Guyane : des images pour décoder le monde

A Cayenne, les chercheurs de la plateforme SEAS tentent de développer un logiciel intelligent, capable de décoder et d'interpréter des images satellitaires comme le ferait l'œil humain. Deuxième volet d'une série de cinq reportages en Guyane.

Par Viviane Thivent, le 04/11/2010

David et Goliath

Kourou (Guyane) vu par le satellite Spot 4

Dans les laboratoires de Google, on travaille d'arrache-pied à la genèse d'un logiciel d'un nouveau genre. Un système qui serait capable, sans assistance humaine, de comprendre le contenu des images satellitaires et d'y discerner, ici une forêt, là, une industrie et, là-bas, une villa... avec piscine. Un Graal de l'informatique. « Créer un tel logiciel, soutient Jamal Atif, chercheur à l'université Paris 11, c'est s'approcher de l'intelligence artificielle. » Et le chercheur sait de quoi il parle. Lui et ses collaborateurs de l'IRD de Guyane travaillent en effet sur un projet similaire appelé Cartam-sat.

Comment une poignée de chercheurs peut-elle imaginer rivaliser avec un géant du CAC 40 et de l'organisation de l'information ? C'est que, dans ce remake de David contre Goliath, la petite équipe possède une botte secrète : la plateforme SEAS (Surveillance de l'environnement amazonien assistée par satellite). Une station de recherche située à Cayenne, en pied d'antenne et qui, depuis 2006, permet aux chercheurs de récupérer en temps réel le flot d'images prises de la région guyanaise par les satellites Spot 4, 5 et Envisat.

L'œil de la Guyane

Voici les zones dont la plateforme SEAS peut obtenir des clichés, notamment grâce aux satellites Spot et Envisat

Difficile néanmoins de ne pas être déçue en arrivant sur ladite station. Point d'antenne géante (point d'antenne en fait), ni de bâtiments ultra-modernes. Les locaux de SEAS sont des plus banals et des plus... marqués par l'humidité ambiante. Mais pas de quoi décontenancer Jean-François Faure, ingénieur à l'IRD et coordinateur de la plateforme. « Cette structure est, dans son fonctionnement, unique au monde, » insiste-t-il en traversant les quelques mètres qui le séparent du "centre névralgique" de la station : une petite salle coupée en deux par une baie vitrée, avec d'un côté, une dizaine d'ordinateurs surannés, et de l'autre, deux grandes colonnes informatiques. « Il s'agit de terminaux, précise-t-il. Ils nous permettent de stocker les 500 images reçues chaque jour par une antenne située à 2 kilomètres d'ici, sur la colline de Montabo. Point particulier : toutes ces images peuvent être exploitées gratuitement par les scientifiques. »

L'antenne de SEAS permet de récupérer les images prises par les satellites Spot et Envisat

Une mini révolution en soi. D'ordinaire en effet, lorsque des chercheurs souhaitent utiliser des images satellitaires, ils sont obligés de les acheter au cas par cas à un fournisseur privé comme Spot Image. A raison de plusieurs milliers d'euros le cliché, mieux vaut être sélectif.

Avec la plate-forme SEAS, c'est comme si le robinet des données satellitaires s'était ouvert. « La construction de cette station a été financée par le gouvernement français et permet à la fois aux chercheurs et à Spot Image de récupérer les images satellitaires prises de la Guyane et de sa grande périphérie (Antilles, Amazonie). » Un partenariat privé-public, sans équivalent à ce jour, qui facilite le travail des chercheurs et « permet d'imaginer de nouveaux types d'applications », confie Jean-François Faure.

La plateforme SEAS fait des petits

En 2009, l'IRD a annoncé la création, au Gabon, d'une autre plateforme SEAS. L'objectif sera d'améliorer le suivi de la déforestation en Afrique centrale.

D'une image à l'autre

La région d’Apatou vue par un satellite (à gauche, résolution de 20 mètres) et par un avion (à droite, résolution d'un mètre)

A commencer par Cartam-sat, projet lancé en mai dernier qui vise justement à exploiter au mieux ce flot de données et à en extraire, à la demande de l'utilisateur, des informations utiles. Par exemple, la vitesse de déforestation dans telle région de Guyane sur une certaine période. « L'idée de ce programme, raconte Jean-François Faure, vient d'une rencontre avec Jamal Atif. » Un chercheur spécialisé dans l'imagerie médicale et qui, des années durant, a travaillé sur des outils algorithmiques visant à faciliter certains diagnostics médicaux. Les outils en question, développés dans le cadre des projets logiciels PTM3D (Limsi-CNRS) et Grafip (Télécom-ParisTech), devaient permettre d'analyser différents types d'images du cerveau (scanner, IRM) et d'y repérer certaines anomalies, en l'occurrence des tumeurs cérébrales.

En 2006, avec l'arrivée de Jamal Atif en Guyane, naît l'idée de créer un système similaire pour le traitement des images satellitaires. Car analyser de tels clichés est plus difficile qu'il n'y paraît. Impossible en effet de se reposer sur des paramètres aussi évidents que les couleurs ; celles-ci, versatiles, changent en fonction de la saison, du temps ou même de l'heure. « De fait, pour qu'un logiciel soit capable de reconnaître une forêt, une zone déforestée, une ville ou une rivière, il faut s'y prendre différemment et lui donner au préalable les briques d'information dont il a besoin pour "comprendre" ce qu'il voit. » Lui expliquer, par exemple, qu'une mangrove est un ensemble d'arbres situés en bord de mer, c'est-à-dire en bordure d'un système présentant telles caractéristiques. A terme, si les informations sont correctement décortiquées, le logiciel devrait réussir à discerner les différents éléments.

Vue sur l'ouest du littoral guyanais

Après s'être perdu quelques années dans les méandres de l'administration, le projet Cartam-sat est désormais en route. Il est financé sur trois ans et a pour principaux objectifs l'amélioration du suivi de la déforestation et l'évolution du littoral. Le fruit des cogitations du logiciel (délimitation des mangroves, des zones déforestées ou des forêts) sera vérifié en parallèle au gré de missions sur le terrain.

Viviane Thivent le 04/11/2010