Paludisme : un nouveau départ ?

Médecine occidentale, génomique et médecine traditionnelle chinoise semblent en passe de conjuguer leurs efforts dans la lutte contre le paludisme. Quelles retombées attendre de ces avancées dans la lutte contre une maladie à laquelle les individus exposés vivent pour la plupart dans des pays pauvres ?

Par Isabelle Huau, le 12/01/2004

Entre génomique...

Les “unes“ de Nature et Science en octobre 2002.

Lorsque deux revues scientifiques aussi prestigieuses que Nature et Science consacrent leur “une“ au même événement, on peut supposer qu’il est d’une grande importance. Ce cas s’était produit en février 2001 lors de la publication du séquençage du génome humain. En octobre 2002, c’est le moustique vecteur du paludisme et le parasite responsable de la maladie (plasmodium falciparum) qui s'affichent en couverture. Le décryptage de leur génome ouvre de nouvelles perspectives aux chercheurs pour tenter de comprendre les mécanismes moléculaires qui régissent leurs cycles de vie et les interactions qu'ils entretiennent. Et arriver à mettre au point des répulsifs et insecticides plus efficaces, voire de nouveaux médicaments.

Le parasite du paludisme

''Les insecticides, aujourd'hui, ne sont pas assez efficaces. Il faut faire des travaux de recherche pour mieux connaître le métabolisme du moustique. Le fait d'avoir séquencer le génôme devrait permettre de trouver des récepteurs à l'odorat et donc de développer de nouveaux insecticides'', explique Karine Eiglmeier, chercheur à l'Institut Pasteur (Unité de biochimie et de biologie des insectes).

''Cette avancée devrait aussi inciter les bailleurs de fond à investir dans le domaine du paludisme'', répond Jean-Louis Perignon, médecin-chercheur à l'Institut Pasteur (laboratoire de parasitologie médicale)

... et médecine traditionnelle

Artemisia annua

L'armoise annuelle ou Artemisia annua est une plante traditionnellement utilisée en Chine pour combattre le paludisme. Son usage comme remède contre les fièvres remonterait à l'an 340 et son emploi contre les symptômes du paludisme aurait commencé vers le milieu du 16ème siècle.

Son composant actif, baptisé artémisine, a été isolé par des scientifiques chinois en 1972 et, contrairement aux autres traitements, aucune résistance n'a été observée face à ce médicament. Cette efficacité a conduit l'OMS à conclure en 2001 un accord avec le gouvernement chinois pour produire en grande quantité un traitement contre le paludisme à base de ce composé. Aujourd'hui, son prix le met hors de portée de la plus part des malades africains.

 

En aout 2003, les travaux d'une équipe de scientifiques de l'hôpital Saint George, à Londres, apportent des éléments sur les mécanismes de l'activité de l'artémisine : elle bloquerait l'action d'une enzyme qui permet au parasite de pomper le calcium et l'empêcherait ainsi de se développer. (Nature 21/08/2003, vol.424, p.887-8 et 957-61)

Si ils sont confirmés par de nouvelles expériences, ces résultats pourraient ouvrir des perspectives de traitement et apporter une explication moléculaire à l'action d'un médicament découvert empiriquement.

Les traitements actuels

Le paludisme est responsable de près d'un million de morts par an.

Responsable de près d'un million de morts par an, le paludisme sévit principalement en Afrique subsaharienne où surviennent 90% des cas. Dans certaines régions d'Afrique, plus de 80% des enfants souffrent de paludisme. Certains territoires comme l'Inde ou les ex-républiques soviétiques, qui s'en étaient débarrassés, voient leur nombre de cas augmenter.

Ainsi dans le monde, le paludisme cause plus de décès par an que toutes les autres maladies transmissibles, à l'exception de la tuberculose. En réponse à cette menace, les insecticides et les médicaments perdent de jour en jour de leur efficacité.

Y a-t-il une réelle politique de recherche pour trouver de nouveaux traitements ?

Depuis cinquante ans, le principal traitement contre le paludisme était la chloroquine, un médicament sûr, peu cher et efficace. Mais son utilisation excessive a fait se développer des parasites résistants à la chloroquine. En Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est, les médecins ont pratiquement abandonné l’usage de la chloroquine. Mais ce médicament reste toujours utilisé dans de nombreux pays africains parce qu'il n'en existe pas d'autres d'un coût abordable.

Fournir des moustiquaires



''En attendant, un moyen simple de lutter contre le paludisme serait, selon Karine Eiglmeier, d'investir dans des moustiquaires imprégnées d'insecticides ; leur utilisation permet de diminuer de 90% le risque d'infection mais aujourd'hui, seulement 10% des personnes exposées disposent d'une moustiquaire.''

Autres types de contamination

  • La contamination de la mère à l'enfant, par voie placentaire, est possible.
  • Le dépistage des donneurs de sang permet d'éviter le risque de contamination lors d'une transfusion sanguine.

Le diagnostic du paludisme s'effectue simplement, à partir d'une goutte de sang prélevée au bout du doigt.

Le développement d'un vaccin

Où en sont les recherches sur les vaccins ? Réponse de Pierre Druilhe, chercheur à l’Institut Pasteur.

Longtemps, le paludisme a fait figure de ''maladie délaissée''. Il touchait les pays en développement donc à faible pouvoir économique, ce qui n’intéressait guère les laboratoires pharmaceutiques. Depuis 1997, plusieurs initiatives témoignent d’un nouvel intérêt en faveur des recherches thérapeutiques. Une équipe de chercheurs australiens et américains a notamment annoncé, le 15 août 2002, dans la revue Nature (vol.418, p.785) , les résultats prometteurs d'un nouveau vaccin sur des souris en neutralisant une toxine, la GPI (glycosylphosphatidylinositol), produite par le parasite responsable du paludisme : 65 à 95% des souris vaccinées ont survécu à une grave attaque de paludisme.

Repas de sang d'un moustique Anopheles gambiae, vecteur du paludisme.

Par ailleurs, l'équipe de Maier du Walter and Elisa Hall Institute à Melbourne a mis le doigt sur une nouvelle cible pour un vaccin. En étudiant une population de Mélanésiens qui ne développent jamais la forme sévère du paludisme dans une région pourtant endémique, les chercheurs ont en effet montré que la protéine EBA 140 du parasite P. falciparum ne peut se fixer au récepteur baptisé glycophorine C (GYPC) présent à la surface des globules rouges, car ce dernier est muté. Le parasite ne peut entrer dans la circulation sanguine par cette voie, l'invasion en est réduite. Alors, inhiber la liaison protéine - récepteur, pourrait être une nouvelle approche de vaccination.

Un autre espoir d'améliorer les stratégies de vaccination est apporté par l'équipe de Samuel J. McConkey (Université d'Oxford, Grande Bretagne). En combinant l'injection de l'ADN du parasite Plasmodium falciparium avec celle d'un virus atténué de la variole, les chercheurs ont obtenu des réponses immunitaires 5 à 10 fois plus fortes que si une seule injection avait été réalisée. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans “Nature Medicine“ en mai 2003.

Dans tous les cas, un travail long et laborieux s'annonce avant le début d'un éventuel vaccin et la médecine doit continuer de faire face au paludisme avec les armes dont elle dispose actuellement.

Le cycle du paludisme

Le cycle du paludisme

L'homme est infecté lors d'une piqûre d'anophèles femelles uniquement, qui injectent le parasite sous forme de ''sporozoite''. Celui-ci migre rapidement, en utilisant la circulation sanguine, vers le foie. Il pénètre dans une cellule hépatique, où il se divise activement, donnant naissance en quelques jours à des dizaines de milliers de nouveaux parasites : les ''mérozoïtes''. La cellule du foie éclate, libérant ces parasites dans le sang. Ceux-ci pénètrent alors dans les globules rouges, se multipliant jusqu'à l'éclatement du globule rouge. Les mérozoïtes ainsi libérés infectent de nouveaux globules rouges…

Les éclatements périodiques de globules rouges provoquent chez le sujet atteint les forts accès de fièvre caractéristiques de la crise de paludisme.

En parallèle, dans le sang, certains mérozoïtes se transforment en cellules sexuées mâles et femelles : les gamétocytes (précurseurs des gamètes). Lorsqu'un moustique pique une personne dont le sang est infecté, il ingère ces gamétocytes. A l'intérieur du moustique, du fait du changement de pH et de température, ainsi que de facteurs propres au moustique, les gamétocytes se transforment en gamètes mâles et femelles. La fécondation peut alors se faire, engendrant des œufs qui se différencient en sporozoïtes dans les glandes salivaires du moustique. Un nouveau cycle peut alors recommencer…

Des initiatives mondiales

Hopital de Navrongo (Ghana)

L'objectif du partenariat mondial (lancé en 1998 par la Banque mondiale, l'OMS, l'UNICEF et le PNUD) pour faire reculer le paludisme est de réduire de 50% la mortalité et la morbidité liées à cette maladie d'ici à 2010. Et ce, en assurant un accès aux informations, aux technologies et aux ressources financières requises pour combattre le paludisme.

Une autre initiative internationale ''Medecines for malaria Venture'', lancée en 1999, réunissant des agences de l’ONU, et des sociétés pharmaceutiques a pour objectif d’encourager la recherche de nouveaux traitements et de commercialiser un antipaludéen tous les cinq ans à un prix accessible.

La MIM (Multilateral Initiative on Malaria), enfin, œuvre pour donner aux pays concernés les moyens de s’attaquer eux-mêmes à leurs propres problèmes de santé.

Christian Fournier, responsable du programme Afrique-MSF

 

Peut-on parler de mobilisation internationale
contre le paludisme ?

Récit de deux expériences

“Des médicaments inefficaces pour soigner 3 millions de personnes...“



L’une au Burundi...

“Des traitements inaccessibles... dans un territoire français.“



... l’autre à Mayotte.

Isabelle Huau le 12/01/2004