Un brevet pour des bébés sur mesure

Grâce à un brevet délivré en septembre dernier, l'entreprise américaine 23andMe affirme qu'il sera bientôt possible aux couples engagés dans un processus de procréation médicalement assistée aux États-Unis de sélectionner certaines caractéristiques de leurs enfants. Le sujet fait polémique.

Par Lise Barnéoud, le 28/11/2013

« Je préfère un enfant présentant un faible risque de cancer colorectal, une grande probabilité d’avoir des yeux verts et la plus grande espérance de vie possible ». Ce cas concret, jugé réalisable, se trouve dans la description du brevet délivré le 24 septembre 2013 à la société 23andMe.

Un brevet qui devrait permettre, grâce au séquençage à haut débit des génomes couplé à un système informatique, de choisir des donneurs de gamètes en fonction des probabilités qu’ils ont de transmettre certaines prédispositions à des maladies, mais aussi des traits physiques et de tempérament.

Ainsi, les couples engagés dans un processus de procréation médicalement assistée avec donneurs (fécondation in vitro ou insémination) pourront indiquer leurs préférences : couleur des yeux, taille, tolérance à l’alcool... Ils pourront aussi choisir entre un enfant « plutôt sprinteur » et un enfant « plutôt endurant ».

 

De la prédiction… à la sélection

Depuis quatre ans, 23andMe propose un « calculateur d’hérédité ».

Voilà déjà quatre ans que cette société spécialisée dans le génome humain propose aux futurs parents de deviner ce à quoi ressemblera leur progéniture grâce au « calculateur d’hérédité ». Réalisée grâce à un simple prélèvement de salive chez les deux parents, une analyse génétique permet d’identifier des marqueurs prédictifs. Ensuite, un logiciel les assemble et produit une série de probabilités chiffrées pour plus de 240 caractéristiques, dont une cinquantaine de traits physiques ou de personnalité.

« L’outil est utilisé par nos clients de façon ludique pour découvrir de quelle couleur pourraient être les yeux de leur enfant, s’il a des risques d’être intolérant au lactose, s’il pourra ressentir le goût amer. Cela répond à notre objectif de familiariser les gens à leur ADN et de les aider à comprendre la science de la génétique, qui est parfois compliquée », explique l’entreprise, financée par Google. Mais donner la possibilité à des parents d’entrevoir à quoi ressemblera leur futur enfant est une chose. Permettre à des couples infertiles de choisir leur donneur de sperme ou d’ovocytes en fonction de traits désirés pour leur progéniture en est une autre…

Un brevet controversé

Les réactions à la délivrance d'un tel brevet ne se sont pas fait attendre. Outre les médias, qui évoquent les risques d'eugénisme, de nombreux généticiens ou chercheurs en bioéthique appellent à ne pas développer ce brevet. Réagissant à la controverse, la société a précisé sur son blog qu’elle n’utiliserait pas l'outil de cette manière peu éthique : « Lorsque nous avons déposé le brevet, nous pensions que cette technologie pourrait connaître des applications dans les cliniques de fertilité, donc nous avons ajouté cette possibilité. Mais les choses ont évolué depuis et notre stratégie également. Notre société n’a encore jamais utilisé cet outil au-delà de notre "calculateur d’hérédité" et nous n’avons pas l’intention de le faire ». Une défense qui laisse dubitatif, puisqu'il a fallu quinze ans de travaux à 23andMe pour obtenir le brevet et des milliers de dollars d'investissement… Interrogée sur ce point, l’entreprise refuse de donner plus d’explications.

Anne Cambon Thomsen, CNRS : « Ce brevet ne se justifie pas par l’intérêt de l’enfant... » (audio)

Fin novembre 2013, la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine de réglementation des médicaments et des produits alimentaires, a suspendu la commercialisation des tests génétiques de l'entreprise. Dans une lettre datée du 22 novembre, la FDA ne pointe pas du doigt ce brevet en particulier, mais l’ensemble des tests ADN salivaires qui ne seraient pas en conformité avec les exigences réglementaires. Leurs résultats ne seraient pas assez fiables et la start-up n’aurait jamais pris le temps de procéder aux vérifications demandées. Cette fois, elle dispose de 15 jours pour rendre un planning détaillé de mise en conformité. Faute de quoi, 23andMe pourrait bien mettre la clé sous la porte…

Un fantasme impossible ?

Sauf dans les rares cas de maladies monogéniques entraînées par la mutation d’un seul gène, soit environ 6.000 maladies qui ne concernent que 1 % de la population, notre génome ne permet de prédire ni notre état de santé, ni nos traits de personnalité. Toutefois, les études dites « d'association » permettent de repérer des corrélations entre certaines maladies multifactorielles ou certains traits phénotypiques (physiques ou comportementaux) et des marqueurs génétiques ou moléculaires. Ce sont ces marqueurs que 23andMe utilise pour calculer les probabilités de présenter tel trait de tempérament ou de développer telle maladie.

Anne Cambon Thomsen, CNRS : « Ce brevet surestime l’impact de la génétique... » (audio)

Il n’empêche : pour exprimer ces traits, il faut certes une écriture particulière du génome (et bien souvent plusieurs gènes interviennent) mais il faut également être exposé à certains facteurs environnementaux. Les études sur les vrais jumeaux le prouvent : la plupart des maladies, ainsi que des traits de caractère ou des caractéristiques physiques, n’obéissent pas à des déterminismes génétiques simples et sont fortement influencés par l’environnement. Ainsi, vous aurez beau choisir « un enfant plutôt athlétique », comme le propose ce brevet, si votre enfant passe son temps devant la télé à manger des chips, vous n’en ferez jamais un marathonien…

Lise Barnéoud le 28/11/2013