Assistance médicale à la procréation : quelles limites ?

Du 30 janvier au 4 février 2012 s’est tenu à Strasbourg le Forum européen de bioéthique, dédié cette année à l’aube de la vie. Quelques mois après l’adoption de la nouvelle loi de bioéthique en France, les débats sur l’encadrement des techniques liées à la procréation sont toujours aussi vifs. Entre les tenants d’un encadrement juridique étroit et les partisans d’un libre choix, des solutions médianes émergent.

Par Lise Barnéoud, le 09/02/2012

L'affiche du Forum européen de bioéthique à Strasbourg

Les positions sont tranchées. Le forum européen de bioéthique, initié par le gynécologue-obstétricien Israël Nisand, se penchait cette année sur les questions posées par la procréation assistée. Pas moins de 22 tables rondes, 130 intervenants (médecins, philosophes, juristes, sociologues, psychiatres…) et quelque 9000 auditeurs. Qui a droit à l’assistance médicale à la procréation ? Faut-il lever l’anonymat des donneurs de gamètes, autoriser les mères porteuses ? La France est-elle un pays eugéniste en organisant un dépistage de masse de la trisomie 21 ? L’embryon est-il un matériel biologique comme les autres ? Les interrogations soulevées par les biotechnologies ayant trait au début de la vie sont nombreuses et variées. Mais elles se rejoignent toutes sur une question fondamentale, à la base de toute réflexion bioéthique : qui doit décider, et sur quels principes ?

Une nouvelle loi, quelles évolutions ?

Israël Nisand : "Les valeurs de la France évoluent vite : il faut donc réviser régulièrement la loi de bioéthique".

En 1994, la France se dotait d’une loi définissant comment et pour qui la médecine procréative peut être pratiquée dans notre pays. Censée épouser les évolutions scientifiques et sociétales, cette loi incluait d’emblée une clause de révision tous les cinq ans. Toutefois, ses relectures seront plus longues et plus complexes que prévu… La première révision s’achève en 2004. La deuxième, en 2011. Et force est de constater qu’au final, l’actuelle loi de bioéthique ressemble fortement à celle de 1994.

Ainsi, l'assistance médicale à la procréation (AMP) reste réservée aux couples hétérosexuels vivants dont l’infertilité a été médicalement diagnostiquée. Les dons de gamètes restent gratuits et anonymes. La gestation pour autrui est toujours prohibée, tout comme le transfert d’embryon post-mortem. Enfin, le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon est maintenu. La France est ainsi un des pays où sévissent le plus d’interdits, après l’Allemagne et l’Italie.

Les premières lois de bioéthique

C’est suite au procès des médecins nazis à Nuremberg en 1947 qu’une prise de conscience sur la nécessité de mettre en place des règles de bioéthique émerge. En effet, ces médecins avaient mené d’effroyables expériences sur des détenus de camps de concentration, les conduisant à une mort certaine. Le code de Nuremberg, rédigé à l’issue de ce procès, posait ainsi pour la première fois les règles et les limites de l’expérimentation humaine. La bioéthique est donc née de la peur. En France, le Comité national d’éthique (CNE) est créé en 1983, sous l’impulsion de François Mitterrand, suite notamment à la naissance d’Amandine, premier « bébé-éprouvette » français. Onze ans plus tard, la première loi de bioéthique, encadrant toutes les pratiques et recherches dédiées au corps humain, était votée. Une première au monde.

Encadrement étatique ou liberté individuelle ?

Dominique Mehl, sociologue : "Les voix libérales renaissent en France".

A chaque révision des lois de bioéthique, une question centrale agite les débats : les innovations scientifiques concernant la maîtrise de la reproduction, et donc le futur de l’homme, doivent-elles être encadrées par le pouvoir et le droit ou doivent-elles relever uniquement de choix individuels, de préférences personnelles ? Les positions prônant une absence totale de l’Etat et un libre accès aux techniques procréatives sont plutôt rares. Et pour cause : tout ce qui est techniquement possible n’est pas moralement souhaitable. La sélection ou l’élimination d’embryons selon des critères non médicaux en est un bon exemple. 

Mais de plus en plus de voix s’élèvent également contre une trop forte rigidité de l’Etat dans ce domaine. De fait, la France a clairement opté pour un encadrement strict, avec une loi qui non seulement dicte le cadre général mais aussi les conditions d’accès et les modalités d’application. Mais surtout, l’immobilisme de cette loi suscite beaucoup de critiques. Ainsi, alors même que la société a considérablement évolué durant ces trente dernières années, les deux révisions successives n’ont apporté que des modifications mineures en termes d’accès aux techniques de procréation assistée. L’exemple le plus souvent cité concerne les célibataires et les couples homosexuels qui, bien que de plus en plus nombreux, restent exclus de ce dispositif. 

La piste des comités parentaux

Israël Nisand : "Quand on interdit tout, on se refuse l’opportunité de réfléchir".

Face aux réponses contrastées, voire opposées, que ces questions de procréation médicalement assistée suscitent, édicter une loi de bioéthique relève d’un véritable exercice d’équilibriste. Est-il possible de trouver un juste milieu ? Comment définir un consensus qui ne soit pas qu’une posture politiquement correcte décevant toutes les parties ?

Pour certains experts, la solution réside dans une loi cadre laissant la porte ouverte aux décisions au cas par cas. Des décisions prises non pas uniquement par les parents ou les seuls professionnels, mais par la société dans son ensemble. Ce système existe déjà dans le cas des expérimentations sur l’Homme. Des comités de protection des personnes, incluant des membres de la société civile ainsi que des professionnels (scientifiques, médecins, juristes…) nommés par le préfet de chaque région, émettent des avis sur toute recherche menée sur l’être humain. Un modèle qui pourrait être testé lorsqu’une demande d’aide à la procréation sort du cadre général, par exemple lorsqu’elle émane d’un couple homosexuel ou pour les demandes de grossesse pour autrui, suggère Israël Nisand. Il faudra toutefois attendre 2018 et la prochaine révision de la loi de bioéthique pour proposer cette solution médiane aux législateurs.

Lise Barnéoud le 09/02/2012