Empreintes fossiles : les plus anciennes preuves d’une bipédie moderne

L'étude de nouvelles empreintes de pas fossiles au Kenya, les plus anciennes du genre Homo, confirme l'existence d'une bipédie humaine de type moderne, il y a 1,5 million d'années.

Par Marion Sabourdy, le 23/03/2009

La marche en négatif

Une empreinte de 1,5 million d'années

À voir cette empreinte, une personne non avertie pourrait penser qu'elle a été faite il y a quelques jours. Pourtant, elle est datée d'environ 1,5 million d'années (Ma). Nous sommes près d'Ileret, à l'est du lac Turkana (Kenya), une zone connue depuis la fin des années 1960 pour sa richesse en fossiles. L'équipe de l'Anglais Matthew Bennett a mis au jour, entre 2005 et 2008, une vingtaine d'empreintes d'hominidés¹ (quatre « pistes » et plusieurs traces isolées) dans deux couches sédimentaires de limon et de sable. Il s'agirait, selon ces chercheurs, des plus anciennes empreintes de pas du genre Homo témoignant d'une bipédie « moderne »².

1. Tous nos ancêtres depuis la séparation de la lignée humaine d'avec celle des grands singes. 2. M. R. Bennett et al., Science, 27 février 2009

Des marcheurs très modernes

Reconstitution d'une piste d'empreintes

Les paléontologues sont capables de lire dans les empreintes de pas une grande quantité d'informations : longueur du pas, stature et démarche des « paléo-piétons », taille et forme du pied¹... Ainsi, l'équipe de Matthew Bennett a cartographié et photographié les traces puis les a numérisées en trois dimensions grâce à un scanner. Elle a fait de même avec des empreintes d'hommes modernes et d'Australopithèques et toutes ces traces ont été comparées à l'aide de logiciels spéciaux.

« On a affaire à un Homo... »

Verdict : les nouvelles empreintes témoignent de caractères modernes comme des doigts de pied courts, un gros orteil parallèle et accolé aux autres, une voûte plantaire et une grande enjambée. Les marcheurs, deux adultes de 1,75 m et un enfant de 92 cm, étaient sans doute des Homo ergaster ou Homo erectus, deux espèces d'hominidés ayant vécu entre 1,9 et 0,2 Ma. « Ces empreintes sont la preuve d'une anatomie spécialisée pour la marche et la course », affirme Yvette Deloison, chargée de recherche au CNRS².

« Le sol n'est jamais plat... »

Si l'étude des empreintes de pas apporte de nombreuses informations, le paléontologue doit néanmoins se garder de toute affirmation trop rapide. Pour Brigitte Senut, paléontologue au Muséum national d'Histoire naturelle, « la qualité des traces est étroitement liée à la nature du sol sur lequel elles sont imprimées. Si le substrat est argileux, l'empreinte sera précise, mais s'il est mou et glissant, la trace sera très déformée et l'interprétation faussée ». Ainsi, les interprétations divergent parfois et les empreintes ne peuvent venir qu'en complément de l'étude anatomique des fossiles.

1. L'ichnologie est la discipline scientifique qui étudie les empreintes animales ou humaines fossiles.
2. Laboratoire « Dynamique de l'évolution humaine ».

Comment les empreintes ont-elles été datées?

Le site de fouilles d'Ileret

Par chance, la géochimie et l'âge des roches du bassin du Turkana, où les traces ont été trouvées, sont bien connus. Les chercheurs ont donc prélevé quatre échantillons de roches volcaniques provenant de couches encadrant le niveau géologique des empreintes. Puis ces échantillons ont été envoyés à une équipe américaine qui a analysé leur composition chimique et l'a comparée avec celle de roches déjà connues (et datées). Elle a ainsi pu avancer un âge de 1,51 à 1,53 Ma.

Une chronologie conservée

Un petit pas pour l’hominidé, un grand pas pour l’humanité !

Loin devant les plus anciennes traces de pas européennes datées de 345 000 ans (Roccamonfina, Italie)¹, l'âge des empreintes d'Ileret concorde avec les précédentes découvertes du site voisin de Koobi Fora, parmi lesquelles le squelette du « garçon de Turkana », un Homo erectus daté d'environ 1,6 Ma² et sept traces de pas d'environ 1,45 Ma³ qui, à l'époque, n'ont pu être attribuées formellement à Homo.

En outre, les empreintes d'Ileret s'insèrent parfaitement dans la chronologie de la bipédie. Les empreintes de Laetoli (Tanzanie) ont prouvé la présence d'une bipédie occasionnelle à 3,75 Ma déjà. La morphologie du fémur d'un de nos plus vieux ancêtres, Orrorin tugenensis exhumé en 2000 au Kenya par l'équipe de Brigitte Senut, repousse même l'existence de la bipédie à au moins 6 Ma. La bipédie permanente, quant à elle, est attestée dès 2 Ma avec Homo habilis dont « les ossements fossiles presque complets prouvent qu'il avait déjà un pied tout à fait moderne, avec notamment une voûte plantaire », explique Yvette Deloison.

1. S. Scaillet et al., Earth and Planetary Science letters, 15 novembre 2008.
2. Mis au jour en 1984 par Richard Leakey. D'autres fossiles d'Homo erectus ont été exhumés en Ethiopie, Tanzanie et en Afrique du Sud.
3. A. K. Behrensmeyer, L. F. Laporte, Nature, 15 janvier 1981.

La bipédie ? Non, les bipédies

« Des morphologies complètement différentes... »

Les empreintes sont également de bons moyens de comparer entre eux tous les hominoïdes¹. « D'après les ossements et les empreintes, le pied des Australopithèques semble spécialisé pour une locomotion arboricole », souligne Yvette Deloison. Toutefois, les observations de chimpanzés actuels indiquent qu'ils ne dédaignent pas une petite marche, lorsqu'ils transportent des fruits par exemple. « Mais à la moindre alerte, ils s'enfuient à quatre pattes ».

Fragiles empreintes

Les traces de pas sont aussi précieuses pour leur rareté. Ainsi, « des empreintes plus récentes (Homo sapiens et Homo neandertalensis) ont été retrouvées dans des grottes en Europe¹ mais rares sont celles qui subsistent à ciel ouvert car elles sont vulnérables à l'érosion, la végétation ou à d'autres facteurs », affirme le géochronologiste Stéphane Scaillet.

Ainsi, les fameuses empreintes de Laetoli sont-elles menacées de disparition. La pose d'une couche de protection en 1995 n'a pas empêché les détériorations et certains paléoanthropologues préconisent la construction d'un musée autour du site². Ce souci de préservation est partagé par de nombreux pays comme le prouve l'organisation en 2007 en Corée du Sud d'un symposium sur ce thème.

En effet, chaque continent peut se targuer de posséder « ses » empreintes : par exemple en Afrique du Sud (Langebaan, 117 000 ans), en Tanzanie (Olduvaï), au Mexique (Xalnene, 40 000 ans), en Australie (Willandra Lakes, 21 000 ans), en Hongrie (Vertesszölös, 200 000 ans), en France (Terra Amata dans les Alpes-Maritimes, 305 000 ans et Biache-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, 207 000 ans) et même en Corée (Ile de Jeju). Parfois sujets de légendes rocambolesques – elles sont attribuées au diable à Roccamonfina et à Eve à Langebaan – elles sont presque toujours de véritables attractions touristiques.

1. Au Paléolithique supérieur (40 000 à 10 000 ans), par exemple : grottes de Basura (Toirano, Italie), de l'Aldène (Hérault), de Pech-Merle (Lot), de Niaux et du Tuc d'Audoubert (Ariège).
2. Nature, 10 janvier 2008.

« La bipédie est un des meilleurs moyens de définir l'homme... »

Cette bipédie occasionnelle, chaloupée, hanche et genoux fléchis et sans possibilité de courir est retrouvée chez les Australopithèques. Quant aux Homo, des études sur la bipédie humaine actuelle mettent en évidence un balancement des bras et des jambes permettant un équilibre dynamique autour du centre de gravité ainsi qu'une économie d'énergie de l'ordre de 75% par rapport à la locomotion simienne². L'Homo d'Ileret devait donc présenter les mêmes proportions des membres que nous (jambes longues, bras plus courts et buste droit).

 

1. Super-famille qui comprend les Hylobatidés (gibbons et siamangs), les grands singes fossiles et actuels (orangs-outans, gorilles, chimpanzés et bonobos), les Australopithèques et les hommes actuels et fossiles.
la ruée vers l'Homme»


Marion Sabourdy le 23/03/2009