Une pièce manquante de l'arbre évolutif des vertébrés à mâchoire vient de dévoiler ses mystères. Le fossile d'un poisson primitif découvert en Chine met fin à un long débat concernant l'apparition de l'os chez ces premiers vertébrés.
L'ancêtre des vertébrés à mâchoire est une sorte de poisson du groupe des placodermes, avec une tête articulée, un thorax recouvert d’une étrange armure et une dentition impressionnante qui lui permettait de broyer ses proies. Ces animaux, connus depuis le 19 ème siècle, ont disparu mystérieusement de la surface de la terre il y a 360 millions d’années. Le spécimen chinois Entelognathus primordialis, présenté dans la revue Nature ce jeudi 26 septembre, est « la découverte extraordinaire » que les spécialistes des premiers vertébrés espéraient : « une pièce nouvelle de l’histoire des vertébrés à mâchoire {…} comme l’Archéoptéryx l’a été pour les oiseaux », explique Philippe Janvier du Muséum d’histoire naturelle de Paris et également directeur de recherche au CNRS. La grande nouveauté : l’ancêtre des poissons et des tétrapodes (mammifères, reptiles, oiseaux, amphibiens) possédait un squelette osseux très développé et non constitué de petites écailles cartilagineuses contrairement à ce que beaucoup de paléontologues imaginaient.
Un ancêtre osseux ou cartilagineux?
Les spécialistes des premiers vertébrés supposaient jusqu’à aujourd’hui que le plus primitif des vertébrés gnathostomes (à la différence des vertébrés sans mâchoire, ou agnathes, comme la lamproie) était une sorte de requin à épines du groupe des Acanthodiens. Ils l’imaginaient constitué de minuscules écailles cartilagineuses, que la plupart des autres animaux gnathostomes aurait perdues au profit de grandes plaques osseuses. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit au cours de l’évolution.
Cette erreur tient au fait qu’il a été très difficile pour les paléontologues de placer correctement les véritables ancêtres, les placodermes donc, dans l’arbre phylogénétique des gnathostomes, car ils ressemblent par certains aspects aux représentants cartilagineux de ce groupe (les chondrichtyens comme les requins et les raies) et par d’autres aspects, aux représentants osseux (les ostéichtyens : les autres poissons et les tétrapodes). « J’ai toujours pensé que ces animaux étaient plus proches des ostéichtyens que des chondrichtyens », explique le paléontologue Philippe Janvier.
Une conviction qui a longtemps divisé les chercheurs. Dans les années 1970, deux courants de pensée se sont même affrontés à ce sujet. Certains paléontologues plaçaient les placodermes aux côtés des poissons cartilagineux, à cause de leur nageoire pelvienne aux organes copulateurs très proches de ceux des requins. Les autres, comme Philippe Janvier, supposaient que leurs plaques osseuses les rapprochaient plutôt des poissons osseux. Mais aucun fossile jusqu’alors connu ne permettait d’affirmer franchement sa ressemblance avec ces derniers, et donc de trancher le dilemme.
La pièce manquante : un placoderme à mâchoire de poisson osseux
Mais la découverte en Chine de l’Entelognathus primordialis, plus vieux que les Acanthodiens et les Chondrichthyens, possédant clairement de grandes plaques osseuses au niveau du crâne, révolutionne la compréhension de l’histoire des vertébrés à mâchoire. Le placoderme du Silurien fait de tous les vertébrés à mâchoire des descendants de spécimens possédant déjà des grands os. Ceux-ci auraient été perdus au fur et à mesure de l’évolution chez les poissons cartilagineux, dont les derniers représentants sont les raies et les requins. Pour Philippe Janvier, il serait intéressant de trouver des fossiles de poissons cartilagineux possédant encore des restes de plaques osseuses sur le crâne, des requins casqués en somme, pour établir définitivement la primauté de l’os sur le cartilage.