Énergie : exploiter le soleil du désert

Desertec, un ambitieux projet européen, prévoit d'utiliser l'énergie solaire du Sahara pour produire de l'électricité à destination de l'Europe où elle sera acheminée par câble sous la Méditerranée. Premiers électrons attendus pour 2015.

Par Émilie Cauvard, le 12/01/2010

Des centrales pour éclairer l'Europe

Le réseau « Desertec » couvre l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Europe

Utiliser l'énergie solaire du Sahara pour alimenter l'Europe en électricité, le projet pourrait ressembler à de la science-fiction ou à une nouvelle « usine à gaz » conçue par des scientifiques extravagants. Ce sont pourtant de très sérieuses entreprises européennes – surtout allemandes : Siemens, la Deutsche Bank, RWE, Schott Solar... – qui sont à l'origine du projet. Baptisé Desertec, il vise à installer des centrales solaires tout au long de la ceinture saharienne pour produire de l'électricité qui sera acheminée via des câbles à haute tension posés au fond de la mer Méditerranée.

Annoncé en juillet, le projet vient de passer à la vitesse supérieure le 30 octobre dernier, avec la naissance officielle du consortium qui regroupe douze entreprises issues de la fondation Desertec. C'est ce consortium qui supervisera la construction des centrales solaires. Si le calendrier est respecté, l'Europe devrait recevoir ses premiers électrons en provenance du Sahara dès 2015.

Fournir 15% de l'électricité européenne d'ici à 2050

À la base, Desertec est une idée issue du Club de Rome reprise dans le cadre de la Coopération Transméditerranéenne pour l'Énergie Renouvelable (TREC). Son but : utiliser les déserts d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient pour produire de l'énergie et de l'eau destinées aux populations locales, mais aussi – et surtout ! – à l'Europe.

Kimberlina, aux États-Unis

Le projet prévoit ainsi de fournir 15% de l'électricité européenne d'ici à 2050. Pour cela, il faudra à cette période disposer de quelque 100 gigawatts (GW) de capacités installées, l'équivalent de 100 tranches nucléaires. Un investissement dont l'estimation, avec l'installation des câbles à haute tension, oscille entre 200 et 400 milliards d'euros. La clé de voûte de ce projet, c'est l'installation en plein désert d'immenses centrales solaires thermodynamiques, dites « centrales solaires à concentration » (CSP). Dans ces centrales, des miroirs suivent la course du soleil et concentrent le rayonnement sur des tubes remplis d'eau ou d'un fluide caloporteur. La chaleur ainsi créée peut générer de la vapeur mais aussi actionner des turbines produisant l'électricité.

Prévision de développement

Livraison d'électricité en Europe

De 2020 à 2050, la quantité d'électricité livrée à l'Europe grâce à l'énergie solaire devrait passer de 60 terawattheures à 700 terawattheures et représenter, en surface occupée par les centrales solaires, de 225 km2 à 2500 km2.

 

 

Pourquoi produire en plein désert ?

Les rayons du soleil sont généralement déviés par l'humidité, les nuages, les fumées ou les poussières présentes dans l'atmosphère, ce qui réduit d'autant le rendement des centrales solaires. Mais en plein désert, ces obstacles sont réduits au minimum.

Les meilleurs sites d'ensoleillement sont répartis dans le monde entier

Au cœur du Sahara, dans le désert du Mojave (sud-ouest des États-Unis), dans le bush australien... en clair, dans les déserts situés à moins de 40° de latitude nord ou sud, l'ensoleillement et la chaleur sont si intenses que les rendements du solaire thermodynamique, qui utilise des fluides et de la vapeur pour actionner des turbines, surpassent même ceux du solaire photovoltaïque, qui convertit directement les photons en électricité.

La quantité d'énergie reçue à la surface du sol y dépasse les 2000 kWh (kilowattheures) par m² et atteint même, dans les meilleurs sites, 2800 kWh par m². De quoi générer 100 à 130 GWh (gigawattheures) d'électricité par an, c'est-à-dire l'équivalent d'une centrale à charbon de 50 MW (mégawatts). Le seul problème, c'est que ces régions sont généralement peu habitées et que les besoins en électricité sont quasi nuls. Y construire des centrales solaires suppose d'installer un réseau de transport très performant afin d'acheminer l'électricité là où elle sera utilisée.

Le potentiel mondial

Les observations satellitaires réalisées par le Centre spatial et aéronautique allemand (DLR) ont montré qu'en utilisant moins de 0,3% de la surface totale des déserts de la région Moyen-Orient / Afrique du Nord (en anglais Middle-Est/North Africa, acronyme : « Mena »), la production des centrales solaires thermodynamiques peut suffire à satisfaire la demande en électricité et en eau douce de l'Europe et de la région « Mena ».

D'autres études, menées par Greenpeace et l'Agence Internationale de l'énergie, montrent que ce type de centrales solaires pourrait fournir 7% des besoins mondiaux en électricité en 2030 et 25% en 2050. En théorie, si l'on couvrait un vingtième de la surface du Sahara de capteurs solaires, on pourrait produire 18 000 TWh (terawattheures) par an, soit la totalité de la consommation de la planète en électricité.

Des technologies pour stocker l'électricité...

Au nord de Séville, les deux centrales solaires à tour PS10 et PS20 de Solúcar

L'autre avantage, c'est que même lorsque la nuit tombe, la chaleur emmagasinée dans les fluides caloporteurs peut continuer à alimenter les chaudières. Ces chaudières produisent de la vapeur d'eau envoyée vers les turbines qui, elles-mêmes, peuvent produire de l'électricité pendant sept heures.

En effet, les centaines de miroirs installés dans ces centrales peuvent concentrer l'énergie solaire en un point et faire monter la température du fluide caloporteur entre 400 et 1000 °C. Cette chaleur peut ensuite être utilisée de différentes façons : pour produire de la vapeur via un échangeur de chaleur, pour actionner une turbine afin de produire de l'électricité, mais aussi pour être stockée dans des solides ou des fluides spéciaux (sels fondus, céramiques…) et être utilisée au moment opportun. Ces matériaux permettent de conserver la chaleur pendant sept à huit heures, comme dans la centrale Andasol, installée en Espagne. Et les projets les plus récents annoncent vingt heures d'autonomie.

Les différentes technologies

Les capteurs paraboliques concentrent les rayons solaires dans le foyer central

Toutes les technologies de centrales solaires à concentration (CSP) fonctionnent sur le même principe. Des miroirs concentrent l'énergie solaire. Soit sur une ligne, soit sur un point.

Dans le premier cas, on utilise des miroirs paraboliques (la technologie la plus répandue) ou des réflecteurs de Fresnel, et l'intensité du rayonnement est multipliée par 100. La température du fluide atteint alors les 400°C.

Dans le second cas, ce sont soit des tours solaires, soit des capteurs solaires paraboliques qui sont utilisés. L'énergie reçue en un point peut être multipliée par 1000 : avec les capteurs, la chaleur atteint les 750°C et, dans les tours, elle dépasse les 1000 °C. Le fluide utilisé est fait de sels fondus, d'eau ou bien d'air. L'eau ou l'air ainsi chauffé et maintenu sous pression peut actionner directement les turbines électriques.

... et produire de l'eau potable

L'avantage ultime de ces centrales, c'est qu'elles pourraient permettre de produire autre chose que de l'électricité. En effet, après avoir traversé les turbines, la vapeur, l'air comprimé ou les fluides caloporteurs contenant encore de la chaleur pourraient être envoyés vers des échangeurs à chaleur dans lesquels circulerait de l'eau de mer. Le surplus d'énergie pourrait donc, en théorie, alimenter des usines de dessalement d'eau de mer et produire de l'eau douce destinées aux populations riveraines de ces déserts... Rendez-vous en 2015 pour vérifier que les objectifs de ce projet très ambitieux peuvent effectivement être atteints.

Émilie Cauvard le 12/01/2010