L´ARN Interférent : une arme nouvelle contre les virus ?

Deux équipes américaines ont prouvé cet été que l'ARN pouvait prévenir l'infection de cellules humaines par les virus de la poliomyélite et du sida. Retour sur ces travaux très médiatisés, l'ARN interférent ayant été élu molécule de l'année 2002 par la revue Science.

Par François Lassagne, le 24/10/2002

Tout a commencé avec des pétunias…

Pétunia

En 1990, Richard Jorgensen, chercheur en sciences végétales à l'université de l'Arizona, incorpora le gène responsable de la coloration mauve dans des pétunias de cette couleur. Il s'attendait ainsi à la renforcer. Les fleurs éclosent…elles étaient blanches. Richard Jorgensen en conclut qu'introduire un exemplaire supplémentaire d'un gène déjà présent revenait à inhiber son expression. Restait à comprendre les mécanismes cellulaires à l'origine de cette découverte. La connaissance de la technique génétique employée pour modifier la lecture des gènes naturellement responsables de la coloration, dite « antisens », fut cependant insuffisante pour élucider le mystère.

Du végétal à l’animal

Deux champions des modèles génétiques animaux de laboratoire vinrent contribuer à l'enquête.

Caenorhabditis elegans

A la fin des années 1990, un ver d'à peine un millimètre de long, Caenorhabditis elegans, et la drosophile, plus connue sous le nom de « mouche du vinaigre », furent utilisés par l'équipe du professeur Andrew Fire, biologiste à l'Institut Carnegie de Washington, pour montrer que le phénomène observé sur des plantes par Richard Jorgensen se produisait aussi dans le règne animal.

On commençait ainsi à entrevoir le caractère universel d'un mécanisme dont il restait à percer le secret au niveau moléculaire. Dans la course à la découverte, l'équipe du professeur Sharp, chercheur à l'Institut de Technologie de Cambridge, observa, en 1998, que de courts fragments d'ARN (une vingtaine de nucléotides) étaient capables d'empêcher la lecture et la traduction en protéines du code génétique porté par l'ADN. Elle proposa alors le terme d'interférence.

Un nouveau champ de recherche

Depuis, le nombre de chercheurs travaillant sur l’interférence de l’ARN a considérablement augmenté. On a ainsi compris, grâce à l’expérimentation sur les souris notamment, que les fragments d’ARN dits interférents ne désactivent que les gènes dont ils sont complémentaires.

Quelles sont les applications de l’interférence de l’ARN ? Réponse de François Dautry (Inserm, CNRS)

Depuis, le nombre de chercheurs travaillant sur l'interférence de l'ARN a considérablement augmenté. On a ainsi compris, grâce à l'expérimentation sur les souris notamment, que les fragments d'ARN dits interférents ne désactivent que les gènes dont ils sont complémentaires.

Selon Gordon G. Carmichael, professeur de microbiologie (Uconn Health Center, Farmington), « l'interférence de l'ARN n'est pas seulement une théorie, ça marche en pratique. C'est donc très excitant pour les chercheurs. On a cherché pendant des années à rendre des gènes silencieux, et tout à coup, comme par magie, cette technique est arrivée. En ce moment, des milliers de scientifiques l'utilisent dans le monde. Même si elle n'est pas encore 100% efficace. Certains gènes ne sont « éteints » qu'à 50-80%. On ne sait pas pourquoi et il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer la technique. Toutefois, même des réductions modestes de l'expression d'un gène peuvent avoir des effets biologiques importants. »

Un petit pas pour l’ARN, un grand pas contre les virus ?

Est-ce le début d’une « révolution biologique », comme certains l’ont évoqué ? Réponse de L.-M. Houdebine (INRA)

Fin juillet 2002, les travaux des équipes du professeur Leonid Gitlin, de l'université de Californie, et du professeur Jean-Marc Jacques, de l'Université du Massachusetts, publiés dans la revue Nature*, ouvrent de nouvelles perspectives à la technique de l'interférence de l'ARN : pour la première fois, ce mécanisme s'avère efficace sur des cellules humaines.

Il a permis de bloquer in vitro leur infection par les virus du sida et de la polyomyélite. Ces résultats suggèrent donc que les ARN interférents pourraient être utilisés pour contrer des infections virales chez l'homme.

Les obstacles à franchir

Quels sont les problèmes à résoudre avant une éventuelle utilisation thérapeutique ? Réponse de L.M.Houdebine (INRA)

Il reste cependant un long et incertain chemin à parcourir avant que cette technique puisse être utilisée comme une nouvelle arme thérapeutique. Il faudra construire le « catalogue » des ARN interférents potentiellement intéressants, imaginer les moyens de produire et d'administrer les traitements, vérifier que la neutralisation d'un gène néfaste n'affecte pas d'autres gènes…

En attendant, comme le souligne Louis-Marie Houdebine, « le mécanisme d'interférence de l'ARN est avant tout un outil formidable pour les généticiens. Il permet d'étudier indirectement mais avec une très grande efficacité les fonctions des gènes. Comme il permet de sélectionner les gènes que l'on veut « éteindre », il devient facile d'observer, dès les premiers stades de développement des organismes étudiés, les caractères dont sont responsables tels ou tels gènes ».

François Lassagne le 24/10/2002