Un caoutchouc coupé... qui se recolle tout seul !

C'est un matériau étonnant que viennent de mettre au point les chercheurs du laboratoire « Matière molle et chimie ». À température ambiante, et après avoir été coupée, cette matière élastique non collante est en effet capable de se resouder toute seule. Une innovation qui devrait trouver de nombreux débouchés.

Par Olivier Boulanger, le 25/02/2008

Abracadabra...

Cela pourrait tenir du tour de magie... À première vue, le caoutchouc de synthèse produit* par le laboratoire Matière molle et chimie (CNRS/ESPCI) n'a rien d'exceptionnel. C'est un matériau élastique comme tant d'autres. Il peut s'étirer jusqu'à cinq fois sa longueur sans casser avant de reprendre ses dimensions initiales. Et lorsqu'on le coupe en deux, on imagine mal comment réassembler les morceaux sans un nœud solide ou une puissante colle.

Pourtant, lorsqu'on remet en contact les deux bouts coupés, ceux-ci se réassocient immédiatement ! Après une heure, l'élastique semble comme neuf. La « cicatrice » n'est quasiment plus visible. Et le caoutchouc peut à nouveau être étiré sans casser.

* Ces travaux font l'objet d'une publication dans la revue Nature du 21 février 2008

Le secret révélé

Le secret du caoutchouc magique...

Point de magie dans cette prouesse mais seulement un peu de chimie… Habituellement, un caoutchouc tient ses propriétés élastiques en raison des longues chaînes de grosses molécules qui le constituent, reliées solidement entre elles par des liaisons fortes… et qui ne peuvent se reformer à température ambiante après coupure.

Ici, le matériau de synthèse regroupe deux sortes de molécules. Certaines sont longues comme dans les caoutchoucs : elles donnent son élasticité au matériau. Mais celui-ci contient également d'autres molécules plus petites, des acides gras organisés en réseau liés entre eux grâce à des liaisons hydrogènes, des liaisons faibles : ce sont ces molécules qui permettent l'auto-cicatrisation. Ludwik Leibler, le directeur du laboratoire, a coutume d'expliquer ce mécanisme de manière imagée : certains de ces acides gras ont deux « mains », d'autres trois, mais tous se tiennent la main. Lorsqu'on coupe le matériau, ces mains « ouvertes » cherchent à se réassocier. C'est ce qui se produit lorsque l'on rapproche les deux morceaux d'élastique coupés.

Huile végétale et urée

Étonnement, les ingrédients de cet élastique « magique » sont des plus simples. Le caoutchouc de synthèse est obtenu en associant de l'urée (un composé issu de la dégradation des acides aminés qui peut être obtenu par synthèse) à des acides gras tels que ceux que l'on trouve dans les huiles végétales (pin, tournesol, maïs, colza), des produits non toxiques et renouvelables : une contrainte que les chercheurs se sont imposés dès la conception du matériau.

Ludwik Leibler

Depuis 2004, le laboratoire est en effet associé à Arkema, l'ex-pôle chimie de Total, l'idée étant de produire des matériaux à la fois propres et utilisables d'un point de vue industriel. Sur ce dernier point, les idées ne manquent pas. Entre les vêtements dont les trous se reboucheraient tout seul ou les jouets qui se répareraient au pied du lit de leurs jeunes utilisateurs, « toutes sortes d'articles qui pourraient s'être cassés ou fissurés, pourraient être réutilisés grâce à l'auto-cicatrisation », note-t-on chez Arkema. « Si vous percez un joint d'étanchéité dans un mur, il va se réparer tout seul. Tout ce qui travaille dans la compression, comme les joints de structure, les revêtements susceptibles de se rayer, est concerné », ajoute Ludwik Leibler.

Toutefois, pas de date annoncée pour ces produits : le caoutchouc auto-réparant présente encore quelques faiblesses de résistance… Mais en attendant, le laboratoire Matière molle et Arkema nous promettent « d'ici un à deux ans » d'autres matériaux innovants : des plastiques biodégradables et des bitumes à base de composés végétaux...

Olivier Boulanger le 25/02/2008