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le cannabis
Points de vue d’exPeRts
I
II III VI
Je ne méconnais pas les effets
du cannabis, comme le déclen-
chement de la schizophrénie chez
certaines personnalités prédis-
posées, ou ses effets cancérigènes.
ni la responsabilité dans des
accidents de la route de l’alcool,
du cannabis et des médicaments
psychotropes. un usage de ces substances
peut faire perdre à un adolescent, un tri-
mestre, parfois deux, voire une année de
scolarité, enclenchant un processus de
marginalisation.
Mais réagir à ces seules données conduit
à une politique déséquilibrée. il est néces-
saire de s’intéresser aussi aux recherches
en sociologie et en anthropologie. elles
montrent de quelle façon le caractère addic-
togène de notre société banalise, avant
même la rencontre des produits, les effets
d’intensité (encore plus fort) et d’instan-
tanéité (encore plus vite) qui en font l’at-
trait. Cela explique pourquoi la pénalisation
de l’usage et une information fondée sur
la seule énonciation des dangers échouent :
elles font de l’abstinence la norme, là où
la norme est l’hyper-consommation ; elles
font du contrôle et de la modération la
règle, dans une culture de l’excès et du
« sans-limite ». on consomme de plus en
plus de drogues à la fois parce que l’on en
produit de plus en plus, mais aussi parce
que les valeurs de la modernité comme la
performance, l’immédiateté, la maximali-
sation des émotions, leur confèrent un rôle
de plus en plus essentiel dans notre quoti-
dien. La priorité est donc d’adapter nos
réponses aux caractéristiques de nos socié-
tés, ce qui nécessite la réorganisation des
stratégies de prévention, de soin, de réduc-
tion des risques, et donc des règles et lois.
dépénaliser l’usage privé chez l’adulte,
celui qui ne met pas en danger autrui et
ne trouble pas l’ordre public, redonnerait
à la loi sa légitimité naturelle, celle d’agir
là où elle est utile : mise en danger d’autrui
(cas de la conduite automobile ou d’activi-
tés professionnelles), trouble à l’ordre
public et limitation des accès par des règles
précises. et permettrait aussi de laisser à
l’éducation et à la santé ce qui relève de
leurs compétences.
La pénalisation est une solution qui sem-
ble simple. Mais ériger, grâce à la loi, une
ligne de défense qui sépare du danger,
comme la ligne Maginot, c’est une solution
inadaptée qui provoque une fuite en avant :
nous pénalisons tout et toujours plus,
faute de savoir éduquer. Le danger est
autant dans l’attrait pour l’expérience
addictive que dans l’effet du produit. il
dépend aussi de l’âge et de la maturité de
la personne, sa capacité à gérer sa consom-
mation, son inscription dans des liens
sociaux forts. Réguler les consommations
de substances psychoactives et réduire les
dommages qu’elles induisent – en associant
une éducation rénovée et des soins aux
consommateurs en souffrance avec des
interdits limitant leur accès et une politi-
que de sanction des abus – serait une
réponse plus complète, autant aux dangers
des substances qu’à ceux du contexte addic-
togène de la société. elle laisserait les usa-
gers et leurs familles moins démunis qu’ils
ne le sont aujourd’hui.
l
JeAn-Pierre COUterOn
Psychologue et président de la Fédération Addiction
Lutter contre une société de l’hyper consommation
et une culture du sans-limite
«
Dépénaliser l’usage privé
chez l’adulte, celui qui ne met pas
en danger autrui et ne trouble pas
l’ordre public, redonnerait à la loi
sa légitimité naturelle.
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