que la cellule se divise. Toutefois la quantité de cellules passées de la lignée « exocrine » à la lignée « béta » n'était pas suffisante pour guérir la souris. Par ailleurs, cette reprogrammation directe n'a encore jamais été réussie chez l'homme. Des essais sont en cours sur des cellules humaines de foie et de pancréas.

De nombreuses interrogations persistent

Il est toutefois beaucoup trop tôt pour crier victoire. Si les avancées scientifiques ont été rapides et fascinantes en 2008, la recherche sur les cellules reprogrammées n'en est encore qu'à ses débuts. La preuve : on ne comprend toujours pas précisément comment fonctionnent ces reprogrammations. Que se passe-t-il à l'intérieur de la cellule pour qu'elle puisse ainsi perdre sa spécialisation ? Pourquoi la recette ne réussit qu'aussi rarement (une fois sur 1000 voire une fois sur 10 000) ?

« Il est trop tôt pour dire si les IPS remplaceront les cellules souches embryonnaires. »

Par ailleurs, il semble que ces cellules pluripotentes induites ne soient pas en tous points identiques aux vraies cellules souches issues d'un embryon. Une minutieuse comparaison des deux types de cellules a ainsi révélé en 2007 qu'environ un millier de gènes sur plus de 30 000 s'expriment différemment. Avec quelles conséquences ? Il est encore trop tôt pour le dire, répondent les scientifiques. Mais l'année 2009 devrait très probablement révéler d'autres différences. On murmure ainsi dans les laboratoires spécialisés que ces cellules génétiquement modifiées ne parviennent pas à évoluer vers toutes les lignées cellulaires, contrairement aux cellules souches embryonnaires. Ces dernières restent donc pour de nombreux scientifiques le « gold standard » de la recherche biomédicale.

Lise Barnéoud le 30/01/2009