Un réseau français sous haute tension

Chaque année en France, lors des vagues de froid, la consommation d'électricité grimpe en flèche. Ce phénomène de surconsommation est une particularité française. Comment s'explique-t-elle ? Et comment les différents acteurs du marché de l'électricité s'organisent-ils pour y faire face ?

Par Ronan Folgoas, le 20/12/2010

Le record du 1er décembre

Près de Dunkerque, le 3 décembre dernier.

Ce jour-là à 19h, un pic de 91 000 mégawatts (MW) a été atteint, juste en dessous du record historique battu le 10 février 2010 (93 000 MW). Comme l'électricité ne se stocke pas, sa production, forme ultime d'une organisation à « flux tendu », se doit donc de suivre pas à pas et à chaque instant la demande des consommateurs. À la moindre erreur d'organisation et de prévision de la part des producteurs-fournisseurs d'électricité, c'est le « blackout ». La rupture de courant. Le retour de la lampe à pétrole.

Dans les faits, cette situation ne se produit qu'en cas de panne ou d'incident sur les infrastructures du réseau. EDF, le producteur et fournisseur historique d'électricité en France ainsi que ses nouveaux concurrents (Poweo, Direct Energie, GDF Suez, etc.) sont tenus à « une responsabilité d'équilibre du réseau ». Sauf événement météorologique de force majeure, ils s'engagent ainsi à fournir par tous les moyens possibles l'électricité demandée. Sous peine de se voir infliger des pénalités financières par le réseau de transport d'électricité (RTE), un service public, filiale d'EDF.

L'électricité ne se stocke pas

Fruit d'une énergie primaire fossile (charbon, gaz, fioul), nucléaire, hydraulique ou solaire pour ne citer que quelques exemples, l'électricité, une fois produite, est aussitôt transportée (à une vitesse à peine inférieure à celle de la lumière) et consommée. À petite échelle, il est bien sûr possible de la conserver grâce à des accumulateurs ou des condensateurs. Mais, à ce jour, aucun système équivalent n'existe en proportions industrielles. Durant l'été 2010, EDF a inauguré sur l'île de la Réunion une batterie de stockage d'électricité « à grande capacité ». Puissance : 1 mégawatt (MW). Un progrès technique, certes, mais une goutte d'eau en comparaison avec la consommation nationale qui dépasse allègrement les 90 000 MW en période de pointe, comme ce fut le cas lors de la toute récente vague de froid.

Assurer un trafic fluide

Le rôle de RTE est de contrôler le « dispatching » du courant électrique sur les lignes à haute tension (225 000 volts) et très haute tension (400 000 volts). Le centre opérationnel de RTE est basé à Saint-Denis, aux portes de Paris. « C'est une sorte de tour de contrôle d'où nous surveillons les autoroutes européennes de l'électricité, explique Clotilde Levillain, directrice du centre. Nous surveillons en permanence 4 000 km de lignes à 400 000 V, qui sont reliées à l'ensemble des pays voisins. »

Le centre RTE de Saint-Denis

Pour garantir la fluidité du trafic électrique et éviter les risques d'embouteillage, RTE demande aux divers fournisseurs d'électricité d'atteindre, chaque jour, l'équilibre entre leurs prévisions de consommation et les moyens de production dans un délai précis. La « deadline » est fixée à 12h, la veille du jour en question. Au-delà de cette limite, la responsabilité du fournisseur est engagée sauf en cas d'évènement météorologique imprévu. Dans ce scénario, RTE intervient alors directement et s'approvisionne en dernière minute auprès de fournisseurs étrangers.

Outre l'impact de la météo qui influe à court terme, deux facteurs entrent en ligne de compte pour planifier l'organisation de la production à long terme.

  • L'historique des consommations d'une année sur l'autre. La consommation obéit plus ou moins à des règles de saisonnalité. À conditions météo équivalentes, on peut ainsi prévoir la consommation lors de journées exceptionnelles comme le Nouvel An ou Noël en fonction des chiffres de l'année précédente.
  • L'évolution du nombre de clients. C'est un paramètre essentiel depuis l'ouverture du marché de l'électricité en juillet 2007. Auparavant, EDF était en situation de monopole. Désormais, les concurrents se bousculent et tentent d'élargir chaque année un peu plus leur portefeuille de clients.

Une consommation thermosensible

Qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises, les clients d'EDF et des autres fournisseurs d'électricité ont au moins un point commun : ils sont tous « thermosensibles ». En clair, leur consommation d'électricité dépend de la température extérieure. Un regain de chaleur en plein automne entraîne invariablement une baisse de la consommation alors qu'une chute brutale des températures affole les compteurs. Selon le RTE, une baisse des températures de 1°C sur l'ensemble du territoire entraînerait un surplus de consommation de 2300 MW, l'équivalent de la consommation d'une ville comme Paris. L'équivalent aussi de la production de deux réacteurs nucléaires supplémentaires. Pour les prévisionnistes électriques de tous bords, l'information météo est donc de toute première importance. Impossible toutefois d'obtenir des données fiables plus d'une semaine à l'avance. Entre la fin de l'automne et le début du printemps, le petit monde de l'électricité reste donc à l'affût d'une vague de froid, rivé sur les bulletins de Météo France et d'autres sociétés spécialisées. Par ailleurs, depuis le 16 novembre, il est possible de suivre en direct la production et la consommation d'électricité en France.

Une spécificité française

Quel lien entre le phénomène météo et la consommation d'électricité ?

En outre, cette « thermosensibilité » ne fait que s'aggraver. En 1996, une baisse de 1°C de la température extérieure entraînait une augmentation de la consommation de 1000 MW. Treize ans plus tard, ce chiffre a plus que doublé. Comment expliquer cette évolution ? Selon Jean-Christophe Cheylus, directeur Négoce et Optimisation d'actifs chez Poweo, cela tient principalement à l'équipement en chauffages électriques des foyers français.

Frédéric Marillier

Sur cette même période 1996-2009, la France est passée de 5,5 millions de foyers chauffés à l'électricité à plus de huit millions. Aujourd'hui, entre 70 et 80% des logements neufs en sont équipés. En Allemagne, ce taux ne dépasse pas les 5%. Quant au Danemark, l'utilisation des chauffages électriques y est interdite car jugée désastreuse en terme de consommation. Pendant ce temps-là, en France, la progression du chauffage électrique a été fulgurante. Elle s'explique en partie par un coût d'installation relativement faible. À long terme, l'intérêt financier du chauffage électrique se révèle beaucoup plus discutable, les factures ayant une fâcheuse tendance à s'envoler dès les premiers frimas de l'automne.

Quelles solutions en cas d’urgence ?

Jean-Christophe Cheylus: « On prévoit les besoins la veille pour le lendemain...»

Deux types de méthodes existent pour gérer l'augmentation soudaine, du jour au lendemain, des prévisions de consommation. La première consiste à utiliser des moyens de production « flexibles », adaptés aux périodes de pointe. EDF dispose d'une capacité installée de 96 000 MW. Ce chiffre représente la somme des capacités maximales des divers moyens de production s'ils fonctionnaient simultanément.

Ronan Folgoas le 20/12/2010