Quel avenir pour la médecine prédictive et les tests ADN ?

Vers une médecine personnalisée ?

Demain, la nutrigénomique ?

En permettant de prédire le développement futur de certaines maladies génétiques – comme la phénylcétonurie – ou d'évaluer sa prédisposition à d'autres maladies plus répandues – telles que le cancer colorectal ou du sein –, la médecine prédictive offre la possibilité d'une prévention individualisée. Grâce à l'étude de gènes liés au métabolisme des médicaments, il serait en outre possible de connaître le traitement le plus adapté à son profil génétique et donc, de délivrer des médicaments différents d'un individu à l'autre pour une même maladie.

Des perspectives intéressantes à nuancer toutefois. Car pour être efficace, cette médecine personnalisée doit s'appuyer sur une prédiction fine et totalement fiable. Or celle-ci est pour l'instant basée sur des statistiques globales et le passage au cas particulier est éminemment complexe et délicat. Enfin, la médecine prédictive tendant à se focaliser sur les caractéristiques biologiques de chacun, risque de privilégier de façon outrancière une vision « biologisante » de la santé. Une approche forcément réductrice dans la mesure où le développement de la plupart des maladies est influencé par de multiples facteurs, en particulier environnementaux et psychologiques.

Vers la disparition de certaines maladies graves ?

Transmettre un handicap, c’est possible aux États-Unis

La mucoviscidose peut-elle devenir une maladie en voie de disparition ? Une étude américaine (New England Journal of Medicine, février 2008) fait en effet état d'une diminution de la prévalence de cette maladie suite à une large diffusion du dépistage et des techniques de diagnostic préimplantatoire et prénatal. La même tendance s'observe pour les trisomies 21 et 18 systématiquement dépistées durant la grossesse. Pour autant, ces maladies ne disparaîtront probablement jamais. De fait, il existera toujours une proportion faible mais irréductible de mutations non détectées, à l'origine de nouveaux cas.

Il n'empêche, cette tendance à la baisse d'un certain nombre de maladies handicapantes soulève la question de savoir si l'objectif de la médecine prédictive est d'éradiquer les maladies graves, et pour l'heure incurables, ou bien de soigner au mieux les malades. Dans son avis sur le dépistage de la mucoviscidose, le Comité consultatif national d'éthique précise que ce dépistage « ne vise pas à supprimer systématiquement la naissance d'un enfant atteint », mais à « donner aux femmes tous les éléments d'information afin d'éviter qu'elles n'accouchent, sans en avoir été avisées, d'un enfant atteint d'une maladie grave et incurable ».

La prédiction vaut-elle le coût ?

Les tests de prédisposition ou de dépistage présymptomatique permettent-ils d'améliorer la survie et, si oui, à quels coûts ? L'évaluation économique de la médecine prédictive est particulièrement complexe. Elle dépend du nombre de personnes concernées par la maladie, des moyens de prévention disponibles, de la valeur prédictive des tests, des coûts liés à la mise en oeuvre des tests de dépistage (1) et à la prise en charge médicale des personnes identifiées à risque (coûts des examens complémentaires, des soins, du suivi, des arrêts de travail…).

Ainsi, concernant le dépistage du cancer du sein, le coût par année de vie gagnée varie de 2.500 à 77.000 euros selon le nombre de cas dans une région donnée, l'âge de la population cible ou la qualité de la prise en charge (2). On considère généralement que les programmes, pour lesquels le coût par année de vie gagnée est inférieur à deux fois le PNB par tête (soit 50.000 euros en France), sont acceptables d'un point de vue de l'économie de la santé (3). Quant aux tests de prédisposition, le principal problème réside dans la détection de personnes à risque mais dont la maladie ne se développera jamais, à qui l'on donne un traitement inutile, voire toxique, et… coûteux (4) !

1. De façon générale, le coût des tests est minime comparé à ceux de la mise en place du dépistage, du conseil génétique, du suivi des patients et des interventions proposées, sauf dans le cas où les tests sont brevetés et où la redevance est élevée. / 2. Analyse économique des coûts du cancer en France, Institut National du Cancer, mars 2007. / 3. Jean-Paul Moatti, Anne-Gaëlle Le Corroller Soriano, Christel Protière, « Le Plan Cancer en France : une réflexion d'économistes », Bull Cancer 2003 ; 90 (11) : 1010-5. / 4. « Il est dans l'intérêt des firmes pharmaceutiques de prescrire de véritables traitements préventifs qui pourraient éventuellement bénéficier aux personnes susceptibles mais qui auront l'inconvénient évident de médicaliser une large population dont une faible proportion seulement aurait en fait développé la maladie », avis 57 du Comité consultatif national d'éthique.

Dépistage systématique : des critères qui évoluent

Intérêt scientifique ou atteinte à la vie privée ?

Depuis plus de trente ans, il existe des programmes de dépistage systématique pour certaines maladies génétiques rares. Mais ces dernières années, l'offre potentielle de tests de dépistage ne fait qu'augmenter. Dès lors, faut-il se lancer dans des dépistages tous azimuts, sous la pression de divers groupes d'intérêts (firmes pharmaceutiques, sociétés de biotechnologie, associations de malades) ? Comment évaluer la pertinence de ces nouveaux tests au nom de la santé publique ?

La réponse est complexe et fait actuellement l'objet de débats entre experts. Certains d'entre eux (1) proposent une révision des critères proposés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1968, et sur lesquels s'appuient les politiques de santé publique (2). L'idée est notamment de mieux prendre en compte l'évaluation de l'efficacité du programme de dépistage, le consentement éclairé des personnes testées, la confidentialité des données, ou encore d'inclure la notion de « risques associés aux gènes ». Ces mêmes experts préconisent une évaluation au cas par cas de chaque proposition de dépistage systématique de maladie, en mesurant non seulement les bénéfices et les risques au niveau individuel mais aussi au niveau d'un groupe de population, voire de la société tout entière. Enfin, ils appellent à un débat public sur ces questions afin que les décisions prises reflètent un réel choix de société.

1. A review of screening criteria over the last 40 years. Bulletin of the World Health Organization 2008 ; 86(4): 317-9. / 2. Principles and Practice of Screening for Disease, OMS, 1968.

Gare aux impacts psychologiques !

Des preuves de bonne santé pour les assurances

Selon une récente étude (1), les personnes découvertes à risque pour telle ou telle maladie montrent en moyenne une légère augmentation des états d'anxiété et de dépression, mais de façon temporaire. En réalité, il est impossible de généraliser l'impact psychique de la médecine prédictive : cela dépend du type de maladie testée, de l'existence ou non d'un traitement préventif, voire curatif, du profil psychologique du patient, de son contexte familial, etc. Toujours selon cette étude, la plupart des réactions suite à l'annonce d'un résultat sont des réactions « normales » face à une information majeure.

Toutefois, il existe des individus plus vulnérables chez qui les réactions peuvent être plus violentes (2). Circonstance aggravante, même quand une prévention semble possible, elle peut être lourde de conséquences lorsqu'elle passe par une intervention chirurgicale. Ainsi, certaines études sur le cancer du sein rendent compte d'un impact néfaste, sur l'image du corps et la sexualité, des mammectomies pratiquées en France chez 4% des femmes génétiquement prédisposées à ce type de cancer (3). Un conseil approprié en amont des tests et un accompagnement psychologique apparaissent donc comme des éléments centraux de la médecine prédictive.

1. Il s'agit d'une compilation de toutes les données existantes sur le sujet : Heshka JT et al., A systematic review of perceived risks, psychological and behavioral impacts of genetic testing, Genetics in Medicine. 10(1):19-32, janvier 2008. / 2. Source : C. Julian-Reynier, Communication des risques en oncogénétique : Impact sur les croyances et comportements de santé, Rev Francoph Psycho-Oncologie (2006) Numéro 1: 9–13. / 3. Source : Van Oostrom I, Meijers-Heijboer H, Lodder L, et al. (2003). Long-term psychological impact of carrying a BRCA1/2 mutation and prophylactic surgery: a 5 year follow up study. J Clin Oncol 21: 3867-3874.

Des tests génétiques à l’embauche ?

Des tests génétiques à l’embauche ?
Une affaire qui a fait grand bruit à l'époque et qui a contribué à la prise de conscience des dérives possibles des tests génétiques dans le monde du travail : en 2004, en Allemagne, une jeune professeure s'est vu refuser une titularisation après qu'un examen clinique eut révélé qu'un de ses parents souffrait de la maladie de Huntington. « Prendre une décision d'embauche en se fondant sur la probabilité qu'un individu serait prédisposé à développer une maladie plutôt que sur sa capacité avérée à faire son travail est discriminatoire », condamne un rapport de l'Organisation internationale du travail (« L'égalité au travail : relever les défis », OIT, mai 2007). Aujourd'hui, suivant l'avis du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies, la plupart des pays interdisent l'utilisation des tests génétiques à l'embauche. Une position dont certains craignent qu'elle ne soit pas éternelle.

Au service du judiciaire…

Pas coupable ?

Aux États-Unis, des données très controversées de neuro-imagerie (pointant des anomalies cérébrales en lien supposé avec certains comportements déviants) ont déjà été utilisées pour plaider l'irresponsabilité des adultes ou l'immaturité cérébrale des adolescents.

En France, les tests génétiques ne peuvent être utilisés dans le domaine judiciaire que pour l'identification des personnes (des tests de paternité au fichage des personnes déjà condamnées (1)). Durant l'automne 2007, le gouvernement propose d'étendre l'utilisation de ces tests aux demandeurs de visa pour regroupement familial (comme en Belgique, Italie, Danemark, Norvège et Grande-Bretagne). Malgré une vive polémique – les liens de filiation se trouvant ainsi réduits, selon les opposants, aux liens du sang –, le projet de loi a finalement été adopté à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2010.

1. Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), créé en 1998 pour les seuls délinquants sexuels, a été élargi en 2004 à la quasi-totalité des crimes et délits et compte aujourd'hui plus de 500 000 fiches nominatives.

Le droit de ne pas savoir

Le droit de ne pas savoir

S'il existe un droit de savoir, le droit de ne pas savoir prend une résonance particulière dans cette nouvelle médecine qui s'adresse d'abord à des personnes non malades, mais qui peut transformer le futur en menace. L'incertitude peut donc être vécue comme un espace de liberté pour certains. Mais, au-delà de l'individu, toute la société se trouve interpellée par cette question complexe qui engage la responsabilité médicale.

« La médecine ne devrait pas confronter les personnes à un destin qui les enferme, peut-être inassumable, sans s'être interrogée d'abord sur le sens de cette traque. » (Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique, extrait de « La Médecine sans le corps : une nouvelle réflexion éthique », éd. Plon, 2002)

Une affaire de famille

Une affaire de famille
Doit-on obliger une personne à informer son entourage si une maladie génétique a été dépistée chez elle et qu'un traitement existe ? Non, répond le Comité consultatif national d'éthique, pour qui le respect de la confidentialité prime sur la protection des apparentés. Toutefois, un article ajouté lors de la révision de la loi française de bioéthique en 2004 stipule qu'en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave, « le médecin informe la personne ou son représentant légal des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés dès lors que des mesures de prévention ou des soins peuvent être proposés à ceux-ci ».

2009-2010 : révision de la loi de bioéthique en France

L’heure du débat

En France, la loi de bioéthique a été adoptée en 1994 puis révisée en 2004 (1). Alors que tous les décrets d'application n'ont pas encore été publiés, la prochaine révision doit avoir lieu en 2009-2010. Cinq ans après le vote de la deuxième loi de bioéthique, que faut-il modifier ? Existe-t-il des avancées scientifiques remettant en cause certains dispositifs ? Les premières discussions ont débuté à l'automne 2007 par des auditions publiques d'experts à l'Assemblée nationale. Les principaux enjeux concernent les recherches sur l'embryon et l'extension du diagnostic préimplantatoire. Mais l'explosion du marché des tests génétiques et de la médecine prédictive fait également l'objet de nombreux débats. Faut-il limiter l'accès aux tests génétiques sur Internet ? Comment garantir l'égalité d'accès aux tests et à quels tests ? Et comment faire pour que ces tests prédictifs, « qui sont des "réducteurs d'incertitude" […], ne deviennent ni des réducteurs de liberté, ni des réducteurs d'espoir selon l'usage qui en est fait » (2) ? Des questions particulièrement complexes où s'affrontent des convictions souvent divergentes… et à traiter dans un calendrier serré.

1. Il était prévu que la loi de bioéthique soit révisée tous les cinq ans pour suivre l'évolution des progrès scientifiques et médicaux. Mais la complexité des sujets abordés a entraîné des retards. / 2. Anne Cambon-Thomsen, Audition publique de l'Assemblée nationale, La loi bioéthique de demain, novembre 2007.

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