Art Robotique se veut un regard sur le principe de la transformation
dans certaines formes d’art, transformation rendue plus aisée
par l’usage de technologies principalement développées de la
seconde moitié du siècle dernier à nos jours : l’électronique,
l’informatique, la bionique et la robotique.
Toute œuvre d’art, même celle supposée «fixe», telle qu’une
peinture ou une sculpture, est sujette à transformation. Elle se
transforme dans l’œil de son spectateur, suivant les évolutions
de celui-ci et les différents états de la perception qu’elles
engagent. Aussitôt qu’approchant l’œuvre et d’aussi loin qu’il
l’aperçoit (ou la perçoit), le spectateur la met en mouvement.
Que l’œuvre elle-même bouge ou non, le spectateur l’intègre
dans son mouvement à lui. Et ainsi elle change, elle se transforme
de ce mouvement-là. Elle devient plusieurs œuvres, les unes
après les autres. Il y a l’œuvre d’une première vision globale,
il y a l’œuvre du très proche, du détail, il y a toutes celles jalonnant
l’aller du plan général au très gros plan et toutes celles enfin
de l’éloignement — le retour —, attendu que l’œuvre vue dans
son ensemble faisant suite à la perception du détail, ne sera
pas la même que celle découverte pour la première fois par
le spectateur. À chacune de ces étapes successives l’œuvre
est «revue», sa perception, corrigée. L’œuvre est transformée,
se transforme.
Cette transformation intervient aussi dans l’évolution
de la perception de la couleur et de la lumière lors de sa vue
prolongée. C’est du moins ce que décrit, entre autres, Kandinsky
dans Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1912).
Selon Bergson, pour qui il n’était rien que mobilité et transformation
et qui a tenté d’analyser dans son Essai sur les données
immédiates de la conscience (1889) le rôle de la durée dans
la perception, la transformation de l’œuvre est en mouvement
permanent dans le temps de la voir vue et le temps de l’avoir
vue. Mais le temps qui passe ne transforme pas que notre
conscience de l’œuvre, il la transforme aussi dans sa matière :
il l’altère, il «la rend autre». La patine ou la franche détérioration
d’une œuvre ancienne, quand elles apparaissent, deviennent
indissociables de sa perception. Le plus souvent, sa restauration
ne fera pas remonter l’œuvre dans le passé lointain. Au lieu
de la figer dans son origine, elle projette l’œuvre violemment
dans le futur. L’œuvre n’est donc pas restaurée, mais transformée,
elle n’est pas arrêtée dans le temps ni ne peut le remonter,
elle est seulement accélérée dans sa transformation et fait
un bond en avant.
Cependant, la plus importante de toutes les transformations
de l’œuvre fixe provient de la mutation des sociétés elles-mêmes
qui fait qu’indépendamment de sa dégradation physique
ou de sa parfaite conservation, qu’indépendamment du temps
que l’on passe à la regarder et à quelle distance, une œuvre
ne peut être vue, entendue ni ressentie de la même façon
par les générations postérieures à sa création. Elle meurt en tant
qu’œuvre d’art avec ses contemporains, puis renaît sous la forme
d’objet culturel, qui lui-même n’est pas davantage un objet fixe :
il suivra les mouvements de la perception qui traversent
et transforment en permanence les cultures vivantes.
Art Robotique s’attache à présenter des œuvres dont
la transformation est active et contemporaine de la visite
de leurs spectateurs : des «œuvres à transformation».
Robotic Art:
about transformation
Robotic Art offers a look at the principle of transformation
at work in certain art forms — transformations made
possible by the use of technologies developed for the most
part since the mid-twentieth century, particularly
electronics, computing, bionics, and robotics.
All works of art, even supposedly “unchanging” works like
paintings or sculptures, are subject to transformation in the eye
of the beholder. They change as much with the viewer’s
position and situation as with the different states of perception
to which they give rise. A work is set in motion from
the moment a viewer approaching a work catches sight of it.
Whether or not the piece moves, it is integrated into
the viewer’s movement. And it is, in this way, transformed
by this very movement. It becomes several works, one after
another. Between the work of art seen initially from a distant
point of view and the work examined from very close at hand,
there are all the intermediate steps, from the contextual view
of the whole object to the extreme close up. Then there’s
the movement away — the return, so to speak — knowing
that after perceiving the work in detail, it will not look
the same from the initial position of discovery. The work
is continually “re-viewed”, its perception corrected at each
step of the way. It transforms and is transformed.
There is also transformation at work in the perception
of colour and light upon prolonged viewing. Kandinsky,
for one, discussed this phenomenon in his On the Spiritual
in Art (1912).
According to Bergson, for whom there was nothing but
mobility and transformation and who endeavoured to analyse
duration’s role in perception, the transformation of a work
is in permanent motion in the time of seeing it seen
and the time of having seen it (Essay on the Immediate
Data of Consciousness, 1889).
But passing time does not only change our consciousness
of a work of art, it also transforms it materially; it alters
it and “makes it other”. When patina or patent deterioration
appear over time, they become indissociable from
the perception of an old artwork. Restoration will not take
the piece back to its original state in the distant past.
Indeed, instead of congealing it in its origin, it hurls the work
into the future. The work is not so much restored as
transformed. Instead of being arrested or taken back in time,
its transformation is accelerated and it takes a leap forward.
However, the most important of all the transformations in
an “unchanging” work proceed from changes in society itself.
Independently of a work’s physical deterioration or its perfect
conservation, independently of the time spent looking at it
and the viewing distance, a work of art is not seen, felt,
or understood in the same way by generations posterior
to its making. It dies as a work of art with its contemporaries
and is reborn in the form of a cultural object, which is in itself
not an unchanging state. It will continue to follow
the movements of perception that are constantly traversing
and transforming living cultures.
The works featured in the Robotic Art exhibition integrate
transformation as an active principle contemporaneous
with the visit of museumgoers. They are what could be
called “transformation-powered artworks”.
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