Record : après 2 000 ans, « Mathusalem » germe

Le dattier de Judée n'a jamais autant mérité son surnom « d'arbre de vie ». Une de ses graines est en effet parvenue à germer après plus de deux mille ans de dormance !

Par Viviane Thivent, le 13/06/2008

Une graine parmi d’autres

La citadelle de Massada, dans le désert de Judée (Israël).

Voilà qui s'appelle avoir un Destin. Il y a deux mille ans, en Judée, une petite graine de dattier (Phoenix dactyllifera) est cueillie par l'homme non loin de la mer Morte. Un fait des plus banals. Car à l'époque, au 1er siècle de notre ère, la région est réputée pour la culture des dattes qui, dit-on, sont d'excellente qualité.

Cette graine (que les chercheurs ont surnommé Mathusalem en référence à la personne la plus âgée mentionnée dans la Bible) aurait alors dû être plantée, ou consommée comme ses milliers de consœurs. Mais c'est sous-estimer les caprices de l'histoire. Car, au lieu de retourner à la terre, la voilà acheminée à Massada, une forteresse romaine perchée sur un pic granitique et érigée entre 35 av. J.-C. et 15 av. J.-C. par Hérode-le-Grand. Un édifice aux allures de palais qui est récupéré en 66 ap. J.-C. par des rebelles juifs, les Sicaires. Mais alors, Mathusalem est-elle arrivée dans une citadelle romaine ou juive ? Difficile à dire. Les datations au carbone 14 se moquent bien de tels détails. Et celles effectuées sur les dattes retrouvées en même temps que Mathusalem, donnant un âge compris entre -206 ans et +128 ans, ne permettent pas de trancher. Il n'empêche. Mathusalem a très certainement « assisté » au siège de Massada.

Un témoin de l’Histoire ?

Les graines du dattier de Judée, retrouvées dans la forteresse de Massada

Car en 73, les armées romaines, emmenées par Lucius Flavius Silva, décident de reconquérir la forteresse de Massada. Ils encerclent le piton rocheux et entament un siège de sept mois. Sept mois au terme desquels ils entrent dans la ville pour découvrir qu'au lieu de se rendre, les Sicaires ont préféré mettre fin à leurs jours, non sans avoir auparavant incendié tous les bâtiments de la forteresse. Tous, sauf ceux contenant la nourriture... Et voilà comment Mathusalem échappe aux flammes.

Oubliée là, sur son pic rocheux, la graine souffre alors de l'aridité du désert. Elle se dessèche et perd toute son eau. Un mal pour un bien. Car cette dessication l'empêche de pourrir et lui permet de traverser, intacte, les siècles. Aujourd'hui d'ailleurs, on ne s'y prend pas autrement pour conserver la majeure partie des semences stockées dans les banques de graines. Mathusalem attendra alors les années 1960 pour retrouver un contact avec l'homme. Entre 1963 et 1965, la citadelle de Massada est entièrement fouillée par des archéologues israéliens. Et dans les débris de la partie nord du palais, Yigael Yadin, le futur vice-premier ministre israélien, trouve quelques graines fripées qu'il ramène dans son laboratoire. Pas de quoi changer l'histoire, pense-t-on à l'époque. En conséquence, Mathusalem continue sa longue sieste, pendant encore quarante ans. Jusqu'à ce qu'une équipe israélienne obtienne l'autorisation de l'« exhumer ».

Vers la renaissance

Mathusalem : 2000 ans et... 26 mois

En 2005, les chercheurs reçoivent cinq graines de Massada. Ils en réduisent deux en bouillie pour effectuer des datations au carbone 14, puis plantent les trois autres. Une seule germe. Mathusalem est aujourd'hui une petite plante de plus de 26 mois*. Bien sûr, elle est faiblarde. Bien sûr, ses feuilles sont un peu jaunes, apparemment en raison d'une carence nutritive au moment de sa germination. Mais qu'importe. Avec son grand âge, Mathusalem (synonyme de longévité) bat, à plate couture, le précédent record de la plus ancienne graine capable de germer. Il s'agissait alors d'un lotus ayant germé après un sommeil de 1 300 ans.

Mais au-delà du record, et même si les raisons de cette longévité sont mal comprises, la résurrection de Mathusalem passionne la communauté scientifique. Entre autres, parce que les dattiers de Judée, si réputés au début de notre ère, ont disparu depuis près d'un siècle. Les études génétiques montrent ainsi que Pheonix dactylifera est très différente des essences actuelles, celles du Maroc (37,5% de gènes différents), d'Irak (16,5%) ou d'Égypte (19,5%).

D'où cette question : serait-il possible, grâce à Mathusalem, de ressusciter l'espèce déchue ? Un arbre qui, d'après les textes anciens, aurait de nombreuses vertus thérapeutiques ? Possible, annoncent les chercheurs, mais seulement si Mathusalem est une femelle, c'est-à-dire un plant capable de donner des fruits. « Malheureusement, le sexe de "Mathusalem" est pour le moment inconnu, explique Sarah Sallon. Nous ne le connaîtrons qu'en 2010, lorsque le plant sera mature. » Il faudra donc patienter encore un peu pour savoir si la petite graine finira son parcours en tant que cas d'espèce ou de Nouvelle Ève.

* S. Sallon et al., Science du 13 juin 2008

Viviane Thivent le 13/06/2008