Thérapie génique : dix ans après, le devenir des « bébés-bulles »

Sept « bébés-bulles » traités par thérapie génique il y a dix ans mènent aujourd'hui une vie normale et en bonne santé. Un bilan positif pour l'équipe d'Alain Fischer (Inserm) et un premier succès à long terme pour la thérapie génique, malgré des effets secondaires sévères. Un nouveau protocole devrait débuter à l'automne.

Par Paloma Bertrand, le 27/01/2010

Un bilan reconsidéré avec le recul

En mars 1999, Alain Fischer, Marina Cavazzana-Calvo et Salima Hacein-Bey-Abina (Inserm / APHP / Université Paris-Descartes) traitaient pour la première fois par thérapie génique des bébés atteints d'une maladie les privant de défenses immunitaires : la DICS-X pour déficit immunitaire combiné sévère. Des essais interrompus à deux reprises, en 2002 et en 2005, car sur les neuf enfants engagés dans ce protocole à l'hôpital Necker, la thérapie n'a pas fonctionné pour l'un et quatre ont déclaré une leucémie quelques années après le début du traitement.

Alain Fischer : « Une efficacité à long terme ! »

Pourtant, dix ans plus tard, le bilan est, selon les chercheurs, plutôt positif. Sur les quatre enfants atteints d'une leucémie, un est décédé mais les trois autres sont aujourd'hui guéris. « Non seulement ils ont guéri », insiste Alain Fischer, « mais ils ont toujours un système immunitaire parfaitement fonctionnel. Aujourd'hui, il y a huit enfants en vie, dont sept grâce à la thérapie génique. Certes, la thérapeutique utilisée comportait des risques qui n'étaient pas négligeables mais c'est la première fois que l'on observe une telle efficacité de la thérapie génique à long terme, après dix ans. »

Les « bébés-bulles »

Le déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X (seuls les garçons peuvent être touchés) est une maladie génétique rare, 1 sur 175 000 naissances, caractérisée par une absence totale de cellules responsables de la défense de l'organisme contre les infections. Il existe d'autres maladies génétiques ayant cette même conséquence mais le DICS-X représente 50 % de toutes les formes de déficit immunitaire sévère. Afin de combler cette absence de défenses immunitaires, les enfants touchés par ces maladies sont placés dès la naissance dans des chambres stériles, des « bulles », d'où leur nom de « bébés-bulles ». Mais le déficit immunitaire est tel qu'ils ne peuvent survivre en l'absence de traitement. Le traitement conventionnel de cette pathologie est la greffe de moelle osseuse.

Une urgence thérapeutique pour ces « bébés-bulles »

« Si ces bébés ne sont pas traités durant les premiers mois de leur existence, ils ne peuvent survivre. L'unique solution aujourd'hui est la greffe de moelle osseuse. Il y a alors deux possibilités : ou le bébé peut bénéficier d'une greffe compatible à partir d'un donneur géno-identique, c'est-à-dire un frère ou une sœur, ou faute de frère et sœur, c'est l'un des parents qui doit être le donneur », précise Salima Hacein-Bay-Abina, membre de l'équipe d'Alain Fischer et auteure principale de l'article publié ce mois de juillet dans la revue The New England Journal of Medicine.

« Le premier cas est la solution idéale, la greffe est alors optimale. Mais dans 80 % des cas, il faut avoir recours à l'un des parents et les complications après la greffe ne sont pas rares. Lorsque la greffe ne prend pas une première fois, l'opération doit être recommencée quelques mois plus tard à partir du même donneur ou de l'autre parent. Ce sont des mois de calvaire et plus le temps passe, plus l'enfant s'affaiblit et moins la greffe est promise au succès. »

Voilà pourquoi, pour 80 % de ces enfants qui n'ont pas de donneur géno-identique dans leur fratrie, la thérapie génique porte un espoir et un caractère d'urgence. Et que le bilan des essais menés en 1999 – malgré les cas de leucémie déclarée et guérie dans leur majorité – est annoncé aujourd'hui comme un succès.

Des essais relancés en septembre 2010

La méthode suivie

Un nouvel essai va donc débuter sur quinze bébés dont cinq seront traités en France par la même équipe, cinq en Angleterre et cinq aux États-Unis.

La méthode utilisée reste la même : des cellules souches de la moelle osseuse sont prélevées sur le malade. Un vecteur rétroviral dans lequel a été insérée une copie normale du gène altéré est mis en contact avec les cellules et va venir « corriger » le génome déficient. Puis les cellules génétiquement modifiées sont réinjectées chez le patient par voie intraveineuse. L'expression du nouveau gène dans ces cellules souches capables de se différencier en tous les types de cellules du sang, doit permettre la reconstruction d'un système immunitaire pour le patient.

Mais le vecteur, lui, a changé. Le rétrovirus utilisé jusqu'à présent contenait une séquence d'ADN suspectée d'être impliquée dans le déclenchement d'un processus cancéreux. Cette séquence a donc été retirée.

Le vecteur a été modifié

Pour Alain Fischer, « le risque devrait être aujourd'hui réduit ou anéanti même complètement… c'est du moins ce que j'espère… ». L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) devrait autoriser prochainement le nouvel essai qui pourrait débuter en septembre.

Des années passeront encore avant que cette thérapeutique puisse être généralisée mais, pour Salima Hacein-Bay-Abina, « si des complications sérieuses n'apparaissent pas chez les quinze enfants qui seront traités à la rentrée au cours des premières années, on pourra peut-être envisager de généraliser à plus de patients cette thérapie génique ».

Paloma Bertrand le 27/01/2010