Enfin expliqué : le syndrome du ruban adhésif...

La vie quotidienne réserve parfois des surprises. Nous l'avons tous expérimenté avec un certain agacement : quand on déroule à plusieurs reprises et sans précaution un rouleau de ruban adhésif, celui-ci se déchire en pointe. Ce que nous apprennent aujourd'hui les physiciens, c'est qu'il s'agit d'un phénomène universel. Explications.

Par Olivier Boulanger, le 03/07/2008

Des pointes toujours identiques

On pourrait appeler ça le syndrome du ruban adhésif : bien souvent – trop souvent, diront certains – lorsqu'on déroule un rouleau de scotch, ce dernier se déchire avant que l'on ait pu obtenir la longueur désirée.

Que le ruban adhésif rechigne à se décoller sans se déchirer est une chose. Mais pour Benoît Roman, chercheur au Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes (CNRS/ESPCI/Universités Paris 6 et 7), derrière cette petite tracasserie du quotidien se cache une énigme scientifique. Car, à y regarder de plus près, les différents lambeaux présentent tous des pointes identiques, superposables, quelle que soit leur longueur : « Un petit morceau n'est jamais que l'extrémité d'un plus grand », fait remarquer le chercheur.

Ces déchirures en pointe se retrouvent en fait un peu partout. Dans le ruban adhésif que l'on étire, mais aussi dans le papier peint que l'on décolle maladroitement sans outil. Dans la rue ou dans le métro, les affiches arrachées présentent également ces pointes triangulaires si caractéristiques, qui ont d'ailleurs inspiré certains artistes comme Raymond Hains ou Jacques Villeglé.

Un avion qui se déchire comme du papier

Plus surprenant, la tôle d'avion accidenté présente parfois ce même type de déchirures. « En fait, dès qu'un objet mince se sépare en deux morceaux avec un pli, on retrouve ce type de structure, note Benoît Roman. Cela signifie que, d'une certaine manière, cette forme en pointe est universelle. À quel processus physique correspond-elle ? C'est cette interrogation qui a été le point de départ des travaux* que nous avons menés avec notre collègue du MIT et de Santiago du Chili. »

 

* Nature Materials, Volume 7 No 5

Déchirure contrôlée

Afin de comprendre l'origine de cette forme universelle, les chercheurs ont mis au point un dispositif expérimental en reprenant de manière contrôlée l'expérience du scotch. Ici, le support est un ruban adhésif « modèle », parfaitement homogène ; la vitesse d'étirement est mécanisée ; le tout se déroule sous l'œil pointu de la caméra. « Ce que l'on a découvert, explique Benoît Roman, c'est que tout se joue dans le pli de déchirure… »

Quand on tire sur une languette, de l'énergie s'accumule dans le pli situé entre les deux entailles. Au début, il s'agit seulement d'énergie élastique. Il suffit d'ailleurs de relâcher la languette pour constater qu'elle reprend sa position initiale. Mais si l'on tire plus fortement, l'énergie se dissipe dans les fissures et le ruban se déchire. « C'est donc dans le pli que les fissures trouvent leur énergie pour se propager, explique le physicien. Et c'est tout naturellement vers cette région qu'elles sont attirées pour finalement former une pointe. »

Grâce au film obtenu expérimentalement, les chercheurs ont pu réaliser des mesures précises du phénomène afin de tenter une modélisation du processus. « La théorie des fissures est quelque chose d'assez bien connue depuis les années 20, mais il reste des questions ouvertes comme celles concernant la propagation des fissures dans les objets pliés, commente Benoît Roman. D'un point de vue théorique, il nous a surtout fallu comprendre que tout se passait dans l'énergie du pli. À partir de là, la mise en équation du phénomène n'a pas posé de problème. »

Les chercheurs ont ainsi pu déterminer que la forme du triangle – toujours la même pour un matériau donné – dépendait de seulement trois critères : l’adhésion au support, la flexibilité du matériau et sa résistance à la rupture. En résumé, plus la colle est forte, plus le ruban se courbe quand on tire dessus, plus l’énergie concentrée dans le pli va être forte, et plus les fissures vont se rapprocher rapidement. Ce qui augure mal pour le problème récurrent du scotch : « Il n’y aura sans doute pas de solution miracle, regrette le chercheur. Hormis peut-être tirer plus doucement sur la languette – ce qui revient à réduire le phénomène d’adhésion. Mais cette astuce, tout le monde la connaissait déjà… »

De l’observation du quotidien…

« Notre démarche n'est pas celle des ingénieurs, explique Benoît Roman. Par exemple, nous ne cherchons pas à faire des objets résistants – ce que les ingénieurs maîtrisent généralement assez bien – mais plutôt à comprendre comment ces objets se déchireraient en cas de contrainte, ce qui est souvent très mal connu. »

Il n'empêche. Si ces travaux concernent avant tout la recherche fondamentale, ils pourraient trouver à terme certaines applications dans l'industrie, en particulier dans l'amélioration des emballages plastique. Dans un avenir plus proche, ils pourraient être utiles dans les domaines des micro et nanotechnologies. « Dans ces domaines, on est souvent amené à constituer de tout petits objets en déposant des couches extrêmement fines de différents composants avant de les découper pour les modeler à toute petite échelle. On a souvent des difficultés à caractériser ces objets. Avec nos travaux, il semble possible d'obtenir leurs principales caractéristiques mécaniques en les griffant, tout simplement, et en mesurant l'angle du triangle de déchirure. » Du Scotch malencontreusement déchiré aux nanotechnologies, l'observation des objets du quotidien semble décidément pleine de ressources.

Olivier Boulanger le 03/07/2008