Immunologie : un foie greffé dicte sa loi

Cinq ans après avoir subi une transplantation du foie, une fillette australienne vit sans prendre le moindre traitement anti-rejet. Un phénomène exceptionnel que médecins et immunologistes tentent aujourd'hui d'expliquer. 50 ans exactement après la découverte du système HLA de reconnaissance du soi et du non-soi par le prix Nobel de médecine, le Pr Jean Dausset.

Par Laurianne Geffroy, le 15/02/2008

Il était une fois

L'histoire commence il y a cinq ans. Une petite Australienne de 9 ans est atteinte d'une hépatite fulminante* et doit subir une greffe de foie. Elle reçoit alors l'organe d'un garçon de 12 ans compatible avec le sien ; leur groupe sanguin (O) et leur foie sont suffisamment proches pour permettre l'opération.

Globules blancs (lymphocytes T) regroupés autour des globules rouges étrangers (grossissement : × 4 000).

Malgré ces similitudes, le risque de rejet n'est pas exclu car l'organisme sait très bien faire la différence entre un organe qui lui appartient et un organe étranger. Et pour cause, toutes les cellules portent à leur surface des marqueurs spécifiques à chaque individu, que l'on appelle des antigènes d'histocompatibilité ou HLA**.

Lors d'une greffe, le système immunitaire du receveur va immédiatement identifier les antigènes de l'organe inconnu, s'apercevoir qu'il lui est étranger et réagir comme il le ferait face à un virus, c'est-à-dire en le détruisant. Pour éviter cela, il est donc nécessaire d'affaiblir les défenses immunitaires du receveur avec un traitement immunosuppresseur. Un traitement qui dure généralement toute la vie.

* Inflammation et destruction très rapide du foie.
** Human leucocyte antigen ou Antigène des leucocytes humains.

La fillette devient O+, comme son donneur…

Avait-on déjà observé, lors d'une greffe de foie, un remplacement aussi complet des cellules du receveur par les cellules du donneur ?

Suite à la transplantation, la fillette commence donc à prendre des médicaments anti-rejet pour rendre inoffensifs ses propres globules blancs. Comme en témoigne l'équipe australienne du Dr Stephen Alexander, dans le magazine américain The New England Journal of Medecine*, tout se passe « normalement » durant les neuf premiers mois.

Puis soudainement, lors d'un examen de routine, ils constatent que leur patiente a changé de rhésus sanguin. Elle n'est plus O- mais O+, comme son donneur. Après des analyses complémentaires et une vérification du groupe sanguin de ses parents, qui sont tous les deux O-, il s'avère que les globules rouges de l'enfant portent effectivement le facteur rhésus (+).

* NEJM, vol.358 – January 24, 2008 – n°4.

…et acquiert son système immunitaire

Pour les médecins, ce changement de groupe sanguin s'expliquerait par la présence dans le foie greffé de cellules souches sanguines, autrement dit des cellules programmées pour fabriquer des globules rouges O+ mais également des globules blancs portant les antigènes du jeune garçon. Les cellules souches clandestines auraient ensuite migré vers la moelle osseuse de la petite fille – puisque c'est là que les cellules souches produisent d'ordinaire les cellules sanguines – et rempli leur mission.

Moelle osseuse de la petite Australienne

Pour en avoir le cœur net, l'équipe médicale décide de vérifier l'origine des globules blancs de la receveuse en marquant les chromosomes X et Y de leur noyau. Le résultat est sans appel : la grande majorité de ces cellules sont des cellules mâles (XY). Elles proviennent bien du donneur.

Un mois après cette découverte, les choses se compliquent. Le niveau de globules rouges de la petite Australienne commence à chuter radicalement. Certains de ses globules blancs semblent en effet avoir résisté à la déferlante de globules blancs du donneur mais aussi au traitement immunosuppressif censé les anéantir.

Dans un sursaut de défense, ils s'attaquent alors aux globules rouges O+ qui n'appartiennent pas à la fillette. Face à l'urgence, les médecins décident d'arrêter le traitement anti-rejet pour que le système immunitaire du donneur s'impose face à celui de la fillette.

Plus besoin de traitement anti-rejet

Pari gagné. Quatre ans après l'arrêt des médicaments, la fillette se porte à merveille et son organisme ne montre aucun signe de rejet par rapport à la greffe. Tous ses globules rouges et tous les globules blancs de son système immunitaire semblent en effet avoir naturellement cédé la place à ceux du donneur.

Ce phénomène de tolérance peut-il s’expliquer par le jeune âge de la patiente ?

Conséquence : les globules blancs qui circulent dans son corps ne risquent plus de s'en prendre à son foie ni à ses globules rouges puisque tous ont désormais la même origine. Ces nouveaux globules blancs semblent même s'être tellement bien adaptés à leur nouvel environnement qu'ils tolèrent tous les autres organes de la fillette.

Un cas unique au monde

Cet échange complet de cellules sanguines (globules blancs et rouges) entre deux individus est une première en matière de greffe de foie. Il est en effet très courant de voir apparaître dans le sang du receveur un petit nombre de cellules provenant de l'organe greffé (moins de 1% du total).

Ce cas ouvre-t-il des perspectives pour la prévention du rejet d’organe ?

Mais, le plus souvent, ces dernières disparaissent dans les premières semaines qui suivent l'intervention. Or, ici, les cellules sanguines de l'hôte ont totalement été supprimées et remplacées par celles du donneur. Pour les auteurs de la publication, les cellules souches sanguines de l'hôte auraient elles aussi été éliminées au profit de celles du donneur. Les scientifiques parlent d'un chimérisme complet.

Pour l’équipe médicale, plusieurs facteurs pourraient être à l’origine de ce petit miracle. A commencer par l’état de santé de l’enfant. La faiblesse de son système immunitaire pourrait avoir permis aux cellules souches sanguines du donneur de coloniser l’organisme du receveur sans trop de résistance. Le type de médicaments immunosuppressifs et leur quantité pourraient également avoir accentué ce phénomène. Enfin, le jeune âge du donneur a certainement joué un rôle quant à la présence de cellules souches sanguines au sein du foie greffé.

Ce cas unique apporte la preuve que notre organisme peut naturellement tolérer un organe étranger, et vice versa, sans avoir besoin de traitement anti-rejet. Reste désormais à déterminer les circonstances exactes qui ont permis l'existence d'un tel phénomène.

Laurianne Geffroy le 15/02/2008